31 octobre 2012

Hiroshige, cent vues d'Edo : Instantanés de Japon


Voici un livre d'art à regarder mais aussi à lire. Écrit pas un spécialiste de l'estampe, Mikhaïl Ouspenski, ces cents images d'Edo dessinées par Hiroshige nous plongent dans le quotidien révolu d'un Japon en pleine mutation, quand son contact avec l'occident commence à empeigner la culture.


Un Japon d'images et de mots

Outre les belles planches d'estampes - motivation première, je l'avoue, de mon achat - ce livre fourmille d'informations passionnantes. L'introduction à elle seule justifie l'investissement !

À travers une courte histoire de l'estampe retracée dans les grandes lignes, on comprend le contexte et la filiation dans lesquels s'inscrit le travail d'Hiroshige.

On considère souvent l'estampe japonaise comme un élément incontournable de l'art de ce pays, en oubliant que ses sources proviennent de l'Europe. C'est en observant les tableaux des peintres Hollandais, notamment leur approche de la lumière avec le clair obscur, et leur technique de perspective, que les artistes japonais ont trouvé une inspiration nouvelle.

Ces estampes ont ensuite, à leur tour, influencé les artistes occidentaux. Le Japonisme était né. Un va-et-vient entre deux mondes étaient lancé, un mouvement perpétuel qui continue toujours à nourrir l'inspiration tant en occident qu'au Japon.

Enfin, en donnant les particularités des maîtres précédents Hiroshige, on comprend mieux ce qui caractérise sont approche et ce qui la différencie notamment d'Hokusai. La vision plus humaine, plus intime d'Hiroshige invite moins à la contemplation spirituelle mais plus à l'émotion. Ses paysages sont habités non par un divin grandiose mais par la magie des petites choses de la vie.




Voyage dans des temps révolus

L'ouvrage présente ensuite chaque estampe avec un texte explicatif. Elles sont classée par saison. Outre une description du lieu, l'auteur nous donne des informations précieuses et agréables sur la vie quotidienne. Avec un détail, il nous transporte dans cet Edo du passé avec poésie et précision.

Mises à part quelques maladresses de traduction (le terme hiéroglyphe est employé pour parler des kanjis, les idéogrammes chinois), j'ai trouvé le texte vraiment abordable même pour des personnes ne connaissant pas bien le Japon. La grande histoire est relatée en filigrane avec des petites anecdotes et des légendes. Bien-sur, ce livre ne se dévore pas comme pas un roman, il se feuillette, se picore. Et à chaque nouvelle estampe, on découvre un autre quartier, de nouveaux métiers, des traditions. Un peu de ce Japon révolu qui fascine toujours.

Hiroshige, Cent vues d'Edo est donc un livre d'art pas trop onéreux où les reproductions sont magnifiques, et où le texte n'est pas décoratif ni pompeux. Un beau cadeau pour les curieux du sujet ou pour les amateurs de belles images.




Ce livre a été chroniqué dans le cadre du défi lecture "Image du Japon", il s'agit du cinquième ouvrage sur ma liste. N'hésitez pas à participer vous aussi, le défi est prolongé jusqu'au printemps 2013 !

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 12 / 24



Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Nous sommes déjà au milieu de l'histoire. Merci à ceux qui continue de la suivre :)
Si vous ne connaissez pas Sherlock, voici un article pour commencer.



Chapitre 12

Je me retrouve dans la rue. Le bruit de la circulation parvient à mes oreilles, comme étouffé par du coton. Comme si une déflagration avait momentanément assourdi la ville, rendu mes organes incapables de fonctionner. L'image rémanente de sa silhouette élancée qui disparaît dans l'escalier. Ses pas feutrés, légers, puis le silence. Moi, planté sur le trottoir, hébété.
Je me retrouve dans la rue, à marcher comme un zombi. Une seule pensée cohérente. Sherlock m'a embrassé. Je connais le chemin. Mon cerveau est off. Réfléchir plus tard. Sherlock m 'a embrassé ?!
Pourquoi ? Ok, la question est idiote. Je ne suis pas idiot. Pas à ce point.
Sherlock m'a embrassé ?!
Vraiment embrassé.

I let the cat out of the bag... Illustration de Anne Jacques


Il est 18 h passées et le jour commence à décliner. Au loin, les nuages se teintent d'un rouge trop vif et le ciel se dégage par l'ouest. Quelques mouettes planent dans le ciel, elle vont probablement piquer leur pitances aux canards trop gras de Regent's Park. Il y a du monde dehors. Des gens qui rentrent chez eux, à pied, comme moi. Je croise une femme d'origine indienne, ou pakistanaise, qui accompagne une smala d'enfants bien blancs. Une nounou. Un couple âgé se chamaille gentiment devant une carte de la ville, je m'éclipse avant qu'ils me demandent leur chemin.

Sherlock m'a embrassé.

Mon sac de sport négligemment jeté sur l'épaule, j'arrive au bâtiment moderne qui abrite un complexe d'activités. C'est ici que je fais le tang soo do. J'avais envie de tester un nouvel art martial. Avec des pratiquants moins bourrins que ceux qui s'adonnent au pankras et au tae kwon do. Je n'ai plus vingt ans... Une bonne suée, voilà de quoi me changer les idées. De quoi chasser les yeux trop clairs de Sherlock. Le souvenir du contact trop bref sur mes lèvres.
Il m'a embrassé.
Des implications que je ne comprends pas. Que je n'ose pas déduire.

Feinter. Taper. Feinter. Taper. Se manger une bonne beigne de temps en temps. Frapper jusqu'à avoir mal aux articulations. Sentir tout son corps s'alléger, suivre. L'odeur de la transpiration pique mes narines. Après le cours, et l'entraînement en binôme, j'ai décidé de prolonger un peu la séance. Pousser le mouvement, être plus vif.
Jusqu'à ce que l'entraîneur vienne me sommer d'arrêter.
— Hey ! Watson, tu t'es encore fait plaquer ou quoi ?
Je secoue la tête à la négative. Je reprends mon souffle. Le coup de mon pied droit me fait mal.
— Juste besoin de me vider la tête...
— Ça suffit pour aujourd'hui. Assez usé tes gants et tes chaussures. Va à la douche.
J'acquiesce.
— Je termine bientôt, ça te dis qu'on aille se vider une pinte ?
Le coach est un ancien militaire. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai choisi ce club.
— Merci, mais pas de pub ce soir. Je suis attendu.
Je sais que j'ai un sourire con. L'eau glacée me le lave du visage avec une efficacité redoutable. Quand je sors des vestiaires, je remarque que j'ai trois appels en absence. Molly. Et un texto de Sherlock. « Achète du lait ».

Je décide de faire un détour, d'aller vérifier qui, des mouettes ou des canards, s'engraissent le plus. La nuit est tombée.
Je croise quelques joggers courageux qui bravent l'air humide de cette fin septembre bien fraîche. L'automne se lit déjà dans les feuilles rabougries. L'été a été trop sec. Les plantes ont souffert. Comme à chaque canicule, Barts a eu un surcroît de patients. Je me souviens soudain que j'ai prévu de sortir avec Mike ce samedi soir. J'envoie un message pour annuler. Un banc abandonné face au lac sombre me fait de l'oeil. Je m'assieds.
— Molly ? Tu as essayé de me joindre.
Sa voix me paraît lointaine. Dans la rue probablement.
— Oui, je voulais discuter un peu... Je voulais m'excuser en fait. Je n'ai pas eu le courage de le faire en face.
Ses phrases sont entrecoupées, hachées par le raffut des klaxons et des moteurs de deux roues. Elle est sur une avenue, une artère passante. Pourtant, j'entends clairement les hésitations dans sa voix. Sa crainte aussi.
— T'inquiète Molly. On aura tout le temps de discuter plus tard. Je voulais m'excuser aussi...
— Hein ? Enfin, pourquoi ?
— Pour ne pas t'avoir prévenu qu'il était revenu.
Rapidement, parce que sinon, je n'aurai pas le courage, j'ajoute :
— Je ne t'en veux pas. Tu l'as aidé quand il en avait besoin. Vu la situation, toi seule pouvais l'aider. Il m'a expliqué. Je le comprends.

Elle ne peut pas voir mon visage, soudain crispé. Mes yeux certainement brillants. La nuit est mon amie. Ma voix donne une illusion de contrôle. Pourtant, je suis sincère. Derrière Molly, j'entends d'autres voix féminines, joyeuses. Un brouhaha qui s'amplifie.
— J'aurai tellement voulu te dire – une inspiration précipité et elle s'adresse aux auteurs de la conversation en fond « c'est un coup de fil important, laissez-moi deux minutes, je vous rejoins » – j'aurai vraiment voulu tout t'avouer. C'était tellement lourd. Je crois qu'il pensait qu'il mourrait vraiment. Qu'il ne pourrait pas résoudre son problème sans se sacrifier. Il voulait te protéger John. Tout ça, tous ces mensonges, c'était juste pour te protéger.
— Je sais.
Cette fois, ma voix vacille. Je me ressaisis, et affirme d'un ton neutre :
— Le risque était réel. C'est réglé maintenant. Je suis navré, je te dérange hein ?!
— Une soirée entre filles ! Si tu veux, je peux venir maintenant, pour t'expliquer et...
— Non, je l'interromps avec fermenté. C'est réglé Molly. Il est de retour et tu n'as plus à... Le grand secret de la fausse mort du seul et unique génial détective consultant de la planète est révélé. Ou le sera demain, je pense, auprès de la police. Donc ce soir amuse toi ! Lestrade viendra te questionner bien assez tôt.
— Tu crois que je vais avoir des ennuis ?
— Non. Je suis certain que Sherlock donnera des explications satisfaisantes. Tu n'auras aucun problème !
— Mon dieu. Je me sens égoïste d'un coup. Je t'ai menti, et là je...
— Molly, calme toi. Tu n'as pas à t'excuser. Tu l'as aidé. Le mieux possible. Je suis content que tu sois libérée. Alors, amuse toi, profite de ta soirée. Et sois raisonnable hein. Ne brise pas trop de cœur ce soir !
— Merci John.
Quand elle raccroche, j'entends les larmes dans sa voix. Du soulagement. Du remord ?

Je contemple les eaux noires. Je ne ressens rien. Même plus ce sentiment très moche de trahison. Je reste un moment, les yeux rivés sur la surface parfaitement placide alors que les ténèbres de la nuit envahissent tout. La lumières orange des lampadaires donne un aspect bizarre au paysage. Il est temps de rentrer, d'affronter mon colocataire et ses douces lubies.

Retourner au 221 B Baker Street me demande un courage rare.7


Suite : chapitre 13 et 14 

29 octobre 2012

Des monstres bâtisseurs de la capitale : expo de David Cochard au Comptoir du dessin


Pour l'original, rendez-vous au Comptoir du Dessin !


Jusqu'au 11 novembre 2012, se tient à Paris dans le sympathique lieu « Le Comptoir du Dessin » une exposition poilue et baveuse mais aussi pleine d'humour et de poésie. L'illustrateur David Cochard et quelques uns de ses acolytes nous font une terrible révélation : Paris n'a pas été construite par des hommes ! Grâce à des documents inédits remontant au 19ème siècle nous découvrons ébaubis la véritable histoire de la capitale. Ce sont des monstres qui ont fait la splendeur de la ville des amoureux !




David allie le trait fin et précis aux encres douces et aux noirs profonds et il croque ses monstres avec précision et dérision !

Outre des mises en situations cocasses de ses monstres dans un Paris imaginaire de la Belle Epoque, l'exposition propose aussi une galerie de portraits. Ils s'accompagnent de noms et de notes biographiques. Plus qu'une succession de tableaux, les Monstres de Paris sont les protagonistes d'une grande histoire alternative faite de ses petites anecdotes du quotidien qui les rendent attachants, et tellement... humains.

On découvre au travers des tableaux l'univers riche et toujours en construction d'un artiste accompli. David Cochard n'a de cesse de naviguer entre les styles du réaliste à la caricature, toujours avec cette sensibilité tendre. Un regard de baroudeur qui maitrise la technique sans jamais cesser de s'émerveiller.

Alors, vous avez jusqu'à 11 novembre pour zieuter ces étranges créatures, et qui-sait, peut-être en adopter une pour votre salon. Mais attention, certaines sont gluantes.


Et puis, si vous ne connaissez par cette boutique-atelier, je vous conseille vivement la visite. C'est l'antre de Gérard Matthieu, le « papa » de Clotaire, ce personnage un tantinet abruti qui a accompagné nos années estudiantines dans des magasines, agenda... Je suis certaine que vous le connaissez (au moins si vous êtes dans la trentaine).

Le blog de David Cochard : http://lesmonstresdeparis.blogspot.fr
Le site du Comptoir du Dessin : http://comptoirdudessin.com

28 octobre 2012

U comme usure


Usure : (de user). Détérioration que produit l'usage, le frottement, etc.
L'usure des chaussures, des roches. 2. Affaiblissement,
amoindrissement des forces, de la santé. Usure nerveuse.


Tout nous use.
Le temps le premier, qui gagne toujours en bout de course.
Les éléments.
La pluie érode, le sable émousse, le vent fatigue. Tout nous use doucement. On perd des particules, de l'énergie. On se flétrie.
Irrémédiablement.





Les autres nous usent.

À essayer de se comprendre, de communiquer même quand on ne parlera jamais la même langue.
Les relations s'usent, se détendent, se délitent. Et même les liens du sang, rouge artificiel parfois sacrificiel, finissent par s'étioler.
Irrémédiablement.





La société nous use. Ses carcans, ses artifices, sa volonté suprême de tout normaliser...
Les mensonges, l’argent usent tout et très vite. Corrompent.

Irrémédiablement.




Aujourd'hui, le calendrier me dit que je gagne un an.
Une marque concrète de l'usure mes artères, de la mort de mes neurones. Chaque année, à l’automne, j'ai l'impression de m'user plus vite.

Irrémédiablement.

Comme les pierres, comme le fer. Comme les feuilles qui se suicident et agonisent sur le pavé. Comme l'écorce qui se fendille. Comme la peinture qui s'écaille et la rouille qui grignote.




Le temps et l'usage se marque dans mon corps. Pourtant, là haut, l'usure n'est que mécanique.
Je garde affûtée ma curiosité. Je garde toujours, sans accroc ni rigidité, mon filet de pécheur pour attraper, pèle-mêle, inspiration, idées nouvelles et rencontres fortuites...




Si les humains s'usent, autant que la terre, parce que la vie passe par là, si les humains meurent, aussi, l'usure est aussi une amie.
Elle nous apprend à lâcher, laisser le poids superflus, se concentrer sur l'essentiel. Apprécier le futile sans en être l'esclave.

L'usure patine, l'usure enjolive et grave l'histoire dans les stries et les bosses. L'usure nous rappelle l’éphémère, le mortel. Et l'immense bonheur d'être là, pour profiter, se faire user, et user aussi...




Alors, quand je croise mon reflet, ou qu'un autre réfléchit celle que je suis, je suis satisfaite de mes usures, de mes failles et de mes fissures. Et je laisse à l'usure son jeu et ses joies, sans trop prendre le temps de m'y plonger vraiment, car la vie n'attend pas.

Tant de choses encore à trouver et à faire, à user !


Ces photos ont été prise à Menton. Vous trouverez d'autres clichés de la série dans l'article P Comme Parenthèse.

Abécédaire est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

24 octobre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 10 & 11 / 24


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Cette semaine, vous avez droit à deux chapitres et à une illustration particulièrement "mmmhum miam" de Anne tout à la fin !
Si vous ne connaissez pas Sherlock, voici un article pour commencer.


chapitre 10


Comme je m'y attendais, le directeur m'a convoqué suite au débordement dans le hall. Il m'explique avec humour que, la prochaine fois, il serait plus judicieux que je règle mon problème dix mètres plus loin, dans la rue. Alors que je m'apprête à me confondre en hypocrites excuses, il ajoute que les témoins de la scène jureraient que je n'ai fait que me défendre...
Le sujet est expédié avec une rapidité exemplaire. La vraie raison de ma présence est l'irruption de Sherlock Holmes dans l'ancien labo de Molly. Avant de trouver mon bureau, il a débarqué dans un certain nombre d'autres salles.
Oui, il est vivant, non, je ne sais pas si c'est officiel ; non, ça ne change pas mon implication avec l'Institut et Barts. Oui, il est toujours accusé d'une kyrielle d'infractions diverses mais je lui assure que tout devrait rentrer dans l'ordre dans un avenir proche. Il me serre la main, me remercie de ma visite et je me retrouve dans le couloir, pas très motivé à l'idée de retourner assister au spectacle qui doit se dérouler trois étages au-dessous...

Je fais un crochet par la machine à café.
Pas pour moi.
J'ai eu ma dose. Avec moultes précautions, je trimbale mes trois gobelets de plastique à l'allure d'un escargot. Devant la porte, je tends l'oreille. Pas de hurlement, pas d'éclat de voix, pas de pleur. Un rire clair, celui de Carmine, suivi d'un gloussement retenu. Molly.
Ok...
Avec mon coude, j'appuie sur la clenche et pousse la porte avec la hanche.
— Ha ! John, bonne initiative.
Sherlock retire un des gobelets de mes mains, sans un merci. Il a choisi bien sur celui sans crème, avec juste deux sucres. Je pose les deux autres sur la table.

Carmine est assise à mon bureau, elle note furieusement dans son petit calepin. Celui avec la reliure en cuir violet élimé. Celui dans lequel elle consigne ses sujets potentiels, ses idées d'interviews et ses contacts. Du sérieux. Molly est appuyée contre le mur, avec une attitude faussement nonchalante. Elle sourit. Son visage entier sourit et ses yeux ont un éclat malicieux. Ma colère contre Sherlock s'évapore avant même qu'elle n'ait pu s'exprimer.
Discrètement, Carmine me fait un geste, le pouce de la main gauche levé vers le haut.

— Un problème ? Demande Molly, concernée. C'est à cause de ce midi ?
— Ça va. Je ne suis pas le seul qui ait eu envie de lui taper dessus.
— Peut-être, mais moi, je suis contente que ce soit toi qui t'en sois chargé !
— Je regrette d'avoir raté ça ! Surenchérit Carmine.
— Oui, tu aurais adoré ! Paf, dans les dents – elle mime avec un mouvement exagéré la scène – et paf ! Dans le gras du ventre !
Je réalise soudain que les deux jeunes femmes semblent être devenues copines.
J'ai raté un truc.
Jusqu'alors, je pensais qu'elles ne dépasseraient jamais le stade de l'entente cordiale. Parfois, je ne comprends rien au code de fonctionnement du sexe opposé. Sherlock, lui, ne semble pas spécialement s'amuser, mais il a l'air d'y trouver quand même son compte.
Carmine se lève avec un mot d'excuse pour avoir squatté ma chaise. Molly se redresse :
— J'ai hâte de lire ton article ! Ça va faire un drôle de grabuge ! Je suis si heureuse que tous ceux qui ont écrit des horreurs sur Sherlock se voient enfin rabattre leur caquet.
— La semaine prochaine j'espère. Je voudrais vendre le papier au Guardian. Ce n'est pas le scoop que je recherche, mais le fond.
L'humeur belliqueuse, vengeresse même, de Molly, plaît à l'intéressé.
Quant à moi, je suis largué...

Carmine serre la main d'un Sherlock trop fier de lui pour être totalement honnête, et me fait une bise en partant. Elle se penche et me susurre :
— Je ne t'en veux pas pour le bobard. Mais tu me dois au moins un verre. Et c'est moi qui choisis l'endroit...
Molly en profite pour s'éclipser. Je reste coi, quand Sherlock la retient d'une main sur l'avant-bras et la remercie. Pour tout. Avec chaleur.
Mon estomac se serre. C'est con. Je n'y peux rien. Je constate juste à quel point Sherlock a changé en trois ans. Je n'avais pas réalisé qu'il était plus ouvert, plus accessible. Je devrais être heureux pour lui, savoir qu'il est capable de s'entourer. Soudain, je me sens juste terriblement seul. Perdu au milieu d'une tempête dont j'ignore la capacité dévastatrice. Dont j'ignore la portée, la durée. Sherlock va annoncer publiquement son retour. Je me sens étriqué, égoïste.
Je devrais être soulagé.

Il est vivant.

Il est venu me voir avant. Je chasse mes craintes. D'autres diraient que je les ignore. Je suis très doué à cet exercice.
— Allez, viens, on va les faire, ces radios... Essaye de résister à l'envie de jouer les stars pendant encore une heure.
— Je n'aime pas spécialement ça.
— J'aurais juré le contraire...
Même à mon oreille, je trouve mon ton amer.
— Carmine m'a dit que vous vous étiez rencontrés car elle souhaitait écrire un livre à mon sujet. Cela ne me ravit pas. Mais elle m'a l'air d'être sérieuse et pas trop stupide. Contrôler l'information et surtout le timing de sa diffusion est décisif. Je veux retrouver mon identité, ma vie. Je dois donc être lavé de tout soupçon. Cependant, il me paraît judicieux d'être moins ostentatoire dans notre activité...
— Notre activité ?
— Bien sûr, notre activité. Comment serais-je un consultant pour ces imbéciles de policiers et ce demi-imbécile de Lestrade, si tu n'étais pas là pour me rappeler quotidiennement leur triste normalité ? J'ai besoin d'un référent représentatif.
— Pour l'imbécillité ?
— Non pour la normalité. Voyons ! J'ai cruellement besoin de normalité. Sinon mon cerveau s'emballe. Je n'arrive plus à être en phase avec les autres. Et tout devient fatiguant. Plus personne ne me comprend. J'ai passé trois ans à éviter les contacts. Essayer de faire profil bas. À me taire. C'était épuisant. Frustrant. Ennuyeux.
Plutôt que de l'excitation habituelle qui accompagne toujours ce genre de tirade, son ton est las. Encore une fois, je suis frappé par la fatigue qui émane de lui.
— Tu penses sincèrement reprendre la vie que tu menais il y a trois ans ?
— Que nous menions. Je ne sais pas si c'est possible, mais c'est ce que je souhaite. Vraiment.
— Pourquoi ne pas être revenu plus tôt alors ?
Les mots se précipitent hors de ma bouche. Ce n'est pas le bon moment, je n'aurai pas ma réponse. Il est stupide de le relancer sur le sujet. Avec un geste de la main, comme pour effacer mes dernières parole, j'ajoute :
— Laisse tomber, Sherlock. Tu es revenu. Le reste, je m'en fous.
— Tu mens, constate-t-il sans animosité. Je répondrai à ta question quand on sera à la maison. Ses yeux trop clairs ont la gravité d'un ciel d'orage. J'ai besoin d'être tranquille et sans interruption extérieure.
Avec cette promesse suspendue dans l'atmosphère de neutralité pratique du lieu, je l'accompagne dans le couloir.

chapitre 11

— Tu vois, j'avais raison.
— Oui. Je dis juste qu'avoir raison ne te donne pas le droit d'intervenir. Ça ne te regardait pas.
— Alors toi, tu peux être témoin de ce genre de scène et ne rien dire ?!
— Je ne me mêle pas des affaires des autres, surtout quand il s'agit de parfaits inconnus.
— Ce n'est pas une inconnue. Tu vois la caissière de la supérette au moins une fois par semaine.
— Oui. Mais je ne la connais pas. Et ce n'est pas à moi de lui donner des leçons de vie. Elle a vingt ans, bon sang Sherlock, je croyais que tu voulais faire profil bas ?!
— Vingt-six ans.
— On s'en fout. Ce n'est pas le propos.
— Si. Ce n'est plus une gamine, elle n'est pas étudiante et...
— Stop !
J'ouvre la porte et m'engouffre dans le hall, Sherlock sur mes talons, toujours en train d'argumenter sur la justesse de son action. Son explication, surtout devant d'autres clients, dépassait les lois de la bienséance. Surtout avec les détails très graphiques qu'il s'est assuré de donner.
Je veux bien que la fille ait été particulièrement désagréable, voire insultante... Cela n'excuse pas de l'humilier en public. Le hic, c'est qu'il pense probablement que la leçon était bénéfique...

Je dépose le sac de courses sur la table de la cuisine. En passant, je remarque un nouveau fauteuil dans le salon. Je recule, observe un instant le meuble qui encombre l'espace que je m'étais échiné à dégagé, soupire, et monte dans ma chambre. J’ai aussi vu que des bibelots et quelques bricoles bizarres amassées par Sherlock ont quitté leur zone de stockage pour reprendre leur place dans les vitrines et étagères...
Il est encore tôt. Si je me dépêche, je pourrais assister au cours de boxe. La salle est à une dizaine de minutes à pied d'ici, du côté de Regent's Park. Juste le temps de préparer mon sac. Je décide de me passer un peu d'eau sur la figure. Je constate alors le bordel qui règne dans la petite pièce. Visiblement, Sherlock n'a pas jugé utile de se servir de celle plus spacieuse, du premier étage. Il a réussi à mettre un foutoir digne d'un ado de 15 ans... Je ramasse les serviettes mouillées qui traînent et les étends sur la barre appropriée.
Ça me dépasse. Il est capable d’être d’une maniaquerie maladive pour des choses anodines – comme la disposition de ses chaussettes – range sa chambre et la nettoie comme si c’était un appartement témoin, et pourtant, le lieu où il vit vraiment, le salon et la cuisine – accessoirement les lieux que l’on partage – il les transforme en un capharnaüm infâme.

Je suis fatigué.
Hier encore, le monde me semblait solide. Avec des socles, des points d'attaches. Terne, triste parfois, mais solide. Aujourd'hui je marche sur des sables mouvants, piégés. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'un coup du sort a volé les points cardinaux, supprimé la gravité, changé les règles du jeu, les règles de la vie et de la mort. Mes émotions fluctuent trop vite pour que je puisse les identifier.
Je sais que je suis heureux.
Heureux et terrifié.

Je décide de dîner au retour du sport. Cogner le ventre vide me paraît mieux qu'être pris de nausée en plein combat. J'ai toujours une impression désagréable de flottement dans l'estomac. La cause n'a rien de physiologique. Là, elle s'agite dans le salon.
— Utilise ma machine si tu as besoin, le mot de passe c'est...
À son air contrit, je me tais.
— Je n'ai pas regardé tes données personnelles ! Dit-il précipitamment. Je me suis déconnecté de ton compte mail ! Je n'ai rien lu ni vu, en tout cas, rien de volontaire...
— Je sors. Je reviens dans deux heures. Si tu as faim, il y a de quoi manger dans le frigo.
— Je préfère t'attendre. Je veux peaufiner le document à remettre à Lestrade et en préparer un pour ton amie journaliste. Une version quasiment exhaustive du décès de Moriarty. J'aimerai ton avis...
— Je lirai ça en rentrant.
J'attrape mon sac par la anse de toile rouge que je passe autour de l'épaule et me précipite dans les escaliers. J'ai très envie d'être dehors.
Loin de lui.
Loin de cette agitation.

Le pas de Sherlock me suit dans ma lancée. Arrivé à la porte, je me retourne et le regarde, franchement curieux.
Il reste là, silencieux, perché sur la dernière marche de l’étroit escalier, à demi dans la pénombre. Il se dandine un peu, hésitant. C'est instinctif, je lui souris. J'ai remarqué depuis hier qu'il est visiblement agité à l'idée que je sois en colère après lui, que je lui en veuille. Quelque part dans sa caboche de génie, il y a une partie de son cerveau qui éprouve de la culpabilité. Il sait que ça a été dur. Très dur. Inconsciemment au moins, je pense. Enfin, je ne suis pas psy. Et mon opinion sur la discipline s'est grandement détériorée au contact de ma thérapeute.
Le silence s'étire encore un peu.
Il s'approche d'un pas. Puis d’un autre.
Suffisamment pour pénétrer dans mon espace. Sherlock a toujours eu une certaine difficulté avec le concept d'espace personnel. D'intimité.
— Je vais à la boxe.
Je précise. Parce que ce silence me trouble. L'éclairage faiblard qui coule de l'escalier suffit pour glisser sur l'iris translucide de Sherlock et lui donner un éclat étrange. Animal.
— Je sais.
À peine un murmure.
— Je reviens.
C'est con. Je chuchote. Quand quelqu'un parle à voix basse, je me sens obligé de répondre en ajustant mon volume.
— Je sais.
Soudain, il se penche et m'embrasse sur la joue. Surpris, je me raidis. Pas le temps de commenter ou tenter d'analyser son comportement. Il s'écarte, me regarde et cette fois, m'embrasse.
Sur les lèvres.
Un baiser, franc, appuyé, un peu maladroit.
— À tout à l'heure.


All of a sudden... the sky is falling, illustration de Anne Jacques

22 octobre 2012

T comme tendre



Tendre, d'après Le Petit Larousse compact 2000 : adj, 1. Qui peut être facilement entamé, divisé, coupé ou mâché. Pierre tendre. De la viande tendre. Couleur tendre : claire et délicate. 2. Qui manifeste de l'amour, de l'amitié ; affectueux. Des parents tendres. De tendres paroles.



La tendresse de la nature est là, juste là.
Elle est éphémère, fluctuante, cohabite avec ses dures lois de la survie et les éléments indomptables et aléatoires.
Pourtant, elle existe.


Il suffit d'observer un peu, de prendre le temps de la curiosité, de changer de point de vue. Oublier un peu ce que l'on est - un être humain, son individualité - et accepter pour un instant de se dissoudre dans le paysage, s'éparpiller entre les feuilles, dans les sillons de la terre et les nuages qui s'évaporent.


 La tendresse est là.

Abécédaire est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

19 octobre 2012

Japonisme : 秋 暑さ - aki atsusa - chaleur d'automne



Chaleur d'automne. 秋 暑さ - aki atsusa



Le mois d'octobre avait commencé sous les meilleurs auspices. Une température estivale s'accrochait aux fenêtres et l'air de Paris avait cette fraîcheur matinale qui ragaillardit les cœurs et donne l'envie de promenade. Même pas besoin de collant sous ses jupes.

Les feuilles des marronniers déjà jaunies maculent les trottoirs. Dans les parcs, des marrons bien lisses s'enfuient de leur bogues pour se glisser, coquins glissants, sous la semelle. Les pigeons dodus profitent des dernières chaleurs pour se dorer la pilule.


Et puis, octobre a découvert la pluie. Tout joyeux, tout humide, il a troqué ses dorés pour un camaïeu de gris. Je sors les bottes et range les sandales. L'automne changeant dans les feuilles et le temps choisit d'honorer champignons et mousses.


Peut-être, avant que les érables ne rougissent, il nous offrira encore un peu de sa généreuse douceur...


 Japonisme est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

17 octobre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 09 / 24


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Si vous ne connaissez pas Sherlock, voici un article pour commencer.

Chapitre 9

L'exercice verbal de haute voltige avec Carmine m'a épuisé.
D'abord, elle a abordé le sujet Moran. Je lui ai donc donné les éléments dont je me souvenais. Puis avec beaucoup de tact, la question de l'identité du dénommé Sigerson est tombée dans l'assiette. Entre la poire et le fromage. Un entremet indigeste. Un anonyme bien intentionné a envoyé à Carmine, à son adresse personnelle, une série de photos de Sigerson. Pour que le message soit limpide, un cliché avec retouche informatique de Sherlock était aussi dans l'enveloppe ainsi qu'une feuille blanche avec un point d'interrogation tracé au marqueur.
Carmine m'a dit qu'il était possible que ces documents datent, qu'ils soient falsifiés. J'ai lu dans ses yeux qu'elle croyait à leur véracité, qu'elle était juste extrêmement gênée d'aborder ce sujet avec moi. J'ai désamorcé la tension naissante par une plaisanterie stupide et sorti la paperasse de ma serviette. De quoi l'occuper.
Elle est restée sidérée.
Comme je le pensais, elle n'avait que le nom de famille sans l'identité. Quand je lui ai donné la biographie du botaniste norvégien en situant sa mort probable et le début de l'imposture, elle a cessé de me ménager. La colère a teinté sa curiosité satisfaite et elle a fini par jurer en des termes bien peu féminins sur l'égoïsme de « ce crétin qui pense être au-dessus de tous et de tout ». Le repas s'est achevé dans une ambiance un peu lourde, aussi pâteuse et fade que le tiramisu industriel que j'avais eu la bêtise de commander.
À l'addition, j'étais presque heureux de retourner à Barts. Je me suis souvenu de l'altercation avec l'autre John. Je la lui ai racontée avant qu'on se sépare. Un cadeau pour un au revoir plus léger.

Sherlock m'attendait dans mon bureau, assis sur ma chaise. J'ai eu l'impression d'un saut temporel de trois ans.
Il a coupé ses cheveux, qui ont retrouvé leur brun presque noir naturel. Il est habillé d'une veste et d'une chemise indigo cintrée. La coupe impeccable des vêtements et leur tissu de qualité. Son port, son attitude. Tout. Sur sa mâchoire rasée de près, il arbore fièrement son ecchymose qui vire au violet, comme un trophée. Quand elle sera jaune moutarde, il crânera moins.
Je retrouve l'homme que je savais mort. À mieux l'observer, je décèle, dans la posture, un inconfort, peut-être dû à ses contusions. Son visage est quand même amaigri, ses traits creusés. Son regard est plus... moins. Je ne sais pas. Il a un calme, une profondeur que je n'avais jamais saisis avant. Peut-être que c'est moi qui ai changé. Moi qui le vois différemment. Sa présence m'allège. Me soulage du malaise persistant de mon déjeuner.

Hunger drives the wolf out of the wood - Illustration de Anne Jacques


— Je croyais que tu voulais passer inaperçu ?
— Absolument pas. Comment voudrais-tu que je puisse passer inaperçu ?
Il me lance un regard incroyablement hautain qu'il module d'un sourire en coin.
— Je voulais te prévenir avant. Qu'on discute. Maintenant, il ne me reste plus qu'à faire mon coming-out. Enfin, façon de parler...
Je me demande s'il se fout de ma gueule...
— Comment s'est déroulé le repas avec la journaliste ? Tu as lâché le morceau ? Donné des informations juteuses sur ma vie ?
Bien sûr, il est au courant.
— Sherlock ?! Bien sûr que non ! Je n'ai rien dit. Mais elle a des photos de toi en version scientifique venu du nord. Et elle a déjà effectué une grande partie des déductions. Je lui ai juste fourni de quoi éviter les erreurs fâcheuses. Mais, tu as tout prévu, n'est-ce pas ?
— Non. Je ne l'ai pas contactée. Mycroft s'en est chargé. J'ai reçu une copie des documents.
Soudain, je comprends mieux pourquoi il a ressurgi.
Ce qui l'a poussé à revenir d'entre les morts. La vexation du rôle tenu par Molly dans sa disparition n'est rien par rapport à ce que je ressens là.
Respirer calmement.
— John ?
Brusquer Sherlock ne sert à rien. À part m'énerver encore plus et rendre la communication difficile. Sans compter que j'ai toujours l'impression de filer des coups de pied à un chiot quand je l'engueule. Un chiot caractériel et plus arrogant que la Reine, mais néanmoins, un chiot, mal éduqué et ignorant des convenances qui régissent le monde.
— Bon, viens, on va s'occuper de te faire ces radios.
Il s'extrait de ma chaise avec une lenteur peu habituelle.
— Molly sait que tu es là ?
— Non. Pas encore. Je t'ai déjà dit que je voulais te voir, toi, avant.
— Ben c'est fait.
— …
Je me masse les tempes. J'ai l'impression de rater quelque chose. Je n'ai pas assez dormi pour jouer aux devinettes. Mon repas de ce midi a mobilisé toutes mes capacités diplomatiques et je n'ai pas envie de décrypter des messages codés. J'avais oublié à quel point Sherlock pouvait être à la fois retord, manipulateur et d'une sincérité désarmante. À quel point il est blessant et à quel point il est touchant...
Je ne sais pas s'il y a une bonne marche à suivre pour revenir d'entre les morts. Molly sait qu'il est vivant, je suis certain qu'ils ont eu des échanges de mails ou SMS. Le revoir lui fera quand même un choc. J'aimerais la préparer avant.

Je pose ma serviette en cuir sur le bureau, sors mon badge, et mon mobile que je glisse dans la poche arrière de mon pantalon.
— Tu t'es battu ? Je veux dire, avec quelqu'un d'autre que moi ? Enfin, techniquement, tu m'as juste tapé dessus.
Son sourire carnassier et son ton enjoué suscitent une impression bizarre au creux de mon estomac malmené par la crème trop riche du dessert et le café trop fort.
— Oui. J'ai eu certaines dissensions avec l'un de mes collègues...
— Alors, il faudra que tu me le présentes. Au moins, je pourrai exercer mon petit talent de déduction sans froisser ton sens aigu du savoir-vivre.
— Oh, ce sera avec plaisir !
Je m'apprête à ouvrir la porte du bureau quand quelqu'un déboule. Juste le temps de m'écarter, j'ai bien failli avoir une belle bosse.
— Molly ?!
— C'est vrai ? Il est là ? S'exclame-elle avec un enthousiasme frôlant l'hystérie.
Le bureau n'est pas bien grand et Sherlock reste planté au milieu, dans une immobilité comique. La jeune femme se précipite vers lui, hésite, et l'embrasse dans une étreinte rapide et affectueuse.
— J'ai entendu la fille de l'accueil se plaindre d'un homme très beau qui disait avoir le droit d'accéder au bureau du Docteur Watson et qui aurait été proprement odieux. La pauvre était en train de se faire rudoyer par le responsable de la sécurité pour l'avoir laissé entrer ! Il n'y avait que vous, Sherlock, pour une telle prouesse.
— Et un tel manque de savoir-vivre, je murmure entre mes dents.
Je sens que la journée m'échappe totalement.
Depuis hier soir, je me sens ballotté, incapable de naviguer sur une rivière déchaînée dont les flots changent de directions sans crier gare.
Molly me remercie pour le coup de poing de ce midi et m'explique qu'elle n'en peut plus des avances vulgaires de l'autre John. Elle m'assure qu'en cas de souci avec la direction – ce qui me paraît probable – elle témoignera en ma faveur et d'ailleurs, elle a conservé les messages d'invitation à des pauses-café, déjeuner et même dîner qui se sont multipliés ces six derniers mois. Elle ne m'en a jamais parlé avant. Je me sens un peu nouille. Sherlock, toujours heureux d'ajouter son grain de sel, se joint à la conversation. Je le trouve très poli avec Molly.
Et la jalousie se réveille.

Mon estomac, déjà pas très joyeux, se tord désagréablement. J'ai l'impression d'avoir une balle rebondissante sous cocaïne dans mes viscères.
Quelqu'un frappe deux coups énergiques à la porte. Pas le temps d'ouvrir la bouche que Sherlock lance un « entrez ! » fort cavalier. Et, sous mes yeux catastrophés, Carmine arrive dans l'arène.
— John, désolée ! J'ai oublié de te rendre le bouquin que tu m'avais prêté. Comme je l'avais sur moi...
Elle sourit à Molly, aperçoit Sherlock et son expression se fige.
J'ai l'impression que mon existence bascule dans la TwiligthZone ou du théâtre à la Vaudeville. Sherlock, tout fier, tend sa main fine et élégante à Carmine, dans un geste apaisant. Molly s'étrangle dans un « bonjour » et enchaîne sur :
— Est-ce que John t'a dit qu'il avait mis un bourre-pif à l'autre John ?!
Je ne sais pas si c'est l'expression imagée dans la bouche de Molly, l'air immensément satisfait de Sherlock comme si c'était lui l'auteur dudit « bourre-pif » justicier ou le choc de Carmine qui se mue en une expression encore indéfinissable, mais je prie pour une libération.
N'importe laquelle.
Un acte divin.
Même un coup de téléphone de Mycroft.

Quand la porte du bureau s'ouvre violemment pour la troisième fois en moins de dix minutes, mon cœur rate un battement. Non, ce n'est pas possible !
Là j'ai ma dose.
Il s'agit d'un jeune technicien qui jette un œil fugace sur le postérieur de Carmine avant de me dire précipitamment :
— Le boss veut te voir. Ton poste ne répond pas. C'est urgent.
Je regarde, abasourdi, le combiné sur le bureau, me demandant vaguement ce que Sherlock a bricolé, et profite de l'excuse. Je fuis lâchement. Il me reste juste à éviter de vomir sur le bureau du directeur, sans quoi, ce serait le pompon...

Suite : chapitre 10 & 11

 

16 octobre 2012

Dans les champs d'automne...



Cette semaine, je suis en vadrouille dans ce coin de Charente Maritime que j'affectionne beaucoup. Mon cerveau de batracien est extrêmement sollicité par des projets passionnants et diverses dont un disque auquel je participe et qui sortira en novembre !
Je vous donnerai des info trèèèès bientôt sur le sujet :)


Malgré les tâches multiples qui se bousculent dans leur priorité, j'ai regardé par la fenêtre.
Avec les champs et vergers juste à porté de chaussures, hier, je me suis évadée pour une promenade à la tombée de la nuit.
Herbe mouillée et gadoue, odeur de la terre détrempée et des nuées essorées, voilà une tentation délicieuse pour une grenouille en mal d'horizon.

Je partage donc avec vous quelques trouvailles imagées. Je me suis essayée au format carré, pour sortir de mon sempiternelle 16/9ème que j'affectionne tant...

Vous n'avez pas envie, vous aussi, de marcher quand la pénombre pointe son nez ?


Duo tranquille

Vert verger !


Caché !

Peinture sur ciel

14 octobre 2012

Crise carabinée d'idéalisme : envie d'un Japon et d'un monde sans nucléaire

Sans les mots, crier "NON"

Hier, j'étais sous mon parapluie, avec d'autres convaincus de la dangerosité du nucléaire. J'étais là, sur la place de la Bastille à écouter des discours pédagogiques, intelligents, parfois révoltants sur la réalité d'une situation sans issue, parfois drôle aussi, car face à la tristesse et à l'immensité de la bêtise, le rire reste une arme.
 J'ai appris des choses, car je suis vraiment ignorante sur le sujet. J'ai rencontré des personnes formidables. Et, je suis rentrée, quelques heures plus tard, fatiguée, transie de froid, mais étrangement revigorée.

Crier son désaccord sur la place publique, faire entendre sa voix, pour le peuple japonais, pour la vie. Se sentir à sa place, parmi d'autres humains sincères dans leurs actions, en accord avec leur cœur. Se dire que notre espèce est composée d'individus admirables, impressionnants. Se sentir petit dans ses bottes, mais se sentir à sa place quand même.

Parce ce que je suis venue.
Que cet après-midi là, ce combat était ma priorité.


Je ne suis pas activiste.

Je ne vais pas faire de la lutte anti-nucléaire mon combat.

Ma vie est ailleurs, dans les mots, dans les images, derrière le miroir de la fiction. Pourtant, je ne pourrais plus être moi si je n'étais pas là. Je ne pourrais plus dire « j'aime le Japon » si je ne communiquais pas sur la gravité de la situation et la nécessaire intervention pour sauver les enfants de Fukushima, condamnés à être malades, comme ceux de Tchernobyl.
Il y a beaucoup de causes à défendre et à servir sur cette planète.
Avec la rapidité de reproduction des hommes et nos modes de vie dévastateurs, les causes se multiplient plus vite que les bonnes volontés et ceux prêts à s'engager.

Danser, par qu'on a plus de voix d'avoir trop crier

Mais toujours de l'énergie pour s'indigner...

Et toujours la même motivation : protéger

Je ne sais pas quel est mon rôle.

Je ne sais pas si mes actions changent la donne.

Je sais juste, dans mes tripes et avec une conscience claire, que ma place, samedi, était là-bas. Que ma place aujourd'hui est de parler encore sur ce Japon post 11 mars. Que ma place est d'aider l’association Kibô-promesse à la mesure de mes moyens.
Sinon, je ne serai pas moi. Et j'ai trop de respect pour ce que je suis pour me trahir en me masquant derrière un Japon illusoire où tout serait comme avant. Un Japon de fantasmes où nos egos d'occidentaux se trouvent flattés par leur simple différence culturel.
Je ne sais pas si je serai au prochain rassemblement qui aura lieu le 11 novembre, mais je continuerai d'en parler.

Ce que l'on donne...

Et vous, quelle est votre place ?
Vous qui arborer votre passion du Japon avec fierté, votre appartenance de cœur à ce pays, que pensez-vous de son gouvernement qui inondent tout l'archipel de déchets radio-actifs, laisse ses habitants dans des zones contaminées, relève les taux de radiation « acceptable » et continue de construire des centrales ? Que pensez-vous de notre président qui louvoie sur la question du nucléaire ?

Aizen, la prêtresse des Momonga


Ces sujets sont douloureux, énervants, voire franchement révoltants. Mais je crois qu'il est temps pour nous de faire chauffer notre matière grise et d'accorder nos consciences et nos cœurs.

Nous avons tous à disposition une autre forme d'énergie, non polluante, illimitée et gratuite : l'amour. Je crois que si on aimait un peu plus les autres humains et un peu moins l'argent, les choses, le confort de son nombril, le monde serait plus doux, plus simple. 
Plus heureux.

À lire :
- "Genpatsu Iranai - sortir du nucléaire" Le compte rendu pédagogique et engagé de la journée du 13/10 chez Aizen http://flying-squirrel-attacks.com/2012/10/manifestation-antinucleaire-paris/