Sur l'esplanade du centre Pompidou, en accès libre et gratuit, il y a une reconstitution fidèle du sculpteur Brancusi. Il aura fallut que sa visite figure dans les « devoirs » des mes cours des ateliers des beaux-arts pour qu'enfin, je le visite. Ayant vécu des années juste à proximité, je n'ai vraiment aucune excuse à ce manque de curiosité. Même sans trop apprécier le travail de l'artiste, le lieu mérite de le détour
Rentrer dans l'intimité d'un atelier, dans son organisation, dans son esthétique, révèle beaucoup sur la personnalité et la sensibilité de la personne. Celui de Brancusi surprend pas l'agencement méticuleux de chaque œuvre, le soin apporter l'équilibre des formes. Horizontalité, verticalité et rondeur. Homogénéité de couleur avec juste des rehauts de métal, comme une dorure à la feuille d'or subtile sur une œuvre d'une grande retenue.
Assise dans la tranquillité du lieu, j'ai pris beaucoup de plaisir à y dessiner.
Le second volet de ma promenade m'a conduit à la fontaine Stravinsky et son cirque mouvant. À l'époque où j'habitais rue St-Martin, je la détestais cordialement. Ses couleurs criarde, ses formes obèses, monstrueuses, ses machines mouvantes qui pourtant ne vont nulle part. Puis, j'ai découvert la vie et l’œuvre de Niky de Saint Phalle. Une révélation. Un choc. De la catharsis à la sublimation. Mon regard sur les œuvres de cette femme a radicalement changé. J'y vois une jouissance assumée, une joie de vivre sensuelle, incarnée et une ode lumineuse qui s'émancipe des lois et des préjugés. L'esthétique, la beauté, autant de notion engluées dans des carcans sociaux et culturels dont il est possible de se libérer.
Deux dessins contrastés, selon la contrainte fourni par le prof, qui pourtant raconte la même chose : une cécité, une incompréhension sans aucun fatalisme. Celle que je suis aujourd'hui différent beaucoup de celle que j'étais à dix-ans, lorsque je suis arrivée à Paris.
Dimanche j'aurai quarante-trois ans.
Et je suis assez fière de celle que je deviens. Même si, comme l'atteste mes crobars, j'ai une belle marge de progression !
Lundi 15 octobre, alors que je rentrais chez moi, peu après 19h, j'ai été agressée. Je vais bien. Une grosse frayeur. Juste une grosse frayeur. Un an après l'affaire Weinstein et le mouvement #metoo, je prends mon courage à deux mains. Je sors du silence ici.
J'arrête de considérer que ces actes ne sont pas graves, pas importants, ne méritent pas d'être mentionnés.
Rien de grave
L'an passé, j'ai découvert avec une horreur grandissante le nombre de mes amies et connaissances qui avaient subi des agressions sexuelles et des viols. Moi je n'ai pas été violée. Jamais. Ni tapée.
Insultée, attrapée, pelotée, touchée, menacée de viol, menacée de mort, coursée, oui. Alors, sur l'échelle de l'atroce, je me situe dans le supportable. Dans l'acceptable. Parce que j'ai une image de moi pas très reluisante, que j'ai un problème de limites sur ce que je peux encaisser, je n'ai jamais considéré que ce que j'avais subi était vraiment grave.
Anormal. Injuste. Oui.
Dangereux, oui.
Mais rien de dramatique. Rien de grave.
Je ne suis plus la gamine de dix-huit ans qui débarquait, naïve, de sa ville bourgeoise où il y avait trois barres de HLM jugées « craignos » et où le principal soucis venait de la jeunesse d'extrême droite et des mômes friqués qui se poudraient le nez. La misère affective ne dépend pas du compte en banque, même si l'accès à la culture et à l'éducation reste le meilleur moyen pour s'en sortir, à mon avis.
Je sais que nous vivons dans une société patriarcale, où les droits entre hommes et femmes ne sont pas encore égaux, malgré la révolution sexuelle, malgré les mouvements féministes. Il y a encore du boulot. On évalue bien l'état de sagesse et d'humanisme d'une société à la façon dont elle traite ses minorités : le discours sur les migrants, la situation des LGBT, la persistance de la clause de « conscience » chez les toubibs à propos de l'IVG sont autant d'indices sur ses dysfonctionnements. Oui, il y a du boulot.
Je tergiverse.
Je n'ai pas envie de rentrer dans le vif du sujet.
C'est long, 400 mètres
Lundi. Une journée avec un moral en demi-teinte. Je me secoue. Un passage à Leroy Merlin. Une visite à Pompidou où je dessine dans l'atelier de Brancusi. Puis, plusieurs expos. Je rentre fatiguée, je traîne les pieds. La nuit s'installe quand je retrouve l'air libre, à la station Alexandre Dumas, sur le boulevard Charonne. Je ne sors pas là, d'habitude, je continue jusqu'à Avron. Mais, dans un accès de courage, je décide de passer faire quelques courses au super marché.
Je ne regarde pas les hommes qui zonent devant la bouche de métro.
Je traverse, la tête occupée par un milliard de trucs. Certains triviaux - comme la liste de courses - d'autres plus artistiques - ce que je viens de voir - et le prochain texte que je veux écrire. Je finis par percuter à rebours que le « mademoiselle » insistant m'est adressé. Je l'ignore.
Le type persiste, accélère, remonte à mon niveau. Je marche vite. Pas un regard, pas de pause, je trace. Je sais que le magasin est proche. Je passe devant et hop, je fais un crochet inopiné. Manœuvre d'esquive. Il ne me suit pas.
Quand je ressors, une vingtaine de minutes plus tard, mon sac à dos est encore alourdi. Je trimballais déjà matos à dessins, appareil photo et bouquins. Dans mes bras, un paquet d'essuie-tout, le comble de la sexitude. Sur le trottoir, je constate que cette fois, la nuit ne rigole pas. L'éclairage du boulevard tente timidement de repousser les ombres. Les arbres pas encore déplumés s'allient à la nuit. Plus de ténèbres.
Je vérifie quand même. Je ne vois pas le type. Il y a toujours des mecs qui traînent sur le terre-plein central. Habituel. La faune du coin, interlope, ne me rassure pas. Je traverse, et là « mademoiselle ».
Le retour.
Puis « je veux te causer ». En boucle.
Ça me saoule. Je ne me retourne pas. Je ne réponds pas. Le type vient à mon niveau. Je traverse. Il ne lâche pas. J’accélère. Il est toujours là. Je re-traverse. Je suis fatiguée. Il y a presque personne. Je passe une enseigne de Kebab. Que des hommes. J’accélère au point où je sais que c'est ridicule. Dans mes bras, je serre les essuies-tout comme un doudou. Un bouclier. Dans ma tête, la longueur sombre et solitaire du boulevard se déroule. Je commence vraiment à flipper. C'est loin jusqu'à la maison.
Je pile. Le type pile aussi. Je craque. Je lui parle.
Non. Non je ne veux pas te causer. NON. Je suis pas disponible. Laisse moi.
Clair. Pas d’ambiguïté.
Sauf qu'il ne me lâche pas, que je continue mon manège à traverser entre les rares bagnoles au mépris de la sécurité, que je m’essouffle et que le type est toujours là. Qu'il me colle franchement. Je ne sais pas quand je suis passée en mode panique. Peut-être dès que j'ai réalisé qu'il m'avait attendu. Je sors mon mobile du fond de mon sac (sans perde mes essuies-tout) et tente de joindre La Moustache. C'est idiot ; il ne pourra rien faire. J'ai juste besoin d'être rassurée. Ça va aller. Il doit être 19h30. Pourquoi tu as autant la trouille. C'est idiot ! J'entends le type qui me demande qui j'appelle. Il parle, parle. Je traverse, encore. Simule un conversation avec le répondeur. Je me sens très ridicule. Très conne. Très peureuse. Le mec me rattrape et exige que je lui parle, exige que je vienne. A ses pieds. Comme un clebs.
Je commence à comprendre que j'ai un très gros soucis.
Il n'y a personne. Juste moi et un taré qui n'entends pas NON, qui me dont la voie et l'attitude se chargent de menaces.
J'hésite. Y'a un coin de mon crâne qui hurle. Appelle les flics. Tu es en danger. Y'a un autre coin, le petit censeur interne, qui tempère. Ne te fais pas de film. Tu flippes pour rien. Accélère. Sauf que je suis à bout.
Je me suis engagée dans la rue Alexandre Dumas. Totalement déserte. Elle monte un peu. Je passe devant l'église Saint Jean Bosco, je vois de la lumière au rez-de-chaussée. Le type est à coté de moi. Je n'entends plus vraiment ce qu'il me dit. La solution est là. Je rentre dans le bâtiment. La porte se referme. Grincement. Chants religieux. Il y a une sorte d'anti-chambre et derrière, une chapelle où est célébrée une messe. Une bonne vingtaine de personnes chantent. Je m'adosse au mur, pose sac à dos et les essuies-tout.
Sueur et cœur tambour. Le mec n'est pas rentré. Sécurité. Sécurité dans un lieu où je me sens intruse. Mon athéisme en bandoulière. Tu n'as rien à faire ici. Tu devrais sortir.
Et là, tremblante, je panique pour de bon. Je réalise que je ne PEUX pas sortir. Jambes coupées. J'entends un bruit de clef et de porte. S'il revenait ? J'attrape mon sac. Je tombe nez à nez avec un homme d'une quarantaine d'année, « en civil » qui semble chez lui. Je fonds en larme (heureusement, j'ai deux rouleaux d'essuies-tout).
Je m'excuse. Lui demande s'il peut ressortir avec moi. Je me sens comme une gosse. Je suis furieuse. Reconnaissante. Coupable d'être là. Toujours terrifiée. Mon amour-propre se mange une grand claque.
Finalement, le prêtre, très gentil, me raccompagne jusqu'à l'entrée de mon impasse. Lui aussi vient d'emménager. On discute. Il me rassure.
Le type avait disparu. Il me restait à rassurer La Moustache.
Le lendemain matin, je pars pour Lyon. Il est 5h30. Les rues désertes, autant de terrains hostiles. De fantômes.
Je n'ai rien eu. Pas tapée. Pas violée
Juste suivie. Sur 400 mètres.
Il y a deux semaines, toujours sur le boulevard Charonne, un type m'a suivi dans sa voiture. Arrivée rue des Vignolles, les trottoirs animés devant les cafés l'ont dissuadé de poursuivre son monologue. Sur le coup, ça m'avait juste soulé.
Mais, les deux évènements s'additionnent. Peur exponentielle.
Alors, pourquoi l'ouvrir ? Pourquoi prendre la parole ?
L'an passé, je n'ai pas partagé mes expériences de harcèlements et d'agressions que j'avais subi. Comme je le disais en préambule, une partie de moi n'arrive pas à les considérer comme graves. Objectivement, certaines l'étaient. Subjectivement, elles sont loin.
Et puis, parler d'un truc pénible rentre pour moi dans un processus thérapeutique. Sur le sujet, ce n’est pas pas moi qui ai un soucis. Donc je tends à fonctionner avec l'oubli. Dans la vague des émissions radio et articles qui s’interrogent sur les impacts du mouvement #metoo, ce que j'ai vécu dépasse l'expérience personnelle.
Je vis à Paris depuis mes 18 ans. J'ai habité au Halles, à Barbes. Je suis assez imperméable aux commentaires désobligeants. Pourtant, voici quelques réflexions qui m'ont conduit à écrire cet articles :
- la réflexion que je me fais, quand on m’emmerde est d'analyser comme je suis vêtue. Là, j'ai listé mentalement : pas de talon, pas de jupe, pas de mini-short, un gros sac à dos, un sweater. Rien de sexy.
Comme si l'habillement était une justification pour se faire emmerder. Comme si, quand on est fringué comme un mec, on est à l'abri. Se surprendre avec ses réflexions, quand on est féministe, est affligeant. Cela montre à quelle point j'ai intériorisé une certaine misogynie fataliste. Ça me fout en rage.
- je connais les moyens de me défendre, je sais utiliser l'ironie, la dérision, dérouter, dégoûter. Mais là, j'étais vulnérable. Tout a vrillé très vite dans ma tête. Si vous ne savez pas ce qu'est le procédé de sidération, je vous invite à lire sur la question. Parfois, dans une situation d’extrême tension et de panique, le cerveau se met en pause.
- je pars du principe que de se faire emmerder, ce n'est pas grave. Encore une fois, pas tapée, pas violée. Hors, une petite lecture du site harcèlement de rue m'a remise les pendules à l'heure : quand l'individu vous suit et / ou devient menaçant, téléphoner au 17 ou au 112.
- j'ai peur de déranger, peur de demander de l'aide. Non que je veuille m'en sortir seule. Ce n'est pas une question d'égo : je ne VEUX pas déranger. C'est con. Mais je ne dois pas être la seule à avoir incorporer que les exigences masculines sont pénibles mais pas GRAVES.
Le plus dingue : je suis entourée d'hommes féministes, respectueux, qui s’interrogent et refusent cet état de fait.
- j'ai appris à écouter mon intuition même quand elle va à l'encontre des codes sociaux. Quand un individu me donne l'impression que je suis une proie, alors, je fuis. Les conventions, les politesses, la crainte de froisser, ça ne sauve pas les miches. Tant pis pour la honte. Ça se gère après.
Mon conseil : si vous vous sentez en danger, protéger-vous. On s'en fout d'être ridicules, incorrectes. Mieux vaut se tromper, s'excuser, qu'être agressée.
Évidement, il risque de s'écouler beaucoup de temps avant que je marche cette section du boulevard de Charonne seule, de nuit. Mes amis LGBT flippent de se faire casser la gueule. L'espace public n'est pas pour tout le monde. Même au XXIe siècle, en plein Paris.
Une triste constatation.
Merci à tous ceux qui m'ont déjà témoigné leur amitié et leur soutien.
Cet article ne changera en rien les agresseurs.
S'il permet ne serai-ce qu'à une seule victime potentielle de fuir ou demander de l'aide, ou à un seul témoin d'agir ou d’appeler à l'aide, il ne sera pas vain.
Une piste de défense (merci Jo !) avec des cours accessible aux femmes qui ne font aucun sport : http://lsdparis.com
Sur la place, il y a l'église Saint-Jean
de Montmartre. Je la connais bien pour avoir vécu à proximité, dans le
18e. Je la connais aussi pour avoir assisté au mariage de la sœur d'une
amie, alors que j'étais ado. Ma première rencontre avec cet étrange
édifice de brique rouge qui dissimule une structure en béton armée.
La
première construite de cette façon, entre 1894 et 1904, par l'architecte
Anatole de Baudot. Une fracture architecturale à la charnière des
siècles. Aujourd'hui encore, elle intrigue, tant par sa physionomie que
sa localisation, à cheval sur la butte, en gradin et escaliers. Je serai
curieuse d'en visiter les entrailles, sous la partie ouverte au public,
celle qu'on aperçoit en contournant le bâtiment.
Toujours
dans le cadre des cours des Ateliers des Beaux Arts, j'ai réalisés
photos et croquis. Une promenade dans mes souvenirs, de la sortie de la
station Abbesse jusqu'à la nef.
Un roman est presque irracontable en raison de son ton particulier. Il s'agit de l'histoire d'un frère et d'une sœur mais aussi d'une fille et de sa mère, construit avec des allers-retours temporels entre des dates clefs notamment 1996, l'année suivant l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo et 2013 où plane le fantôme prégnant de la triple catastrophe de 2011.
Écrire l'indicible
J'ai eu le grand plaisir de rencontrer l'auteur Kawakami Hiromi lors d'une conférence au Centre Pompidou. Je n'avais lu que « Nos années douces » qui m'avait profondément ému. Elle a décrit comment, pour chaque roman, elle mêle un fait social à l'histoire intime de ses personnages, jusqu'à ce qu'il soit totalement incorporé à sa vie. Une façon de parler de la grande Histoire par le prisme de l'humain et de l'individu. Elle a aussi expliqué avoir passé ses jeunes années à l'étranger et s’être senti en inadéquation avec le Japon lors de son retour. Sa scolarisation fut pénible avec une ostracisation. Ce décalage avec la société, ce sentiment d'être un élément exogène se ressent fortement dans ses romans. Elle ose aborder ce qu'on ne dit pas, elle ose transgresser.
Une plume douce
Avec Soudain j'ai entendu la voie de l'eau Kawakami viole d'un des tabous fondateurs de presque toutes les sociétés humaines et pourtant, elle l'aborde avec le choix de l’implicite et de la douceur. Je crois que c'est pour ces raisons que je me retrouve tant dans son œuvre : un chamboulement, une remis en cause profonde et pourtant, la violence est feutrée, étouffée. Elle se focalise sur la beauté du quotidien, les petits choses qui rendent la vie précieuse et riche.
J'ai été emmenée par le texte, secouée parfois, et il perdure une sensation de grand courage mais aussi de fatalisme face à ses évènements qui nous dépassent et façonnent nos vie, contre notre grès. Ce n'est pas un texte facile dans la mesure où sa structure et sa dimension contemplative demande d'être en phase avec la sensibilité de l'auteure pour ne pas passer à coté.
Mais, si vous lisez cette chronique, si vous appréciez ce blog, il est très probable que ce roman vous parlera et vous touchera.
Un espace tropical incongru cerné d'une rangée de colonnes néoclassiques bien sous tout rapport. Une originalité, un contraste architectural et paysager sous un rayon de soleil automnal. Je pourrais vous parler de la séduction du bananier, de la grâce des graminée, de l’aérienne esthétique des fleurs de yucca. Je préfère vous y inviter en quelques clichés choisis.
Cette semaine, j'ai été voir la magnifique exposition du peintre Jakuchu (jusqu'au 14 octobre) qui était au programme de mon cours de dessin. Je vous la conseille vivement ainsi que le catalogue. Voici les dessins réalisés dans le joli jardin de la cours intérieure. Le professeur souhaitait que l'on s'inspire du travail et de la vision du monde de Jakuchu. Je n'avais ni le matériel, ni le temps ni les compétences pour me prêter à l’excise que j'ai donc adapté à mes possibilités (restreintes). Dans le prochain article, je vous mettrai quelques photos de ce lieu que j'apprécie beaucoup et donc l'ambiance presque sauvage contraste avec l'architecture académique de style Napoléon III.
Bananier et cerisier
Brouhaha dans le dos,
vent frais sur la nuque
Les reins froids. Les fesses gelées. Parfois une apparition éclair du soleil.
Brouhaha encore, presque celui joyeux d'une cours d'école
Mais pour les vieux
Indisciplinés et heureux, attablés à la cafétéria
Bruits de mastication, tintement des couverts
Le jardin du Petit Palais, un havre pour les affamés
Difficile de se concentrer le ventre vide
De raviver la magie du peintre médiéval observateur de la vie.
Incapable d'adopter son point de vue, j'assouplis la contrainte.
Encrier d'automne
Quand les pauvres feuilles, plus malades que fatiguées de la saison hésitante, jonchent l'herbe en un tapis brunâtre et craquent, desséchées, sous les affres de leur agonie écourtée par la semelle, le salut réside dans le duvet tendre d'une plume.
Bogues éclatées et marrons lisses, fiers et luisant de bruine, ils surveillent l’hécatombe. Les arbres des contre-allées, bien mal en point, racontent l'été trop chaud, la sécheresse, la pollution.
Personne ne prend la plume pour conter leur vicissitudes.
Lila a douze ans. Garçon manqué depuis toujours, ça se corse quand la puberté se pointe. Parce qu'à l'intérieur de Lila, à l'intérieur de ce corps de jeune fille, vit Nathan. Les seins qui poussent, les règles « ça va pas être possible »...
Une fille dehors, un garçon dedans
Ce récit intimiste nous invite à partager un moment de vie fort d'un ado souffrant de dysphorie du genre. Le trait faussement hésitant, doux et pudique de Quentin Zuitton accompagne le scénario de Catherine Castro, journaliste reporter, d'une incroyable justesse. Ado en souffrance, incapable d'exprimer un mal être qui dépasse celui habituel de cette période de transformation, Lila / Nathan est en proie aux railleries, aux incompréhensions, aux craintes de ses parent qui s’inquiètent d'avoir une fille lesbienne. Lila aime les filles, mais comme un garçon. Le chemin de Lila vers Nathan s'effectue par saut, par franchissement de seuil, comme un iceberg qui craque et lentement, de fissure en faille, se détache de la banquise, avant de voguer peinard.
Nathan et les autres : un récit intimiste et pourtant universel
On suit son quotidien de Nathan, avec des flash back sur l'enfance, mais surtout on voit les impacts de ses souffrances sur autrui. La grande force et l'intelligence de ce livre est de ne pas se limiter au point de vu de Nathan. On comprend ainsi la confusion des parents, désemparés face à l'attitude et aux comportements de leur fille. Ils l'aiment, voudraient alléger sa peine, mais il / elle ne dit rien, murée dans sa douleur. La crainte des réactions, la pression sociale, le monde vaste et effrayant. En prenant ce parti de s'extraire du point de vue de Nathan, les auteurs abordent la question de la trans-identité d'un cas singulier dans toute sa complexité et touchent à l'universalité de l'humain.
Les parents de Nathan vont devoir faire le deuil d'une fille pour gagner un fils.
Montrer la douleur, la violence de la situation mais aussi la détermination, le courage et l'amour, voilà un défi réussi avec succès : la trans-identité est une souffrance mais aussi une joie, une libération. Il n'y a pas de solution simple et miraculeuse, mais il y a des possibilités. Le simple fait de parler, d'aborder le sujet sans tergiverser et de se confronter à la différence est un premier pas vers d'autres possibles, vers une autre vie.
Nathan s'apprivoise, pour lui et ses proches. Cette BD raconte une tranche de vie sans dispenser de leçon, pourtant, elle dissipe une illusion qui a la vie dure : La binarité.
Un souhait un peu fou
J'aimerai qu'Appelez-moi Nathan soit dans les bibliothèques, qu'on en parlent dans les collèges et les lycées ; qu'elle soit accessible à tous les ado. Cette BD est d'utilité publique : elle permet aux cisgenres, aux hétéros, à ceux qui se sentent « normaux » parce qu'ils appartiennent à une majorité, de mieux appréhender les différences, de comprendre la diversité du monde, de cultiver son empathie, de s'enrichir de cette variété. Pour les ado et enfants trans, ce livre est une main tendue, un silence brisé, une promesse de devenir soi-même, quelque ce soit « ce soit-même » dont on est besoin. J'espère sincèrement que cette BD va remporter des prix, qu'elle va être largement diffusée et connue, elle est un outil de communication et de pédagogie formidable.
Si certains chouinent en arguant que les auteurs ne sont pas transgenres, et donc qu'ils ne peuvent pas « comprendre », je répondrai qu'un auteur (illustrateur, scénariste, écrivain...) travaille avec, premièrement, de la documentation et deuxièmement, son humanité qu'il cultive grâce à l'empathie. Écrire sur ce qu'on n'est pas est le propre de la fiction. A mon avis, c'est aussi la plus belle façon de proposer une ouverture sur le monde. Appelez-moi Nathan est inspiré d'une histoire vraie, celle de Lucas. Catherine Castro estime la part de fiction dans cette BD à 60 % (cf lien vidéo ci-dessous).