A la maison, les étagères pleines de polars appartiennent plutôt à La Moustache. Mais quand l'intrigue policière est traitée en une chronique urbaine tendre et mordante, et que l'auteur est un écrivain japonais contemporain, je revendique alors fièrement la propriété des bouquins !
Ikebukuro West Gate Park est une série à succès au Japon. Le premier tome a été primé, adapté en drama (série TV) et même en manga (sorti en France chez Asuka).
La version française est éditée par Piquier ce qui garantit un livre de bonne facture et surtout, avec une traduction de grande qualité. Un seul bémol, le prix, surtout pour le troisième tome, disponible qu'en grand format et dont la pagination est faible.
Trouble shooter
Ikebukuro West Gate Park est un bouquin particulier. Il nous raconte, à la première personne, le quotidien d'un jeune Japonais tokyoïte en perte de repère, un pseudo délinquant qui bosse quand même comme vendeur dans le petit magasin de fruits tenu par sa mère. Le reste du temps, il zone.
Makoto n'est pas un mauvais bougre, juste un grand ado hésitant, au futur flou, qui se laisse porter par les évènements. Mais quand des filles se font agresser dans son quartier d'Ikebukuro, quand une fille est tuée, alors il réagit.
Le premier tome de la série se compose de quatre nouvelles qui se déroulent chronologiquement. D'une histoire à l'autre, on retrouve les mêmes lieux, les même personnages qui traînent, s'ennuient et parfois, assistent Makoto. Peu à peu, le jeune homme s'affirme et l'ex-lycéen acquière une réputation bien particulière.
Ni un héros, ni un voyou, Makoto solutionne les embrouilles pour ceux qui ne peuvent pas se payer un privé et qui, pour des raisons éthiques ou de simple bon sens, ne peuvent s'adresser à la flicaille sous peine de finir eux même derrière les barreaux. Des minettes paumées qui se prostituent presque pour passer le temps, aux mômes des gangs, en passant par les apprentis yakuza, Makoto rencontre, aide et parfois, détourne les yeux. Entre les pages se déroule un quotidien fait de longues journées de glande, de magouilles pour trouver de la thune, et d'accidents qui bouleversent l'existence d'humains pas vraiment gâtés par la vie.
Et toujours un regard particulier et tendre, une observation avide de la vie d'Ikebukuro.
Un autre Japon...
L'auteur, Ishida Ira, décrit un Japon sale, pauvre, suspendu entre un passé glorieux et un avenir incertain décidé par les lois du capitalisme et de la publicité. Un Japon dont les racines sont corrompues par la drogue, les perversions sexuelles, la violence. Un Japon au repère mouvant et à la jeunesse indécise.
Et pourtant, nous sommes très loin des romans sombre de Ryu Murakami. C'est avec tendresse et espoir qu'Ishida décrit le quartier d'Ikebukuro, avoir humour aussi. Son style : un argot fleuri sans être inaccessible, direct et drôle. De la retenue toute japonaise dans les émotions qui affleurent parfois quelques instants et nous serrent le coeur, entre deux répliques bien senties.
L'enchaînement des nouvelles est fluide, cohérent et compose un tableau coloré d'un quartier de Tokyo à l'âme affirmée. Ikebukuro fait le grand écart entre une zone peuplée par des gens de la classe moyenne, voire défavorisée et des salariés chics qui travaillent dans les gratte-ciels agglutinés autour du Sunshine 60. Quand on referme le livre, on connaît les rues, les échoppes.
On a envie de s'y promener.
Trilogie ikebukurienne
En tout, trois tomes racontant les pérégrinations de Makoto ont été écrit. Le second, toujours sous forme de nouvelles assez courtes continue sur la lancée avec des petits enquêtes déclenchées par une rencontre souvent improbable où la curiosité insatiable de Makoto.
Deux des histoires mettent en scène des enfants, avec un ton émouvant et surprenant. J'ai retrouvé Makoko et ses problèmes, sa capacité à se foutre tout seul dans la mouise, avec autant de plaisir. Un seul regret, la cohérence assurée par la récurrence des personnages secondaires a disparu.
Le troisième et dernier tome, plus mince, est constitué d'une seule intrigue dans le milieu des raves et de la drogue.
L'écriture arrive toujours à concilier des thèmes relativement glauque avec un ton presque léger. Makoto n'est plus un môme confus, c'est un homme qui assume ses choix, parfois à contre coeur, parfois avec des concessions douloureuses, mais il a gagné une force, une raison d'être.
Et, quand on referme le livre, on se prend à espérer qu'un quatrième tome nous guide encore dans les rues bruyantes et animés d'Ikebukuro.