« Je suis assise là, sur le quai Rauba-Capeu, à Nice. À la pointe. Là d'où je peux voir toute la baie. Sur mes oreilles, un gros casque audio, une protection, un tampon entre moi et la ville. Pourtant, les notes d'une guitare me parviennent quand même. Le soleil s'est couché derrière la colline. Le ciel incandescent rougit la Méditerranée. À quelques rues d'ici, ma grand mère agonise, et chaque jour, ma mère la regarde partir lentement.
Mes oreilles se dressent au son d'un japonais accentué. Un Français et une jolie Japonaise s'assoient à quelques mètres de moi et échangent des banalités sur la beauté du paysage. Sur les couleurs. La douceur estivale de cette fin septembre.
Ma grand mère continue de mourir. Les enfants de Fukushima continue d'essayer de vivre.
Je souhaite qu'eux aussi arrivent à l'âge canonique de ma mémé. Cent-un an. 101 ans. Écrit avec des chiffres et leur symétrie, cela impressionne encore plus.
Je souhaite qu'eux aussi arrivent à l'âge canonique de ma mémé. Cent-un an. 101 ans. Écrit avec des chiffres et leur symétrie, cela impressionne encore plus.
Le soleil a disparu depuis une bonne vingtaine de minutes. Le ciel vire au rubis glorieux avant de se teinter de fuchsia et même d'un rose barbie. J'entends les grincements de dents virtuel de la Moustache pourtant à mille kilomètres de là. Il n'aime pas trop le rose.
Derrière moi deux cyclistes s’arrêtent. L'un se plaint de la mauvaise qualité de son matériel et tente de soudoyer son comparse de lui prêter son vélo. Il marchande et supplie. L'autre cède, mais juste pour une courte distance. Leurs rires se noient dans la circulation de la Prom.
En contre bas, je sais que les derniers nageurs courageux regagnent la rive et profitent de la lumière fuyante pour se rhabiller.
Le couple mixte franco-japonais s'en va après moult photos prises avec le smartphone de mademoiselle et des petits cris aigus d'extase.
Le guitariste reprend sa musique nostalgique. Un morceau familier que je n'arrive pas à identifier. La mélodie cyclique m'évoque du Yann Tiersen ou du René Aubry.
La nuit s'installe maintenant. L'éclairage public au sodium clignote et se met en fonction, salissant toute la ville de leur orange malade. Si je m'attarde encore, ma mère va s'inquiéter.
De toute façon, je ne discerne plus les lignes de mon cahier, alors autant rentrer. Au dessus de ma tête, le ciel nocturne est souillé.
Le crépuscule s'achève, poussé dehors par la fée électricité. Une mort lente. Un anti-climax.
La fraicheur monte de la mer.
Il est temps de rentrer. »
Ce texte a été écrit il y a quelques jours, face à la mer. Aujourd'hui ma grand-mère n'en finit pas de vivre, ou n'en finit pas de mourir. Ce sont les mots de ma mère, quand elle revient de ses visites.
Heureusement, je n'oublie jamais de regarder le ciel et ses couleurs changeantes.