Écrire est, depuis quelque mois, un acte en suspens. Nécessaire, et pourtant, parasité par le bordel émotionnel de ma vie. Mettre l'écriture en pause ajoute à mon sentiment de malaise et surtout, nourrit mes doutes. Alors, j'ai décidé d'attaquer le problème de biais : en participant à un atelier d'écriture.
Se jeter dans l'encre
Sur la question, j'ai lu dans des ouvrages sur l'écriture, les plus grandes louanges et aussi des critiques féroces. J'étais moi-même assez dubitative. La structure
Le labo de l'édition organise périodiquement des ateliers gratuits en partenariat avec des bénévoles motivés (cf liens). L'un deux,
David Meulemans, est le papa des éditions indé
Aux forges de Vulcain et l'initiateur de
DraftQuest : une plate forme numérique dont l'objectif hautement enthousiaste est, ni plus ni moins, que de vaincre l'angoisse de la page blanche ! J'apprécie le bonhomme, pédagogue, cultivé et avec une auto-dérision redoutable. J'ai suivi son MOOC sur l'écriture et si l'utilisation de DraftQuest s'est avérée pour trop déroutante, j'ai beaucoup appris des vidéos. Alors, pour une première tentative, les conditions me semblaient idéales.
DraftQuest : le dispositif pour se lancer (et voir si on sait nager après...)
David a commencé par la présentation DraftQuest, une application web qui permet d'écrire quotidiennement et de casser définitivement le mythe de l'inspiration toute puissante. Elle propose à l'aspirant écrivain de fonctionner avec une campagne, où il s'engage à écrire chaque jour. Il fixe alors :
- la durée de la campagne
- la durée minimale de la plage d'écriture appelée "épisode", idéalement courte, de 5 à 15 minutes. Commencer petit aide à ne pas lâcher et on peut toujours écrire plus !
- un verrouillage du paragraphe (épisode) ainsi rédigé afin d'éviter de sans cesser le retoucher.
Le troisième point est ce qui a été rédhibitoire pour moi. Dysorthographique, ne pas me relire et surtout ne pas pouvoir me corriger, implique de laisser plein de fautes puantes.
Sauf que David a prononcé le mot magique en expliquant que DraftQuest était avant tout un dispositif. Comme en art. La contrainte qu'il impose est raisonnée, utile. Ce n'est pas un outil, comme un logiciel d'aide à l'écriture. L'implication est ailleurs. DraftQuest permet de fabriquer des premiers jets, de nourrir sa créativité, de lancer la machine à histoire. D'arrêter de flipper et de passer à l'acte.
Je vais essayer d'utiliser la plate-forme pour un prochain projet, avec une campagne courte.
L'image et le mot
Lorsqu'on crée une campagne sur DraftQuest, on choisit aussi un deck d'images d'inspiration, selon un thème qui nous correspond. Travailler à partir d'images aide aussi à s'y coller même quand on n'a aucune idée. David nous en a fait la démonstration avec un petit exercice simple : on a tiré neuf dés avec les faces ornées de pictogrammes (Story cubes, trouvables en magasin de jeux) . Chacune des personnes présentes avait cinq minutes pour rédiger une histoire complète, avec un début et une fin, incluant tout ou partie des représentations tirées au sort. Le résultat fut très surprenant avec un panel de textes variés, étonnement riches en genres et en tons.
J'ai adoré l'exercice ! Si au départ, j'ai fonctionné quasi en écriture automatique, en collant littéralement aux images, rapidement, des sujets intimes se sont radinés pour prendre possession du récit (mon texte est à la fin de l'article, si vous êtes curieux). C'est assez grisant de constater qu'en cinq minutes de concentration, avec une invitation extérieure et l'image comme support, on peut « fabriquer » une histoire.
De la micro-fiction au roman, des structures communes
Là où l'affaire devient fascinante, c'est que cette micro-fiction peut servir d'architecture à une histoire plus longue, une nouvelle ou même un roman. David nous a ainsi expliqué, par l'exemple, comment découper, transformer chaque portion en épisode et ainsi, tisser la trame d'un texte complexe. Si la narration reste linéaire, il ne s'agit là encore qu'un mode de fabrication pour un premier jet. Il a également mentionné la structure narrative du monomythe (développée par Joseph Campbell) assez adaptée pour les récits de transformations et quêtes initiatiques.
Le second exercice était la création d'une histoire collaborative. Chacun jette deux dés et suit une injonction (avec un temps limité) avec dans l'ordre :
- donner le lieu de l'action (trois informations)
- créer trois personnages
- expliquer ce qu'ils font (avec une situation normale)
- donner un incident
- décrire ses conséquences
- moralité
Ce type d’exercice me plait moins, cependant, la perte de contrôle qu'il induit est très formatrice.
Enfin, l'atelier s'est conclu avec deux conseils pratiques :
- attention aux ellipses, sauter trop d'étapes dans le récit tend à perdre les lecteurs
- ne pas oublier que le texte se construit comme une fractale : le roman est une histoire, mais chaque chapitre est aussi une histoire, ainsi que chaque paragraphe. L'objectif étant de retenir l'attention du lecteur.
En conclusion, j'ai passé un moment à la fois studieux, motivant et très joyeux. Outre les conseils pratiques, je suis repartie avec de l'énergie et l'envie de m'y recoller. Boucler mon roman en cours pour attaquer ceux qui poussent derrière. Si lire sur le sujet de l'écriture reste mon moyen de prédilection pour apprendre, participer physiquement à un atelier permet de sortir du mental et de passer dans le concret, dans le faire. J'ai d'ailleurs envie de tester DraftQuest pour un projet jeunesse qui moisit dans son coin.
Une histoire de princesse... écrite en cinq minutes
"Du haute de la tour, elle contemple les étoiles. Suspendues dans la fontaine, en contrebas. L'eau calme. Pas une ride. Soudain, un bruit. Une grosse tortue émerge, pataude. Et lentement, elle avance vers le bord. Suivie d'un poisson, puis d'un autre. Des fantômes des habitants passés des douves et des lacs.
Quand le comté était encore une zone de paix.
Quand les paysans cultivaient encore les terres.
Quand les princesses en haut de leur tour servaient plus à la déco qu'à la guerre.
Le vent se lève. Les étoiles s'éteignent.
Elle fixe les feux sur la plaine. Dans le lointain, un hululement sauvage. Elle tend l'oreille. Pas un oiseau de nuit. Autre chose de plus sinistre. Vite, elle quitte son poste, attrape la torche et s’engouffre dans l'escalier de pierre. L'ennemi est proche.
Si elle survit, peut-être, demain, elle contemplera de nouveau les étoiles, dans le ciel ou dans l'eau."
Liens :