28 février 2013

La panne sèche...




C'est couillon, quand on vit dans un étang, de manquer d'eau. Depuis quelques semaines, je rame. À sec. Pas une ligne sur mes projets perso, mon roman végète dans un coin et mes appareils photos prennent la poussière. Bien sûr, c'est l'hiver. Et puis je ne suis pas sortie de Paris depuis trop longtemps. La méteo est peu propice aux promenades photo. Mais c'était surtout côté cœur et moral que cela flanche.


Ma vie est cool. Je ne me plains pas.
Comme tout le monde j'ai mes fêlures, mes contrariétés.




Il s'est passé quelque chose l'été dernier qui m'a fragilisé. Rien de grave. À l'échelle d'un humain, rien n'est jamais grave. Sauf la mort. Et encore, c'est plus définitif que grave. Je ne me sert pas souvent de ce blog pour déverser mes états d'âme, mais après tout, vu que je suis ici chez moi... Et puis, rien ne vous oblige à lire mes divagations !

Au mois d'août, je me suis disputée avec mon père. Ou plutôt, suite à une incompréhension débile, il a coupé les ponts. Il faut être deux pour une dispute et là, c'est unilatéral. Je ne suis pas une tête de mule, j'ai plus d'ambition que d'égo ; alors j'ai tendu la main. En retour, j'en ai mangé une sévère dans la tronche. Vraiment sévère. Comme je suis têtue et très optimiste, j'ai réitéré pour la nouvelle année.
En vain.




Au printemps je retourne à Nice pour voir ma maman. J'espère qu'à cette occasion, j'arriverai à jeter un pont au-dessus de ce gouffre qui me sépare maintenant de mon géniteur.
Voilà. C'est con.

Pas de drame, juste des humains incapables de communiquer. La source de bien des maux de ce monde. Mon père atteint un âge où sa vie se transforme en souvenir. Si certains petits vieux s'adoucissent avec le temps, d'autres se racornissent et leur quotidien rétrécit. De jour en jour, la fenêtre devient plus étroite, l'espace plus étriqué.

Je me demandais souvent comment dans des familles on pouvait arriver à ces situations ubuesques où des proches ne se parlent pas durant des années. J'ai toujours pensé qu'avec de l'énergie, un peu de tolérance, de l'amour et l'envie de se comprendre, il était possible de discuter. Le principe de la famille c'est qu'on s'aime, au départ, par devoir, par habitude. Pas parce qu'on se connaît ni qu'on a des affinités, mais à force de vivre, grandir ensemble, de se côtoyer, on s'aime.
Enfin, souvent.
Souvent aussi on aime ainsi des personnes qu'on aurait ignorées voire même détestées cordialement si elles étaient des inconnues.
Bizarrerie et charme des familles.



Je suis lucide.
Mon père ne changera pas.
Je l'accepte tel qu'il est, je n'ai pas vraiment d'autre choix. Cependant, je tiens quand même à me faire respecter. Les compromis ne me dérangent pas à condition que je n'abdique pas mon amour propre et mon éthique. Je voudrais retrouver cette relation que j'ai mis des années à établir avec lui. Nous sommes trop différents, impossible pour nous de nous comprendre et puis, en face de lui, je n'ai pas les bonnes armes.
Je sors toujours meurtrie du combat.

Avec le temps, j'ai trouvé des solutions, certes bâtardes, mais des solutions quand même, pour tenter d'avoir un échange, au moins un lien.
Il a tout foutu par terre. Je suis en colère. Un peu à court d'idée aussi. Je sais que je vais revenir à la charge. Encore tendre la main et tenter d'esquiver les coups. Je n'arrive plus à croire que ça sera facile, j'attends toujours cette compréhension, cet intérêt à mon égard que mon père est incapable de me donner. C'est pas sa faute. Il n'est pas câbler comme ça.

Mais ça fait quand même mal.



Et surtout, j'en ai MARRE que cette histoire me siphonne ma créativité et mon inspiration. Il est temps que je me passe à autre chose !

Les photos ont été prises en aout 2012 à Saint Jean Cap Ferrat

25 février 2013

Parfum de glace, de Yoko Ogawa : ce qu'il reste après la perte



Ryoko apprend l'horrible nouvelle : son petit ami, Hiroyuki s'est suicidé, sans aucun présage ni signe de mal-être. Elle découvre à ses funérailles l'existence d'un jeune frère, Akira, et d'un passé dont elle ignorait tout. Mais qui était cet homme qu'elle aimait ? Sous les non-dits et les mensonges, elle enquête pour tenter de concilier ses souvenirs du défunt avec des éléments factuels.


Exhumer les souvenirs pour faire son deuil


Face au deuil, face à la violence de l'enlèvement de l'être aimé, il arrive que les émotions ne puissent pas s'exprimer tout de suite car trop fortes et trop complexes. La narratrice est ballottée de découvertes en révélations sur l'homme qu'elle croyait connaître et dont elle réalise, avec lucidité, qu'il lui a mentit. Pourtant, ses sentiments ne sont pas altérés, au contraire. Elle part à la recherche de son passé, pour comprendre ce qu'il était, et peut-être aussi, pour comprendre ce qui a pu l'amener à commenter un tel acte. À l'abandonner.

La veille de son suicide, il lui a offert un parfum de sa composition, appelé « Source de mémoire », un testament mystérieux lié à un passé où Ryoko est une étrangère. Avec Akira, le petit frère, elle retrouve quelques fragments de phrases étranges sur une disquette. Et ce sont les seuls éléments dont elle dispose pour essayer de reconstituer la mémoire d'Hiroyuki, pour écarter les rideaux des mensonges et de la réalité déformée, pour enfin comprendre cet homme hors norme.
Outre qu'il était un nez d'une sensibilité presque absolue, c'était aussi un maniaque du classement, capable d'organiser le quotidien avec une précision et grand sens pratique. Sa perception du monde passait par le prisme des nombres et des mathématiques, utilisés de façon quasi-systématique pour appréhender les choses. Pourtant, malgré son génie et son esprit scientifique, c'est le portrait d'un homme très chaleureux et aimant qui se dégage peu à peu. Chaque indice permet à Ryoko de se sentir plus proche du défunt, jusqu'à accomplir un voyage à Prague où, dans un lieu mystérieux, elle trouveras des pistes, des propositions plutôt que des réponses. Elle trouvera surtout la force pour survive, malgré le vide, malgré l'absence.


La folie reste derrière la porte mais l'étrange s'invite à pas de loup...


Encore une fois, Ogawa écrit sur la douleur de vivre, indicible, sur les obsessions et les cadres que l'on se fabrique pour tenter d'avancer dans cette existence insensée, où la communication avec les autres obéit à des règles floues et changeantes, où il est si difficile de comprendre et exprimer les élans de son cœur. Ses thèmes de prédilections sont de nouveaux présents (classement, collections obsessionnelles, incapacité à s'exprimer...) pourtant, sans jamais être redonnant avec ses autres romans. Son écriture est d'une retenue presque prude, cependant, derrière la tempérance on perçoit le tumultes des émotions, toujours à fleur de peau, prêtes à jaillir et à tout emmener si on retire les verrous mis en place avec minutie.
J'ai toujours l'impression que dans les romans de Yoko Ogawa, la folie menace,  présente comme un fantôme, sans jamais se manifester dans le monde physique. Dans Parfum de Glace, la mère de Hiroyuki et Akira est l'élément déséquilibrée, et elle a transmis à son fils génial une partie de ses failles. Pourtant, Ryoko s'adapte aux perturbations, toujours avec beaucoup d'humanité et d'amour. C'est pour cet amour, profond sans être ostentatoire, que j'aime tant l'oeuvre d'Ogawa.

Malgré toute la tristesse du sujet - le deuil et la découverte de son impuissance et de son ignorance - le sentiment qui ressort est positif, vivant. Elle a la faculté de raconter des drames sans tomber dans le mélo ni le sordide. Elle passe par la poésie et l'étrange pour terminer son enquête, en incluant un élément fantastique qui donne à son histoire profondeur et magie.
Yoko Ogawa et comme Haruki Murakami, une source intarissable de surprise et de plaisir. Je songe que je devrais lire d'autres auteurs (ils sont nombreux à attendre sur mes étagères), et pourtant, je reviens sans cesses sur ces deux-là avec la certitude de ne jamais être déçue et que la lecture sera fascinante.


Un autre livre d'Ogawa dans l'étang :
- La formule préférée du professeur


21 février 2013

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil : un Murakami en forme de promesse



Encore une chronique d'un Murakami qui traînait sur mes étagères (et il en reste encore un paquet!). Celui-ci est une œuvre datant de 1992 et on sent dans l'écriture et la narration les prémices de ce que deviendrait 1Q84. Il s'agit d'une histoire d'amour, ou plutôt des trois histoires d'amour qui teintent et colorent la vie de Hajime, un homme né dans les années 60.

Le fantôme de l'enfance

Murakami nous raconte, à la première personne, la vie de cet homme de sa jeunesse un peu en marge, à une époque où être enfant unique à la campagne, était vécu comme une situation hors norme, presque un handicap. Quand Hajime rencontre une nouvelle élève, Shinamoto-san, elle même sans frère et soeur, son quotidien change peu à peu. Cette amitié forte lui laisse une impression durable et modèle même une partie de ses goûts. Les deux enfants passent en effet des après-midi tranquilles à écouter des vinyles de Jazz.

Des années plus tard, Hajime, devenu un homme, marié et père de deux fillettes, croise de nouveau la route de Shinamoto-san. Soudain, la mémoire ravivée menace la quiétude de son présent, envahi par les images et les sensations de son enfance mais aussi de son adolescence.

Trois femmes ont marqué la vie de Hajime, Shinamoto-san, à une période d'innocence, la petite amie de son adolescence qu'il a profondément meurtrie, et son épouse, Yukiko, qui le soutient et l'aime. Mais la présence de Shinamoto-san le bouleverse tant que sa vie semble prête à basculer. Et si toutes les autres femmes n'étaient que pâles et insipides en comparaison de la violence des sentiments qu'il ressent pour son amour de jeunesse ?

Avec son style tout en retenu, Murakami dresse le portrait d'un homme dans les années 90, au cœur de la bulle économique au Japon. Une période où la réussite sociale et surtout financière signifiait être heureux. Une période de matérialisme sans limite où un homme tente malgré tout de rester sincère dans son cœur et ses goûts. Si son affaire - deux clubs de Jazz sélects - fonctionne bien, il n'est pas dévoré par l'ambition et veut avant tout rester exigent sur la qualité du service. Il jongle entre sa vie professionnelle et sa vie privée en accordant à son épouse et à ses filles une place réelle. Et pourtant, ses aspirations profondes au bonheur sont bien différentes, étouffées par la vie qui lui a apporté succès et stabilité.

Une histoire douce et amère sur des êtres qui s'aiment mais sans que le moment soit jamais opportun, des êtres séparés par la vie, par des choix et des circonstances.

Entre les lignes

Ce roman n'est pas le meilleur ni le plus touchant de Murakami, le personnage adulte de Shinamoto-san reste si distante qu'il est difficile d'être affecté par sa situation mystérieuse. Cependant, l'écriture toujours aussi fluide et agréable en font une lecture fort plaisante. Les éléments étranges sont quasiment absents, pourtant, on retrouve une multitude de thèmes et d'idées qui seront ensuite ré-exploitées avec plus d'originalité dans des romans ultérieurs.

La narration est agréable et la construction non linéaire arrive à tenir le lecteur en haleine sur le sort d'Hajime et Shinamoto-san.

À la lecture de Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil on devine ce que deviendra 1Q84. On retrouve bien sûr la présence de la musique (Jazz et classique), mais aussi la discipline imposée au corps avec la pratique du sport comme une nécessité d'hygiène mais aussi comme une façon de vivre. Le sujet de la solitude extrême reste au centre du romans avec des êtres faussement adaptés à la société, qui en réalité fonctionnent car ils connaissent les codes mais souffrent terriblement de leur profonde inadéquation. Si le silence de Shinamoto-san adulte quant à sa situation visiblement difficile m'a un peu agacée, le mystère ne bascule jamais dans l'onirique ou le surnaturel. On est sur le fil, à deux doigts de basculer mais en final, le roman reste toujours assez sage. Et si quelques éléments surprennent, le rationnel l'emporte. On trouve aussi une réflexion en filigrane sur la notion de réalité quand le narrateur s'interroge sur la véracité de ses souvenirs et qu’il finit par douter de leur existence. Sa vie a connu de telles périodes de vacuité qu’il n’a plus confiance en sa perception du réel.

Cette lecture m'a surtout intéressée pour la mise en perspective immédiate qu'elle donne de 1Q84. C'est une oeuvre contemporaine majeure, à mon avis, et de la voir déjà naître entre les lignes de ce roman a quelque chose de fascinant. La connaissance de 1Q84 donne à ce roman un éclairage différent, plus profond, avec des indices sur le processus de création d'une histoire.

D'autres livres de Murakami dans l'étang :

- 1Q84 tome 1, tome 2 et tome 3  
- Après le tremblement de terre
- Kafka sur le rivage
- Le passage de la nuit
- Sommeil 

18 février 2013

Rêves de Japon à la Pinacothèque de Paris avec Van Gogh et Hiroshige (2/ 2)

Annaka, Soixante-neuf stations du Kisokaidō

Avec un peu de retard, voici la fin du compte rendu de ma visite des deux expositions jumelées sur Van Gogh et Hiroshige qui se tiennent jusqu'au 17 mars 2013 à la Pinacothèque de Paris. Pour lire le début, c'est ici !

Un virtuose du paysage enfin honoré

Pour les amoureux de l'art Japonais, l'exposition sur Hiroshige est tout simplement incontournable. S'il y a déjà eu plusieurs évènements semblables dans le passé, c'est la première fois qu'un seul peintre est ainsi mis à l'honneur. Hiroshige est le grand maître de l'estampe de paysage, un thème qui a renouveler pour l'art traditionnel de l'ukiyo-e. Son œuvre reste encore méconnu du grand public, l'exposition sur Van Gogh qui propose une nouvelle lecture de sa peinture est aussi un prétexte à découvrir directement les estampes qui ont tant influencé le Hollandais.

Cent vues de sites célèbres d'Edo
La Pinacothèque nous propose l'intégralité de trois des plus belles séries de Hiroshige :
- Les Cinquante-trois étapes du Tōkaidō
- Soixante-neuf stations du Kisokaidō
- Cent vues de sites célèbres d'Edo
Outre l'excellent état de conservation des estampes, toutes d'époque, divers objets en relation avec ces routes de pèlerinages sont exposé : gourde, sandale, étrier... Ainsi, ces images de lieux célèbres pour leur vue ou pour leur importance spirituelle deviennent plus concrètes. Elles sont aussi rattachées avec quotidien des pèlerins qui empruntaient ces routes par toutes les saisons, par tout les temps.

La scénographie est de qualité, plus neutre que celle de sur Van Gogh. Le lieu s'efface pour ne laisser aux estampes toute leur valeur et leur aptitude à conter ce Japon d'autre fois. Outre quelques textes de présentations de très bonne factures, j'ai beaucoup apprécié la présence avec de carte qui indiquent les routes illustrées par les séries.


Voyage dans un Japon d'un autre temps

Doucement, dans une ambiance feutrée avec un éclairage tamisé afin de ne pas endommager les estampes, le visiteurs suit les deux routes les plus empruntée pour aller de Edo à Kyoto. Toujours, dans chaque image, on trouve un ou plusieurs personnages, des pèlerins, des musiciens, des travailleurs. Le paysage exprime toute sa beauté et sa poésie car il y a un observateur pour l'apprécier. La composition, toujours méticuleuse, semble nous raconter une histoire. On s'attarde sur l'humain, tantôt perdu dans un décor grandiose, tantôt sujet principal.

Petit à petit, on oublie le musée, on oublie les autres visiteurs et on s'enfonce à rebrousse-temps dans un Japon révolu et pourtant donc le rayonnement culturel nous parvient toujours. Les couleurs, le trait mais aussi la construction de chaque estampe est résolument moderne. J'ai été très émue par un croquis original, exposé juste à coté de l'estampe, qui permet de voir le peu d'altération entre la phase de recherche et l'oeuvre finale. La finesse du trait d'Hiroshige est constante. Il est toujours très précis et pourtant ne noie pas son sujet de détails qui le brouillerait. Chaque estampe est unique, avec une ambiance, une poésie propre. Et malgré le nombre impressionnant d'images présentées je n'ai ressenti ni fatigue ni lassitude.

Cent vues de sites célèbres d'Edo
Conquise par la partie sur Van Gogh, l'expo sur Hiroshige a également été à la hauteur de mes espérances. Je vous conseille vraiment de commencer par celle sur le peintre hollandais. Plus didactique, elle sollicite bien les neurones si vous êtes dans une démarche de compréhension et d'analyse. La seconde exposition, plus esthétique, quoi que tout aussi informative, a une dimension plus reposante, à mon avis.

Si vous souhaitez prolonger le plaisir des expositions, je vous conseille l'achat du petit guide « L'Essentiel, Van Gogh, rêve de Japon » qui pour une somme assez modique explique la présence sous-jacente des estampes d'Hiroshige dans la peinture de Van Gogh. Attention, l'intérêt de cet ouvrage est avant tout la qualité des textes. J'ai été très déçu par les deux catalogues au prix prohibitif (50 euro pour 176 pages) et surtout à la très médiocre qualité des reproductions. À ce prix, autant s'offrir un autre bouquin !

Pour Hiroshige, je vous conseille l'ouvrage commenté sur les Cent vues d'Edo.

Bonne visite !

11 février 2013

Le roman Mrs Dalloway : convenances et déconvenues



Parfois, avec un peu de conviction, quelqu'un arrive à me mettre entre les mains un livre que je n'aurai pas ouvert de mon propre chef. Et je serai passée à côté de quelque chose de beau et touchant. L'écriture de Virginia Woolf m'a surprise et son originalité a effacé mes réticences sur l'aspect classique de son style (je n'aime pas la période classique, tout Arts confondus).

Un classique moderne incontournable pour les lecteurs avisés

Mrs Dalloway raconte une journée dans la vie de Clarissa Dalloway, une femme d'une cinquantaine d'années, aristocrate, qui vit dans le Londres d’après la seconde guerre mondiale. C'est une journée très particulière de préparatifs pour une fête qui se déroule le soir venu. Les points de vue se succèdent à mesure que les personnages se croisent, parfois sans un mot. Virginia Woolf saute ainsi d'un narrateur à l'autre, dans un désordre apparent, alternant hommes et femmes, aristocrates et gens du peuple. Des personnages de toutes conditions, de toutes cultures, variant sensibilité, intelligence et même état de santé mentale. À chaque fois, l'écriture s'adapte. Petit à petit, on devine que tout est centré sur Clarissa : Clarissa et sa soif de mondanité de grandes qualités, Clarissa organisatrice hors pair de soirées très courues, Clarissa épouse modèle et mère aimante...

Outre l'écriture, novatrice et résolument moderne pour l'époque, la structure du roman est également très bien pensée. Dubitative sur certains passages, certains personnages et surtout certains événements, j'ai compris, une fois le roman achevé, toute la virtuosité de la construction. Si chaque point de vue est comme une scène miniature d'introspection, ce qui s'en dégage est résolument centré sur Clarissa, Sally - une amie de sa jeunesse qu'elle ne côtoie plus - et Peter, son amoureux éconduit de la même époque. Virginia Woolf effectue non seulement des sauts entres les personnages mais elle fait aussi des sauts dans le temps, entre un présent débordé par les préparatifs et les soucis du quotidien, et le passé, chargé des souvenirs d'une jeunesse dorée, pas aussi lisse et heureuse qu'on pourrait croire.

Femmes de caractères

Le personnage de Clarissa, égoïste, arrogante, pourrait rebuter. Pourtant, on la connaît de l'intérieur, on comprend ses choix, et surtout la pression sociale et la difficulté même de manoeuvrer dans un monde et une époque, où née femme, certaines possibilités lui était retirée de part son genre. Jamais on ne tombe dans le pathos, au contraire. Malgré le choix d'une narration subjective, Virginia Woolf réussit à conserver une distance dans son ton et une impression de clareté, de netteté se dégage peu à peu. On connait Clarissa. On comprend ses tourments, ses dénis, mais aussi ses choix.

Virgirnia Woolf a eu elle même une vie difficile et hors norme. Féministe, lesbienne, elle a marqué son époque et reste aujourd'hui un auteur incontournable. Ce roman m'a laissé une impression très forte et j'ai vraiment envie de lire le reste de son œuvre. Le personnage de Clarissa est d'une complexité étonnante. Elle qui ressemble à un miroir brisé, chaque facette est lisse, parfaite mais quand on les assemble, il manque toujours des bouts. Il y a des artères coupantes. Impossible de reconstituer l'intégrité perdue.

Virginia Woolf est, à mon avis, aux antipodes de Jane Austen, une autre écrivain anglaise très célèbre. Si j'apprécie cette dernière - c'est mon côté fleur bleue - son écriture n'a rien de révolutionnaire et son regard reste celui d'une femme de la classe supérieure. Même confrontée à la pauvreté ou à des désirs d'émancipation, ses personnages arrivent à s'épanouir et à trouver amour et bonheur. De plus, elle les décrit dans leur jeunesse. Virginia Woolf, elle, dans Mrs Dalloway prend un protagoniste dont la jeunesse est dernière. Il n'y pas de grand projet, pas de grande aspiration. Juste la fièvre presque compulsive d'être une maîtresse de maison parfaite. De la nostalgie, du regret, un constat froid et objectif sur une existence qui pourrait sembler parfaite, de l'extérieur, mais qui en final ressemble a un gigantesque gâchis, à un sabotage amoureux. Un roman qui ne m'a pas laissé indemne.

5 février 2013

Rêves de Japon à la Pinacothèque de Paris avec Van Gogh et Hiroshige (1/ 2)


Jusqu'au 17 mars 2013, le musée parisien de la Pinacothèque accueille deux expositions jumelées : la première présente une trentaine de tableau de Van Gogh avec une lecture novatrice qui explique et l'influence des estampes dans l’œuvre du peintre. La seconde, consacrée exclusivement à Hiroshige propose ses trois séries d'estampes les plus emblématiques montrant les paysages d'Edo et des deux routes reliant la capitale de l'est à Kyôto.
Voici mon compte rendu d'une visite qui m'a ébloui !

L'exposition du Van Gogh : une visite à haute valeur ajouté !

Van Gogh est un peintre mondialement célèbre, on pourra croire que tout a été dit et écrit sur cet homme tourmenté, autodidacte, au style très reconnaissable. Pourtant, j'ignorais que Van Gogh était un collectionneur averti d'estampes et surtout, qu'au cours de sa vie, sa passion et sa fascination pour le Japon grandirent au point d'en faire une source d'inspiration indéniable. Cette exposition ne se contente pas de juxtaposer des toiles et des photos d'estampes pour montrer l'influence de ces dernières.

Elle dissèque l'oeuvre du hollandais, l'analyse avec finesse sans tomber dans des considérations intellectuelles suffisantes. La pédagogie est partout : les tableaux ont été ré-encadré tous de manière uniforme, ainsi l'attention sur la toile n'est pas déviée par un cadre rococo. À coté de chaque tableau on trouve un panneau avec une ou plusieurs reproductions d'estampe avec. L'élément principal que l'on retrouve en écho dans la peinture de Van Gogh est mise en avant, clairement identifié. Des extraits de correspondances, souvent avec Théo, montrent à quel point Van Gogh a intériorisé le Japon. Il s'est approprié ses paysages mais aussi les techniques picturales tant par la gamme de couleurs, le trait que la composition (en général inversée car les estampes se lisent à la japonaise, de droite à gauche).

Oliveraie (Van Gogh, juin 1889) et Plage des Danseuses (Hiroshige 1853)


L'exposition se divise en plusieurs thèmes avec, dans chaque espace, un fond de couleur différent qui se marrie avec la gamme des tableau et l'ambiance. Comme il y a peu de peintures, réparties sur une grande surface, on circule bien. Les textes explicatifs sont condensés en quelques panneaux clairs et concis. Je regrette juste que les éléments biographiques soit éparpillés. Un rappel sur la vie de Van Gogh dès l'entrée aurait pu aider à se remettre dans le contexte. Cependant, j'insiste vraiment, cette exposition n'a rien d'élitiste, au contraire. Sa pédagogie m'a séduite. Je pense qu'elle présente aussi une belle initiation à la peinture pour les plus jeune.

Van Gogh : le Japon intérieur !

Pour Van Gogh, le Midi de la France est devenu un autre Japon, son « Japon ». Il a extrapolé les paysages des estampes et intégré ses lectures sur le pays du Soleil levant comme autant de preuves tangibles d'un lieu merveilleux, subtil et où l'art est un élément central. Son Japon intérieur est touchant de naïveté, d'une fraîcheur enfantine. À noter que Van Gogh considérait que l'art Japonais était en décadence depuis l'ouverture du pays à l'occident et que c'était, en Europe, par le mouvement du Japonisme que la tradition japonaise se poursuivait. Van Gogh ignorait - par méconnaissance ou déni - que le mouvement même de l'ukiyo-e venait de l'intérêt des artistes japonais pour les maîtres hollandais.

On retrouve ainsi ce mouvement perpétuel d'inspiration entre Europe et Japon, cette attirance réciproque qui nourrit l'Art et fait qu'il s'inspire, tout en oubliant souvent les sources même de ce qui le fascine au départ.

Si à ses débuts Van Gogh s'est ouvertement inspiré de ses paires pour apprendre la peinture, copiant même des tableaux célèbres, j'ai l'impression que son goût pour le Japon est plus profond, plus intérieur que de la simple influence. Je ne suis pas certaine que l'artiste lui même avait conscience de la modification de sa peinture mais aussi de son œil.
 Il écrit à son frère qu'il installe des estampes dans son atelier. Il a toujours à porté du regard les paysages du Japon qui se transforme avec le temps en paysage familier, alors qu'il ne voyagera jamais là-bas. Il parle de la capacité du peintre japonais à saisir en quelques trait rapide l'essence même d'une scène, alors que lui même travaille à l'huile - une technique qui prend du temps, notamment avec les durées incompressible de séchage entre les couches. Quand on observe les toiles de Van Gogh on voit que la peinture ne recouvre pas tout, la trame apparaît encore. Et les traits sont vifs. Je me demande, dans quelle mesure, outre l'aspect esthétique des estampes, il a aussi essayé d'intégrer la méthode de réalisation.

Jardin de l'asile de Saint-Rémy (Van Gogh, mai 1889)

L'évolution dans la présence fantomatique du Japon dans l’œuvre de Van Gogh est flagrante. Plus son état mental se détériore, plus ce pays porteur de fantasme, intériorisé jusqu'à devenir une part créative de lui-même, prend de l'ampleur et s'émancipe jusqu'à devenir un reflet poétique et déformée d'une réalité distante.

Tout les amoureux du Japon, qu'ils aient eu le plaisir ou non de visiter l'archipel, accompliront ainsi un double voyage dans cette exposition. D'abord une visite esthétique et très didactique, mais aussi un parcours plus initiatique qui révèle le poids de la subjectivité sur la perception que l'on peut avoir d'un pays, d'une culture, d'un peuple.

À suivre, pour la seconde partie du compte-rendu sur Hiroshige.

Les infos pratiques c'est ici :
http://www.pinacotheque.com/no_cache/fr/accueil/expositions/aujourdhui/van-gogh.html

La chronique de la visite sur France info :
http://www.franceinfo.fr/culture-medias/sortir-ecouter-voir/van-gogh-et-hiroshige-une-double-exposition-a-la-pinacotheque-de-paris-786409-2012-11