Mardi 22 septembre
Dans le frigo, de la confiture de marrons.
Elle égaye parfois mes petit-déjeuners désormais en solitaire. À la fin du mois, nous aurions dû fêter nos dix ans de mariage. À la place, c’est rendez-vous avocat, réflexions administratives pour déménager, interrogations tourbillons pour mon avenir professionnel, au point mort. La confiture a deux ans. Elle vient des Bauges, de nos vacances rando avec des amis, juste avant de déménager. Avant...
Les marrons cette année sont plus amers que sucrés et l’automne prend une saveur sèche, rêche comme un projet de vie qui n’a pas survécu à la grande lessive du temps, décoloré, rétréci, tout effiloché. Direction le compost. Le recyclage l’attend, les vers s’en gaveront et peut-être même des jolis champignons. La météo prévoit enfin l’arrivée des pluies et du gris. Les jours rétrécissent mais eux ont encore un futur commun, au cœur de l’hiver doucement, ils gagneront en force et reprendront leur étirement sans jamais se lasser de ce jeu. Avant était annoncé les résultats d’un concours pour un mini-texte jeunesse avec à la clef, formation, parrainage, mise en relation. Un concours adressé aux auteurs en voie de professionnalisation. J’ai bouclé la nouvelle juste après l’explosion de notre vie commune, fin mai. Ça été dur. Mais j’ai tenu, j’en étais fière. J’estimais avoir mes chances, et j’espérais beaucoup. Trop peut-être.
La déception ne durera pas. Je suis trop optimiste pour cultiver la
nostalgie et me repaitre d’une confiture de « si », peu roborative,
illusoire, et pour moi, destructrice. Les « si », je les laisse avec les
regrets, à ceux qui aiment les arroser et les chouchouter. J’ai bien
assez à faire, à me déraciner, à porter la boîte de vingt-un ans d’amour
maintenant close. J’ai posé mon illustre postérieur (enfin, pas
vraiment illustre surtout avec une carrière reniflant les pâquerettes)
sur le couvercle. Je n’y laisse rentrer ni aigreur ni colère. C’est mon
histoire. Celle de notre amour. Elle est finie. Mais je tiens assise
dessus, sur la boîte hermétiquement close, pour laisser à la laisser
reposer, se pétrifier ou se fossiliser peut-être. Sécher. Du minéral
rien ne naitra, aucune odeur incommodante ni aucune possibilité. Si je
la laisse pourrir, les espoirs-champignons pourraient s’y développer.
Je ne le veux pas.
J’ai entendu à la radio que les personnes qui vivaient en couple développaient moins la maladie d’Alzheimer. Je vais avoir 45 ans fin octobre. Alors, je pense à la vieillesse, à la solitude (Merci France Culture pour la thématique de la semaine). Oui, certains trouveront que je prends de l’avance mais quand on croit mordicus à un chemin de vie soudain couper sous vos pattes, difficile de ne pas remettre en cause tout et n’importe quoi… Heureusement, les personnes avec un réseau d’amis solide sont aussi plus épargnées. Et là, je suis gâtée.
Quant à l’écriture, elle fait partie de moi. Elle demande du travail,
beaucoup. Elle demande de la remise en cause – elle aussi – et elle
demande du temps. Mon attention fragmentée et ma concentration dissipée
compliquent le domptage de mot. Pourtant, je continue, et l’écriture
s’installa, tranquille, dans ma poche. Alors tant pis pour le concours,
tant pis si je ne séduis ou n’intéresse par d’éditeur. Tant pis si,
fatiguée, je lâche un peu sur mes ambitions d’être une professionnelle
(les sous, toujours les sous). Et puis, les choses qui s’écroulent, qui
s’éboulent, qui font un patatrac assourdissant, promettent parfois une
autre promenade.
Patatrac Patatrac, mon anorak
Roule, roule ma cagoule
Et, et, et mes gros souliers
On ne voit plus que mon nez
Moi je vais me promener !
Anne Sylvestre
Aujourd’hui, c’est l’équinoxe. Le partage équitable entre le jour et la nuit. Le point de bascule. Cette nuit, vers minuit, cela fera quatre mois de séparation. Une autre bascule. L’automne me plait. Ses couleurs, sa lenteur, les promesses du sommeil et les merveilleux coucher de soleil. Je suis une fille de l’automne. Un caractère immuable, rassurant. Ma date de naissance ne change pas, reste là, fixe, même si le reste se pète la gueule, avec plus ou moins de panache, ou plus ou moins de pathétique.