À l'heure où amateurs de culture Japonaise, passionnés de manga et d'animé, et ceux qui subissent l’intérêt de leur conjoint ou de leur progéniture, s'apprêtent à participer au grand rassemblement des nipponophile du début juillet, Japan Expo, il est intéressant de rappeler que la fascination fonctionne dans les deux sens. Sous le pseudonyme de Jean Paul Nishi, le mangaka Nishimura Taku nous raconte ses aventures rocambolesques et drôles de sa vie parisienne.
Le syndrome de Paris : le choc entre réalité et idéal
En trois manga, A nous deux Paris !, Paris le retour ! et Paris toujours !, l'auteur confronte les stéréotypes et les idées reçues, tant côté France que Japon. Quand il arrive à Paris pour vivre son rêve d'artiste, sans parler un mot de la langue de Molière, le choc culturel est violent.
Son projet professionnel consiste à trouver un poste d'assistant auprès d'un auteur de BD. Il découvre alors qu'en France, les dessinateurs ne fonctionnent pas en studio comme au Japon et que le métier d'assistant n'existe simplement pas ! Cette déconvenue ne l'empêche pas de rester.
Timide et pas très à l'aise dans sa peau, Nishi se retrouve alors, comme de nombreux arrivants Japonais, à travailler dans le quartier de l'opéra dans une épicerie de produits nippons. Il vit dans une studette sous les toits et se confronte la dimension très cosmopolite de la capitale. Perdu avec la mixité raciale, il prend même pour des Japonais des personnes qui n'en sont pas.
Ses rencontres et les amitiés qui en découlent sont extrêmement variées : de son copain Thomas, un peu otaku et dragueur, Pat, un homosexuel amoureux de culture japonaise, ses voisins africains, Karen et son caractère bien trempé qui parle très bien Japonais... Il croise aussi des compatriotes, surtout des femmes, qui viennent visiter Paris et de nouveau, la confrontation entre les attentes, les préjugés désarçonne l'auteur qui tente de s'adapter à sa vie française.
Un humour sensible pour une série touchante
Dans les trois volumes de ce manga, Nishi croque avec beaucoup d'humour et de sensibilité ses difficultés quotidiennes et ses efforts pour comprendre notre société et se trouver une place. La collision entre ses idéaux, l'image d’Épinal qu'il chérit de notre pays, et la réalité parfois déroutante, parfois franchement repoussante, est toujours drôle, tendre et d'une fraicheur touchante.
Nishi fait preuve à la fois d'une grande naïveté et en même temps, d'une grande tolérance. Il contemple, dubitatif, certains de nos comportements voire dysfonctionnement de la société, toujours avec un regard curieux, jamais cynique.
Son regard s'attarde sur ces petites choses qui font notre quotidien et que l'on ne voit pas ou plus : démonstration d'affection en publique, difficulté de donné un age (tend à « vieillir » les occidentaux)... On ne peut que sourire - ou même franchement rigolé - lorsqu'il s'étonne de impossibilité d'une clef à tourner correctement dans une serrure (vive les immeubles anciens!) ou du parcours du combattant à la poste.
Un manga surprenant et drôle
Graphiquement, le style humoristique et Nishi est aux antipodes de ce qui me plait. Pourtant, cet apriori négatif a vite était oublié dès que j'ai attaqué la lecture. Le dynamisme de la narration qui fonctionne avec de courtes scènettes nous happent dans le récit.
La vivacité des dialogues, percutants, jamais être verbeux, donne une énergie supplémentaire. Le dessin simple et lisible, est caricatural certes, mais juste. Surtout, on ressent toute la retenu et les doutes de Nishi, ses interrogations et ses surprises sont communicatives.
Les décors tranchent par rapport aux personnages. En effet, Nishi apporte beaucoup de soin à croquer immeubles et rue de Paris avec un réalisme impeccable.
La juxtaposition entre les styles fonctionne et Nishi arrive à transmettre ses émotions dans une histoire autobiographique qui évite l’écueil de l'égocentrisme. L'auteur est avant tout un candide qui regarde, surpris, tant les français que ses concitoyens qu'il croise à Paris. Un témoignage jamais cynique, jamais acide, qui révèle toute la complexité d'un choc culturel. Parfois, il renforce certains clichés, parfois il dénonce les stéréotype sans jamais tomber dans la morale ou la généralisation à partir d'une anecdote. Une série révélatrice à la fois des différences radicales entre France et Japon mais aussi d'un désir d'aller vers l'autre, de le comprendre.
Jean Paul Nishi a vécu un an en France en 2005 et il est revenu plusieurs fois notamment en 2011 pour Japan Expo. D'ailleurs, la façon qu'il a eu d'aborder l'émouvant hommage fait à Satoshi Kon m'a particulièrement ému. Ses livres se composent d'une suite de tranches de vie, plus ou moins chronologiques, à l'intérieur de chaque tome, mais les volume ne se suivent pas. Même si le premier tome A nous deux Paris ! est actuellement en rupture de stock, vous pouvez lire Paris le retour ! et Paris toujours ! sans aucun problème.
Parus chez les éditions Picquier, grand spécialiste de l'Asie, ces mangas bénéficient d'une traduction est impeccable (Corine Quentin pour le premier tome et Anaïs Koechlin pour les deux autres). Je vous conseille vivement ces ouvrages qui propose un autre regard sur la France et sur les pérégrinations d'un Japonais à Paris.
Le blog de Nishi (en japonais)
http://lostinparis.jugem.jp
Un entretien de J.P. Nishi pour la sortie du premier tome :
http://www.paris.fr/accueil/culture/les-aventures-d-un-japonais-a-paris/rub_9652_actu_117306_port_24330