22 décembre 2020

|Journal] Passer l'hiver

 

 Après le solstice, un équilibre étrange fige la nuit. Au premier janvier, la lumière n’aura grignoté que cinq minutes. Dix jours pour cinq minutes. Un funambule sur la ligne d’horizon, avance à pas feutré, étouffant ses désirs de cabriole, dans la crainte de retomber dans les ténèbres. L’année agonise doucement, traînant son lot de chagrins et de chocs, de naissances et de joies. Certains l’ont qualifiée, à tort, de pireannée de l’humanité.

Je n’ai perdu personne de la pandémie, j’ai perdu d’autre chose, et surtout d’autres personnes. Je ne regretterai pas 2020. Regretter n’est pas dans ma nature. Et je m’astreins à en arracher les racines de mes veines, une hygiène souvent douloureuse mais salutaire.


La nuit s’étire. Si j’aime son calme, sa tranquille torpeur, son cocon de mystère, elle noie le paysage, grise et floute les plans, brouille l’essentiel, ombre les émotions, tamise l’enthousiasme en une poudre soluble dans la peur et l’angoisse. La longue nuit use les âmes.

L’hiver, trop doux, lui aussi manque de vitalité et son pouvoir de réduire au silence les nuisibles s’amenuise avec les années. Tout le monde s’épuise. Même les saisons.


Autour de moi, tant d’amis souffrent, s’inquiètent d’un avenir branlant, de revenus qui s’évaporent, de l’impossibilité de se nourrir de ces choses non-essentielles qui séparent la survie de la vie. Ces choses et ces expériences qui nous lient, nous subliment, nous apaisent, nous violentent aussi parfois, nous secouent, nous agacent, nous transforment, nous emplissent de joie, d’amour, nous enchantent.

Autour de moi, le monde me rebute, et je m’y cogne toujours, avec de moins en moins de force, de moins en moins d’envie. Je limite les contacts, les sollicitations, je tisse une toile de taille plus modeste mais à la maille plus fine, plus solide, chaude et moelleuse.


Paris, bruyante, dense, sous les illuminations des fêtes, se précipitent dans les heures du jour avec la pression sourde du couvre-feu, des contrôles, et du risque invisible. La campagne boueuse me manque. Crépuscule de feu, bleu glacé des matins, givre et nuée, odeur d’humus et de fumée, tout me manque ici. Les rires du foyer et les pépiements dans les cimes raisonnent encore dans le silence feutré d’un appartement trop grand. Vide.


Passer l’hiver, dit le dicton populaire. Passer l’hiver, dit le recueil de nouvelles douces-amères d’Olivier Adam. Passer l’hiver, cette année, me paraît l’unique résolution possible pour l’année en gestation.

Pas à pas, heure par heure, cœur à cœur, passer l’hiver.

 





 


2 décembre 2020

NaNoWriMo 2020 : bilan en demi-teinte



En déclarant ma participation au NaNoWriMo cetteannée, j’espérais trouver l’énergie pour écrire 50 K mot sur plusieurs fronts : d’abord des articles de blog, ensuite, un texte de non fiction, très personnel. Le défi sur ce plan m’aura permis de m’apaiser, même si le résultat ressemble plus à un champ de mines qu’à un quelconque texte vaguement publiable. Même pas un brouillon, juste un truc vomi, à la granulométrie variable, à la dureté fluctuante et à la viscosité pâteuse. L’introspection souvent pénible imposée par l’exercice m’a laissé plusieurs fois exsangue, dans un contexte d’absence de repère particulier, ou plus exactement, un contexte de repères qui n’étaient pas les miens.

Durant tout le mois, j’ai partagé le quotidien et le rythme d’une famille avec un emploi du temps chargé, alors que de mon côté, ma vie tient du pont suspendu au-dessus du vide, dans un paysage nimbé de brouillard. Je ne vois plus d’où je viens et je ne sais plus trop où je vais. Je me contente d’avancer, pas à pas, sur des planches parfois vermoulues, souvent je suis prise de panique par les interstices vertigineux. Les mains agrippées au cordage usé, une prière sans conviction pour garder de l’espoir. Avancer. Mais je pourrais tout aussi bien poser mon cul et balancer mes jambes, un temps infini, jusqu’à ce que les muscles fondent, que mes membres s’atrophient et que j’en perde mes chaussures.

Je vis mal cet échec. Il s’amoncelle sur le tas toujours plus haut des déceptions alors que je tourne résolument le dos à celui des accomplissements et de réussites, refusant de comptabiliser le positif. Crétin de cerveau.

Joyeux biais de focalisation sur les trucs ratés, pourris, qui font mal. Je le sais, mais pour l’instant, je le laisse planter ses crocs dans mes mollets. Essayer d’avancer sur un foutu pont brinquebalant avec des kilos de tristesse et de désillusions, quel exercice à la con !

Alors, la quantité de mot n’est pas au rendez-vous cette année. Pourtant j’ai pissé de la ligne, tous types d’écriture confondus, sans trop me relire ni corriger. Malgré cela, je n’ai pas tenu la distance.

 


 

Si je regarde le chemin accompli, j’ai mis à jour mon blog avec quelques articles perso et surtout, l’un assez conséquent, au sujet de l’apprentissage du japonais. D’ailleurs, une partie de la raison de mon échec du NaNoWriMo cette année tient au temps passé à dépoussiérer de façon compulsive mes connaissances, surtout pour les kanji. En un mois, j’en ai réappris bien 150 et si j’intègre ceux en cours, je monte à plus de 200. Pour le vocabulaire, il y a encore du boulot. Je n’ai pas non plus pris le temps de réviser la grammaire, avec de l’écoute quotidienne de 30 min à deux heures de podcast en japonais, certaines structures reviennent doucement. Je ne pensais pas m’impliquer autant, j’avais prévu d’autres activité manuelles pour ce mois de novembre, dans


la campagne belge : apprendre les bases du crochet qui s’est avéré problématique en raison de la laine conseillée par la vendeuse de la mercerie (il est impossible de défaire mes ouvrages), et dessiner. Une activité qui demande trop de concentration et laisse trop d’espace de silence dans mon crâne. Mes pensées et mes ruminations gambadent alors et jouent à saute-mouton.

Oui, j’avais un peu chargé le programme de novembre, surtout avec un moral au plus bas et une procédure de divorce en cours. Cependant, je croyais sincèrement réussir, cette année, à produire cette quantité de mots, à atteindre les 50 K. En travaillant sur soi, sans écrire une histoire, mais son histoire, en imaginant et s’imprégnant non d’une ambiance mais de son état intérieur, le flux a été irrégulier et souvent, malgré l’envie et l’attente, un maigre filet de mot a jailli, à peine un pissouillou, pas de quoi remplir une citerne. Ce texte-ci compose en quantité les 2/3 de ce que j’ai pondu, à savoir 44 K mots.

Et je ne sais que faire avec, à part continuer le travail.

 


 

La bonne surprise du NaNoWriMo s’est produit sur les derniers jours. Un auteur que j’apprécie beaucoup, Nicolas Pages, a partagé un appel à texte de son éditeur lyonnais – une incitation forte vu mon souhait de relocation – réservé uniquement à des autrices. J’ai gardé l’info dans un coin de mon crâne, et un bout d’idée s’est agrégé à un autre, à des réflexions et inquiétudes, et hop, un bout de machin qui pourrait être un nouveau texte a pointé son nez. Obéissant à la loi du NaNoWriMo qui consiste à balancer pêle-mêle les phrases qui te passe par la tête, je me suis lancé, encore une fois sans filet, dans une fiction. J’ai des projets qui attendent que je passe à l’acte. Ils sont structurés, documenté, bien rangés. Et, aussi, ancré dans le naufrage de mon ancienne vie. Trop teintés de perte pour l’instant. Alors voilà, je m’embarque dans un machin sans rien connaître, j’ai une vague trame, une idée de fin et deux personnages. Je verrai où ce truc me conduit, que se soit un court roman qui rentrerait dans les clous de l’appel à texte, ou une nouvelle ou novella, qui ira grossir le tiroir des machins finis et non publiés.

Cette année, le NaNoWriMo est un échec puisque je n’ai pas franchi la ligne d’arrivée visée. Le défi m’aura aidé à écrire, au quotidien, et par mon implication sur le blog, à partager mon expérience sur l’apprentissage du Japonais. J’ai à ce sujet un second article en préparation.

Par rapport au deux dernières années, novembre aura été un mois relativement productif et épanouissant sur le plan créatif et surtout, pour ma remise en cause perso, qui tient plus de l’intervention d’une garnison armée de pelleteuse que d’un d’un travail méticuleuse, réfléchis et constructif. À force de tout foutre en l’air, je suis au moins dans l’air du temps, de la déconstruction du moi et de la culture acquise, hétéro cisgenre, colonialiste, patriarcale et tutti quanti. Émancipation me voilà (ou juste chaos et destruction).