23 juin 2020

« Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais » de Joranne, pour découvrir une culture par l’insolite et l’humour





Depuis plusieurs années, le Japon a le vent en poupe chez les éditeurs. Récits, carnets de voyage, et adaptations de blog BD fleurissent dans les rayons des libraires. Je reste souvent dubitative sur leur intérêt réel, outre l’exotisme de façade. Entre stéréotypes et ambiance « kikoulolbisous » sans analyse ni poésie, le Japon présenté me paraît bien simpliste et caricatural, très éloigné du pays qui me fascine.
Cet a priori négatif m’a tenu à distance du livre de Joranne jusqu’à ce qu’Alice, du blog Lire le Japon m’incite à le lire. Et je lui suis grandement reconnaissante !


Nonobstant la qualité des illustrations et du travail graphique de Joranne que je connaissais déjà, l’humour n’est pas ma tasse de thé. Je me suis donc plongée dans cette lecture avec circonspection. Quelques pages plus tard, happée par les différentes légendes plus ou moins farfelues sur les origines des maneki-neko, j’étais conquise. L’ouvrage présente un panel d’objets emblématiques du Japon, certains très connus, d’autres plus confidentiels (comme les kiuso qui m’ont ému).

Que vous soyez féru de Japon ou ignorant mais curieux, vous trouverez votre bonheur. Cet album mêle photos documentaires, textes rigolos et informatifs, illustrations réalistes et adorables, ainsi que dessins dérisoires de la narratrice qui y va de ses commentaires un peu débiles et plein d’entrain. Avec une franchise rafraichissante, parfois crue, jamais vulgaire, Joranne raconte la vie de ces objets incontournables du Japon, des grandes aux petites histoires sans se limiter au folklore. Elle incorpore les évolutions récentes, les fausses rumeurs (comme le lien entre kokeshi et enfants morts) et expose le talent incommensurable des Japonais, capables de vendre des objets même quand leur fonction première n’existe plus (par exemple protéger de la variole pour les daruma). Tous ceux liés à la religion ont l’avantage d’être détruit par le feu lors de rites annuels, et donc d’être remplacés, contre monnaie sonnante et trébuchantes. Ils sont forts ces Japonais !
J’ajouterai pour ceux qui, comme moi, sont des adeptes des washlets, les fameuses toilettes japonaises, que le livre de Joranne m’a rappelé un passage très drôle du recueil de poésie Tokyo infra-ordinaire de Jacques Roubaud dont je vous conseille vivement la lecture.



La particularité de Maneki-neko et autres histoires d’objets japonais est de livrer au lecteur, par le prisme des objets choisis, la richesse et la complexité du pays. À l’heure où Mari Kondo est la star de Netflix et où on associe souvent Japon avec minimalisme et élégance, Joranne nous rappelle le poids et l’importance des objets qui allient une tradition parfois plus récente qu’on pourrait le croire, à une dichotomie très japonaise : conservation et impermanence.
Point d’entrée dans le quotidien du plus trivial au plus spirituel, voilà un album idéal pour découvrir le Japon ou approfondir ses connaissances. De bel facture, cet ouvrage assez inclassable bénéficie d’une très grande lisibilité de maquette. Un peu foutraque quand on le feuillette rapidement, j’ai été surprise à sa lecture par son ingéniosité et sa rigueur. La densité d’informations, le sérieux des recherches, et l’humour bien dosé le rend très accessible. Au travers de ces objets, Joranne parle d’humains, et au-delà des différences culturelles, nous sommes bien semblables dans nos corps et nos aspirations.

Liste des objets abordés : Maneki-neko, Sarubobo, Kokeshi, Shisâ, Daruma, Noren, Kotatsu, Washlet, Fûrin, Katori buta, Kiuso, Osechi-ryôri, Inu hariko, Marimo.

Si vous êtes curieux :
Un autre avis chez Le Japon en papier relié

19 juin 2020

L’amie en bois d’érable, un album jeunesse sur les transmissions invisibles et bénéfiques




Voici un nouvel album écrit par Delphine Roux et illustré par Pascal Moteki, une association de deux sensibilités japonisantes avec une alchimie parfaite. Cette fois, en quelques pages, elles racontent à la fois le destin de Tomoko, une petite fille, et de sa kokeshi, poupée traditionnelle en bois.


 

L’amitié d’une kokeshi


Tomoko reçoit en cadeau de sa tante Nami une jolie poupée en bois d’érable, ornée d’Iris. Très vite, elle partage le quotidien de l’enfant mouvementé et joyeux jusqu’à une après-midi fatidique. Un jour de pluie, Tomoko et sa maman se réfugient dans un salon de thé où elles admirent les jolies céramiques. Mais en chemin, la kokeshi est tombée du sac. La perte affecte la petite fille même si sa tante la réconforte en lui expliquant qu’elle aura été trouvée. Tomoko, grâce à un cours d’initiation à la poterie, découvre sa vocation. 
Les années passent, devenue céramiste, la vie met de nouveau sur son chemin la précieuse kokeshi.


Pascale Moteki et Delphine Roux, le duo de choc !


Les dessins de Pascale Moteki au graphisme à la fois simple, réaliste et élégant, illustrent à la perfection cette histoire. Ils dressent un décor exotique pour ceux qui ignorent tout du Japon et pour ceux qui connaissent le pays, les transportent directement là-bas. Loin des clichés, Pascale Moteki a la justesse de croquer les détails moins glamours comme une dentition imparfaite, de présenter la multitude chaotique des outils de l’artisan, les pâtisseries à l’influence française à la fois familière et étrange. Elle arrive avec des aplats et des formes faussement lisses à donner toute la complexité de la vie. Le texte de Delphine Roux, poétique et facile d’accès pour les enfants, propose un récit d’une grande profondeur. Elle manie l’ellipse temporelle avec talent et réussit le tour de force dans ce court album à parler à la fois d’enfance mais aussi d’avenir, de transmission qu’elle soit par la présence de l’objet kokeshi ou de la rencontre avec un potier.






La vie apportée par l’objet inanimé


Porteuse de l’amour de l’enfant, réalisée en bois et peinte avec soin, la poupée kokeshi devient un objet relais, un lien chaleureux entre des humains. L’objet circule, fabriqué, acheté, donné, perdu, trouvé, transmis. Il se charge d’une force et d’une symbolique de vie, complexe et contradictoire, incorporant à la fois amour, tristesse, joie et espoir. Il porte les souvenirs et prend, à la fin du livre, une dimension de signe providentiel ouvert sur l’avenir.

Cet album est arrivé dans ma boîte aux lettres à une période très particulière pour moi (cf mon précédent article du blog). En transition, ballotée entre l’arrachement d’une perte et le désir d’avancer dans ma vie, j'essaie de surnager. Les rencontres nous façonnent et cette rencontre avec L’amie en bois d’érable m’apporte confiance et espoir. Elle m’aide à clore doucement la porte, à ranger dans mon cœur les souvenirs précieux, tout en me tournant vers l’avenir, et à lâcher prise sur la perte.

Nous avons tous une ou plusieurs choses à faire tant qu’on vit. Personne d’autre que nous peut les faire à notre place, mais les rencontres – avec d’autres humains ou des objets dont les livres – nous aident les découvrir et à grandir. 
Même adulte, même parents ou grand-parents peut-être pour certains d’entre vous, les albums jeunesses nourrissent et apaisent notre enfant intérieur. 

Merci à Pascal et Delphine pour ce précieux cadeau. 




Le site de l'éditeur HongFei


À lire aussi :
- Critique de Télérama


1 juin 2020

2010-2020 - Rupture




Ce blog a dix ans aujourd'hui. Il vivote, avec des hauts et des bas, en fonction de mon aspiration et mon inconstance. Pourtant, il existe toujours, comme moi.

Certains qui me suivent sur les réseaux sociaux savent que ma vie perso tremble et se fissure. Mon compagnon et époux me quitte, après une belle histoire de 21 ans. L’amour et la volonté ne suffisent pas. Les dysfonctionnements virent au toxique et une collègue prend la relève.

Je perds mon amour, je perds le foyer idyllique acheté il y a deux ans.
Je perds un avenir que je pensais solide.
Patatras.
Je perds aussi un cocon devenu prison.

Mon égo se prend un coup de pelle. La personne qu’il décrit me paraît bien peu aimable, pour ne pas dire abominable. Je ne suis pas une nana facile. J’oscille entre hypersensibilité avec empathie débordante à froideur extrême avec zéro émotion et analyse purement factuelle d’une situation. Invivable. Ces deux pôles contradictoires tendent à s’affirmer avec le temps. Je navigue dans ces eaux étranges sans connaitre les courants et parfois, je m’échoue un temps, oublie le monde, avant de sortir la tête de l’écume, étonné de voir autour de moi d’autres humains.



Dix ans de blog.
Une rupture, une déchirure, un arrachement.

Je vais quitter Paris.
Le territoire trop chargé ne me laissera pas m’envoler. Je ne peux plus contempler la ville sans risquer d’être prise en embuscade par une tristesse trop grande. À chaque coin de rue, autant de souvenirs heureux soudain virent au aigre ou l’amer, autant de marque sur le cœur. Je vis à Paris depuis l’été de mes 18 ans. J’aurai 45 ans à l’automne.




Une amie m’a dit « ho, une deuxième vie ! »
Une autre me dit « 10 ans, les noces d’étain. Tu éteins ton ancienne vie pour en allumer une nouvelle, si possible dans la ville qui fête ses lumières » (Coucou Leslie)
Je prévois en effet de partir pour Lyon.
J’ai tellement de chance d’avoir vécu un bel amour. J’ai tellement de chance d’avoir autant d’humains qui veillent, parfois de très loin. C’est si difficile d’encaisser, de lâcher. Mais, au milieu de ce bordel, j’ai la certitude de savoir ce que je fous sur cette terre, pourquoi je suis là. Écrire. Même maladroitement. Même si vous êtes une poignée à me lire ici. Même si cela ne va pas me faire bouffer (bon, en ce moment, je ne graille pas des masses).


Ça va aller.




Photos prise le 9 novembre 2019, au Japon, au temple Kôzen-ji, Komagane
Merci à EM pour votre présence et votre amitié