23 septembre 2020

[Journal] Équinoxe d’automne

Mardi 22 septembre

Dans le frigo, de la confiture de marrons. Elle égaye parfois mes petit-déjeuners désormais en solitaire. À la fin du mois, nous aurions dû fêter nos dix ans de mariage. À la place, c’est rendez-vous avocat, réflexions administratives pour déménager, interrogations tourbillons pour mon avenir professionnel, au point mort. La confiture a deux ans. Elle vient des Bauges, de nos vacances rando avec des amis, juste avant de déménager. Avant... 


Patatrac.

 

Les marrons cette année sont plus amers que sucrés et l’automne prend une saveur sèche, rêche comme un projet de vie qui n’a pas survécu à la grande lessive du temps, décoloré, rétréci, tout effiloché. Direction le compost. Le recyclage l’attend, les vers s’en gaveront et peut-être même des jolis champignons. La météo prévoit enfin l’arrivée des pluies et du gris. Les jours rétrécissent mais eux ont encore un futur commun, au cœur de l’hiver doucement, ils gagneront en force et reprendront leur étirement sans jamais se lasser de ce jeu. Avant était annoncé les résultats d’un concours pour un mini-texte jeunesse avec à la clef, formation, parrainage, mise en relation. Un concours adressé aux auteurs en voie de professionnalisation. J’ai bouclé la nouvelle juste après l’explosion de notre vie commune, fin mai. Ça été dur. Mais j’ai tenu, j’en étais fière. J’estimais avoir mes chances, et j’espérais beaucoup. Trop peut-être.

 

Patatrac.

 
La déception ne durera pas. Je suis trop optimiste pour cultiver la nostalgie et me repaitre d’une confiture de « si », peu roborative, illusoire, et pour moi, destructrice. Les « si », je les laisse avec les regrets, à ceux qui aiment les arroser et les chouchouter. J’ai bien assez à faire, à me déraciner, à porter la boîte de vingt-un ans d’amour maintenant close. J’ai posé mon illustre postérieur (enfin, pas vraiment illustre surtout avec une carrière reniflant les pâquerettes) sur le couvercle. Je n’y laisse rentrer ni aigreur ni colère. C’est mon histoire. Celle de notre amour. Elle est finie. Mais je tiens assise dessus, sur la boîte hermétiquement close, pour laisser à la laisser reposer, se pétrifier ou se fossiliser peut-être. Sécher. Du minéral rien ne naitra, aucune odeur incommodante ni aucune possibilité. Si je la laisse pourrir, les espoirs-champignons pourraient s’y développer. Je ne le veux pas. 

J’ai entendu à la radio que les personnes qui vivaient en couple développaient moins la maladie d’Alzheimer. Je vais avoir 45 ans fin octobre. Alors, je pense à la vieillesse, à la solitude (Merci France Culture pour la thématique de la semaine). Oui, certains trouveront que je prends de l’avance mais quand on croit mordicus à un chemin de vie soudain couper sous vos pattes, difficile de ne pas remettre en cause tout et n’importe quoi… Heureusement, les personnes avec un réseau d’amis solide sont aussi plus épargnées. Et là, je suis gâtée. 


Quant à l’écriture, elle fait partie de moi. Elle demande du travail, beaucoup. Elle demande de la remise en cause – elle aussi – et elle demande du temps. Mon attention fragmentée et ma concentration dissipée compliquent le domptage de mot. Pourtant, je continue, et l’écriture s’installa, tranquille, dans ma poche. Alors tant pis pour le concours, tant pis si je ne séduis ou n’intéresse par d’éditeur. Tant pis si, fatiguée, je lâche un peu sur mes ambitions d’être une professionnelle (les sous, toujours les sous). Et puis, les choses qui s’écroulent, qui s’éboulent, qui font un patatrac assourdissant, promettent parfois une autre promenade.

 

 

Patatrac Patatrac, mon anorak

Roule, roule ma cagoule
Et, et, et mes gros souliers

 On ne voit plus que mon nez

 Moi je vais me promener !

 Anne Sylvestre


Aujourd’hui, c’est l’équinoxe. Le partage équitable entre le jour et la nuit. Le point de bascule. Cette nuit, vers minuit, cela fera quatre mois de séparation. Une autre bascule. L’automne me plait. Ses couleurs, sa lenteur, les promesses du sommeil et les merveilleux coucher de soleil. Je suis une fille de l’automne. Un caractère immuable, rassurant. Ma date de naissance ne change pas, reste là, fixe, même si le reste se pète la gueule, avec plus ou moins de panache, ou plus ou moins de pathétique. 
L’automne demeure. Les mots aussi. 
 
 
 
 

17 septembre 2020

Un long voyage, roman de Claire Duvivier

 


Le roman s’ouvre sur le récit de Liesse qui s’adresse à Gémétous qui a sollicité de connaître la vérité à propos de Malvine, une figure marquante de l’Histoire. Liesse s’excuse, car pour rapporter les faits avec justesse et leur contexte particulier, il doit parler de sa vie et de son passé. Voici le début d’un conte bien construit servi par une écriture fluide et travaillée.

La célébrité par capillarité ?


Ce premier roman Un long voyage nous prend par la main, doucement. Grace à un procédé stylistique maitrisé qui évite l’artifice avec une aisance quasi magique, Claire Duvivier nous livre la vie de Liesse et le destin d’une femme extraordinaire qu’il a côtoyé de longues années. Tout commence dans un archipel perdu, aux confins d’un empire fragilisé, dans un village où le décès du père change le destin d'un petit garçon prénommé Liesse. Devenu enfant indésirable dans une famille très pauvre, il est vendu presque de force par sa mère. Elle le refourgue à l’administration du comptoir impérial de Tanitamo, la capitale de l’Archipel, alors même que l’esclavage a été aboli partout ailleurs dans le reste de l’Empire. Cet acte impliquant un bannissement loin des siens, demeure incompréhensible pour ceux qui le recueillent, et il est sera fondateur dans la vie de Liesse. La prise de conscience du tabou, du décalage, le sentiment d'être un étranger mais aussi un transfuge de classe marque profondément le caractère travailleur, jovial et parfois naïf de Liesse.

Dès le début, Un long voyage parle de choc culturel, de la difficulté de communiquer dans une langue qui n’est pas la sienne. Liesse connait plusieurs déracinements, plusieurs fractures qui le conduisent à suivre Malvine, promise à une brillante carrière. 

Adepte de la découverte totale des livres (souvent sans même lire la 4e de couverture) je te tiens pas à vous dévoiler plus d’éléments sur l’histoire à la fois étonnamment ancrée dans un quotient banal et pourtant jamais ennuyeuse, et avec des retournements très surprenants. On sait, dès le début du récit, en raison du procédé choisi par Claire Duvivier, que le personnage de Liesse survit aux évènements. Pourtant, cela n’enlève en rien le suspens et la tension, jusqu’à la toute fin du récit.

 

 

Une histoire sans flonflon ni paillette


Si la vie dans la vie de Liesse, des circonstances extérieures vont le conduire hors de son village puis de la capitale de l’Archipel ou il pensait y rester toute son existence, son courage, sa volonté et son goût pour l’effort sont également des moteurs très puissants. Liesse n’est pas ni un héros, ni un élu d'une prophétie, juste un homme avec ses vulnérabilités, ses failles mais aussi beaucoup de courage et de ténacité. Il saura respecter le silence de Malvine sur un évènement étrange et fondateur, saura dompter sa curiosité et accepter les changements, même quand il ignore leurs causes.

Sa naïveté, surtout sentimentale, le rend très attachant. Sa position et son métier nous donne des fragments éparses des grands enjeux sur la survie de l’Empire qui se joue à la périphérie. Car Un long voyage, outre la vie de Liesse, raconte par bribe, le délitement d’un Empire et sa chute, avec les conséquences concrètes pour les petites gens qui veulent une vie heureuse sans forcément être habités d’un souffle héroïque et d’idéaux qui les transcendent. La banalité de Liesse mais aussi sa grandeur d’âme par sa fidélité en amitié, son adaptabilité, une certaine nonchalance, en font un personnage que je côtoie plus dans des romans de contemporain littérature générale que dans ceux de fantasy, souvent centrés sur une figure épique qui change le monde, plongée au cœur de l’action. Ici, pas de gloire, pas de grandeur ostentatoire, pourtant, Liesse se verra le seul dépositaire d’un secret incroyable, le seul capable de comprendre et transmettre un événement hors du commun ; l’objet même de son récit.


Livre compagnon de route


Livre hybride comme souvent chez cet éditeur, Aux forges de Vulcain, j’ai été séduite par style littéraire : travaillé mais sans autres effets que ceux demandés par la forme du texte (le narrateur s’adresse à la destinataire, Gemétous, en l’interpellant parfois). Le monde est rapidement campé, avec subtilité et efficacité, et puis, quand le lecteur intégra sa normalité, ses règles, voilà que l’autrice bouleverse la donne ! Cependant, elle a au préalable subtilement balisé le terrain, et enfin, elle change de ton et de genre pour la dernière partie. Si jj’ai littéralement dévoré la première moitié de l’ouvrage, j'ai ralenti sur la seconde en raison de l’ambiance et d’échos particuliers à ma situation perso du moment. Quant à l’extrême fin, je me suis presque arrêtée, non par difficulté ou réticence mais parce que je ne voulais simplement pas l'achever. Je ne voulais pas replacer le livre avec ses congénères sur l’étagère. Je voulais prolonger l’aventure, continuer à croire à la réalité de Liesse, continuer de lire ses mémoires comme une curieuse un peu voyeuse qui aurait piqué un cahier qui ne lui était pas destiné.

Les livres parus aux Forges de Vulcain ont comme dénominateur commun de toujours me surprendre et de m’impressionner par leur qualité littéraire, même quand l’histoire, la thématique ou le genre ne me plaisent pas. Enfin, Un long voyage a deux particularités touchantes, d’abord son titre qu’on croit comprendre et dont on ne saisit le sens qu’à la fin, et enfin, la magnifique couverture en accord parfait avec le ton et le contenu, une invitation au voyage, à la fois merveilleuse et inquiétante, teintée d’un soupçon de nostalgie.


D'autres articles à lire sur ce bouquin :

Un dernier livre

Les chroniques du Chroniqueur

Just an other word

Interview de l'autrice 

Emotions