26 février 2021

La tendre ménagerie de Satoe Tone

 

Autrice et illustratrice de plus d’une dizaine de livres jeunesse, Satoe Tone séduit les petites et aussi les plus grands par la douceur de ses dessins et par la dimension intime de son travail. Si elle a grandi au Japon, elle vit maintenant à Milan. J’ai eu le plaisir de la rencontrer plusieurs fois sur des salons (vous savez, ce truc qui existait avant). Ses livres m’ont apporté beaucoup d’émotions que j’avais envie de partager avec vous



Trois albums pour rêver

Satoe Tone est publié chez plusieurs éditeurs, notamment Baliverne, une maison indépendante qui apprécie l’imaginaire et la poésie, deux caractéristiques fondatrices de l’œuvre de cette artiste.

 Le livre le plus drôle de ma collection s’intitule La très grande carotte. Une fratrie de six lapins découvre un jour une gigantesque carotte et s’interroge sur les utilisations possibles qui sont d’ailleurs, pour un regard d’adultes rationnels, totalement impossibles ! Les lapins de Satoe Tone, tout en rondeur et douceur, sont une figure récurrente dans ses dessins. Avec une tête à la fois bonhomme et espiègle, je les trouve très attachant. Mon faible pour ces bestioles colore évidemment mon jugement sur cet album.

 

 

 Le plus tendre, Doux rêves de moutons raconte comment ces animaux apportent des rêves aux enfants. Cette caractéristique sera d’ailleurs reprise dans son autre titre Le voyage de Pipo. Le plus jeune frère mouton doit commence son travail pour la première fois, il est en proie aux doutes et craint de ne pas être à la hauteur. Heureusement, il n’est pas seul. Comme dans le livre précédent, on suit l’animal dans une suite de tableaux oniriques aux couleurs pastel, aux formes rondes et mignonnes avec une grande richesse de détails.

Le plus joyeux s’appelle La fanfare des grenouilles et raconte le raz le bol d’un groupe de batraciens alors qu’il pleut sans arrêt. Ils décident de jouer de la musique pour attirer l’attention du soleil et rendre ainsi la météo plus clémente. Des oiseaux viennent leur prêter main forte, en chantant. Le trait caractéristique de l’autrice avec une simplification des animaux stylisés en adorables créatures transmet la joie et l’énergie du récit. Ce titre jouit aussi d’un travail graphique sur la mise en page du texte très dynamique.

Ces trois albums sont assez légers et positifs. Mais Satoe Tone a également écrit et illustrée des histoires avec une palette d’émotion plus complexes et moins joyeuses.

 

Où est mon étoile : appréhender le deuil

Cet album grand format, parut chez Nobi Nobi traite d’un sujet difficile, la perte d’un être cher, avec une approche poétique et très juste. Une petite souris, le cœur lourd cherche son ami disparu, ses proches lui expliquent qu’il n’est pas perdu à tout jamais, mais qu’il est transformé en étoile ; elle se lance alors dans une quête qui pourrait paraître vaine mais qui lui apportera réconfort, compréhension et espoir. Il s’agit du titre le plus bouleversant de j’ai lu de Satoe Tone.

Dans un camaïeu de bleu, on suit la souris, elle grimpe toujours plus haut dans un paysage nocturne, mystérieux et magnifique. Comme dans les autres albums de l’auteur, l’expressivité des animaux, mignons mais jamais mièvres transmet beaucoup d’émotions.

Un autre article sur le sujet :

https://japonpapierrelie.home.blog/2016/04/07/ou-est-mon-etoile



 

 

Le voyage de Pipo

Une grenouille, Pipo a perdu ses rêves. La rencontre avec une brebis, porteuse de songes, est le début d’un grand voyage qui durera plusieurs mois. Au fil de larges doubles pages, on suit les deux comparses, dans des paysages brumeux, du fond des océans aux forêts, les saisons passent. Pipo et la brebis découvrent le monde et une amitié se tisse. Il s’agit de mon titre favori. Un album contemplatif avec une harmonie parfaite entre une impression vaporeuse et des détails soignés. Il a d’ailleurs remporté un prix prestigieux qui aura beaucoup aidé Satoe Tone à gagner en notoriété. Également édité chez Nobi Nobi, comme Où est mon étoile, Le voyage de Pipo bénéficie d’une qualité de fabrication avec un papier épais, mat parfais pour mettre en valeur les illustrations ainsi qu’une sublime couverture avec verni sélectif.

Outre que le protagoniste soit une grenouille, l’ambiance particulière de cet ouvrage m’apaise et en même temps, m’apporte de l’énergie et de l’espoir dans les périodes difficiles. Chaque double page se regarde comme un tableau, avec lenteur et abandon.

 



Une vidéo qui montre le travail de l’artiste sur Le voyage de Pipo :

https://www.youtube.com/watch?v=JCernMAgAsU&feature=emb_logo



 

Cette jeune japonaise née en 1984 qui a fait ses études à Kyoto mais aussi en Angleterre a choisi de vivre en Italie. Elle travaille à la gouache, de façon traditionnelle, avec plusieurs sous-couches qui donne à ses tableaux beaucoup de profondeur. La particularité de son dessin vient de la grande expressivité de son bestiaire qui arrive à transmettre avec peu de mots des émotions fortes. Une nostalgie se dégage de ses livres, elle n’hésite pas à aborder la solitude, le doute, la perte, en filigrane de ses histoires, toujours avec beaucoup de subtilité et d’espoir. Aborder ainsi des expériences perçues comme négative, ou difficile en proposant un voyage pour les sublimer apaise le lecteur. Ses personnages sont souvent un peu perdus, un peu hésitants, parfois, ils se laissent porter, lâche prise et toujours à la fin, ils ont grandi, trouvé du sens, se sont ouverts sur le monde. Satoe Tone est une artiste d’une grande sensibilité, curieuse et avide de découverte. J’espère que cet article vous aura donné envie d’ouvrir ses livres.


Si vous appréciez son travail ou si vous voulez mieux la connaître, la NHK a réalisé une vidéo en 2014. Elle y parle très librement de ses sentiments, de ce qu’elle met dans son travail et de ses raisons intimes de faire des livres.

https://www.youtube.com/watch?v=b56j0l-DHJo





Voici une lecture de Cœur d'étoile faite par Diana, idéal pour découvrir un autre des livres de Satoe Tone :
https://youtu.be/y6Tm0R_sfCg


12 février 2021

L’histoire authentique de Sadako Sasaki et des mille grues

 
 
Savez-vous pourquoi, au Japon, on plie des grues en origami ? Et pourquoi cet animal de papier est devenu après la seconde guerre mondiale un symbole de paix ? Sue DiCicco, sculptrice et autrice américaine raconte la courte vie de Sadako Sasaki, enfant née à Hiroshima, en 1943. Son frère, Masahiro Sasaki toujours vivant, a coécrit l’ouvrage en apportant son témoignage.


En attaquant cette lecture, je savais qu’elle ne serait pas légère. Je connaissais la fin de l’histoire : une fillette qui meurt et laisse une marque d’espoir dans l’Histoire ainsi qu’un poignant message universel. Cependant, j’ignorais tout de sa vie, de son caractère, de sa ténacité. Cette existence recèle une force qui traverse les décennies et inspire, encore aujourd’hui, la défense de la paix.
 



Le livre s’ouvre sur la naissance de Sadako, le 4 janvier 1943 et parle de son quotidien dans un pays dévasté par la guerre mais où les enfants s’adaptent et conservent quand même une certaines insouciance malgré les difficultés. Si le sujet demeure difficile, l’autrice trouve un ton juste, sans misérabilisme. Elle donne de nombreux détails sur la vie de tous les jours qui permettent de comprendre le dénuement de la famille mais aussi les petites joies nichées dans l’énergie d’une reconstruction et d’un avenir qu’on espère plus doux que le présent. Outre la tragédie de la maladie, la situation financière des parents de Sadako rend le récit encore plus poignant. Le coût des soins et les sacrifices qu’ils engendrent résonne avec un écho particulier sous la plume d’une autrice américaine. On suit Sadako dans son combat contre la maladie, un mal encore mystérieux mais que déjà les médecins diagnostiquent comme une conséquence de la bombe atomique. On découvre une enfant charismatique, pleine d’empathie et de ressources, très consciente de ce qui se déroule autour d’elle, alors même qu’elle est de plus en plus confinée à sa chambre d’hôpital. 
 
Lorsqu’elle apprend la signification des guirlandes de grues en origami qu’on offre aux malades, elle décide de se lancer dans le pliage. La légende dit que si on réussit à plier mille grues dans l’année, notre vœu sera exhaussé. Hélas, même si une version populaire sur Internet prétend que Sadako serait décédée avant d’avoir achevé sa tâche, elle est fausse : la fille a non seulement plié ses mille grues sans être guérie, mais elle a persévéré, avec un nouveau vœu, altruiste. À son décès, ses camarades se sont mobilisés. Une statut à son effigie a pu être érigé et le mouvement de solidarité ainsi amorcé perdure encore, liant à tous jamais la vie de cette enfant au terrible drame des irradiés d’Hiroshima et Nagasaki.

 
 
 
L’écriture limpide et illustrée de dessins et photos d’archive s’adresse à un jeune public. La puissance du texte et de son message sur la quête de sens peut aider enfant et adulte à franchir certaines épreuves, surtout en ces temps étranges. D’ailleurs, suite à la rencontre avec l’histoire de Sadako, Sue DiCicco a fondé l’organisation Peace Crane Projet afin de continuer la transmission.
Cependant, je reproche à l’ouvrage son manque de clarté sur l’implication du Japon dans la seconde guerre mondial, sous-entendant une position de victime. Quand on connaît le négationnisme toujours en vigueur aujourd’hui, j’aurais apprécié plus de nuance. Un écueil probablement inévitable, étant donné que l’autrice est elle est américaine et qu’elle a coécrit l’ouvrage avec le frère de la victime. J’émettrai aussi un bémol sur le portrait de Sadako, frôlant parfois le panégyrique. Mais comment écrire la vie d’une môme qui décède à douze ans d’une leucémie en endurant une douleur inimaginable, tout en laissant à ses proches et à ceux qui l’ont croisé sa route un souvenir aussi lumineux ?

Si le ton m’a parfois semblé mélodramatique, c’est l’espoir et la volonté de vivre qui traverse ce texte et se transmettent à son lecteur. L’histoire authentique de Sadako Sasaki et des mille grues a sa place dans les bibliothèques et aussi dans les programmes scolaires, il est un merveilleux outil pour enseigner l’empathie et le courage, en évitant l’écueil du discours moralisateur.

Cet ouvrage a été reçu en service de presse et je remercie l’éditeur Sully Le prunier. 

Sadako, mars 1955
Attention, le contenu de la page wikipedia en français est faux.
  • Interview de Masashiro Sasaki (en anglais) :
https://en.wikipedia.org/wiki/Sadako_Sasakihttps://en.wikipedia.org/wiki/Sadako_Sasaki