25 février 2013

Parfum de glace, de Yoko Ogawa : ce qu'il reste après la perte



Ryoko apprend l'horrible nouvelle : son petit ami, Hiroyuki s'est suicidé, sans aucun présage ni signe de mal-être. Elle découvre à ses funérailles l'existence d'un jeune frère, Akira, et d'un passé dont elle ignorait tout. Mais qui était cet homme qu'elle aimait ? Sous les non-dits et les mensonges, elle enquête pour tenter de concilier ses souvenirs du défunt avec des éléments factuels.


Exhumer les souvenirs pour faire son deuil


Face au deuil, face à la violence de l'enlèvement de l'être aimé, il arrive que les émotions ne puissent pas s'exprimer tout de suite car trop fortes et trop complexes. La narratrice est ballottée de découvertes en révélations sur l'homme qu'elle croyait connaître et dont elle réalise, avec lucidité, qu'il lui a mentit. Pourtant, ses sentiments ne sont pas altérés, au contraire. Elle part à la recherche de son passé, pour comprendre ce qu'il était, et peut-être aussi, pour comprendre ce qui a pu l'amener à commenter un tel acte. À l'abandonner.

La veille de son suicide, il lui a offert un parfum de sa composition, appelé « Source de mémoire », un testament mystérieux lié à un passé où Ryoko est une étrangère. Avec Akira, le petit frère, elle retrouve quelques fragments de phrases étranges sur une disquette. Et ce sont les seuls éléments dont elle dispose pour essayer de reconstituer la mémoire d'Hiroyuki, pour écarter les rideaux des mensonges et de la réalité déformée, pour enfin comprendre cet homme hors norme.
Outre qu'il était un nez d'une sensibilité presque absolue, c'était aussi un maniaque du classement, capable d'organiser le quotidien avec une précision et grand sens pratique. Sa perception du monde passait par le prisme des nombres et des mathématiques, utilisés de façon quasi-systématique pour appréhender les choses. Pourtant, malgré son génie et son esprit scientifique, c'est le portrait d'un homme très chaleureux et aimant qui se dégage peu à peu. Chaque indice permet à Ryoko de se sentir plus proche du défunt, jusqu'à accomplir un voyage à Prague où, dans un lieu mystérieux, elle trouveras des pistes, des propositions plutôt que des réponses. Elle trouvera surtout la force pour survive, malgré le vide, malgré l'absence.


La folie reste derrière la porte mais l'étrange s'invite à pas de loup...


Encore une fois, Ogawa écrit sur la douleur de vivre, indicible, sur les obsessions et les cadres que l'on se fabrique pour tenter d'avancer dans cette existence insensée, où la communication avec les autres obéit à des règles floues et changeantes, où il est si difficile de comprendre et exprimer les élans de son cœur. Ses thèmes de prédilections sont de nouveaux présents (classement, collections obsessionnelles, incapacité à s'exprimer...) pourtant, sans jamais être redonnant avec ses autres romans. Son écriture est d'une retenue presque prude, cependant, derrière la tempérance on perçoit le tumultes des émotions, toujours à fleur de peau, prêtes à jaillir et à tout emmener si on retire les verrous mis en place avec minutie.
J'ai toujours l'impression que dans les romans de Yoko Ogawa, la folie menace,  présente comme un fantôme, sans jamais se manifester dans le monde physique. Dans Parfum de Glace, la mère de Hiroyuki et Akira est l'élément déséquilibrée, et elle a transmis à son fils génial une partie de ses failles. Pourtant, Ryoko s'adapte aux perturbations, toujours avec beaucoup d'humanité et d'amour. C'est pour cet amour, profond sans être ostentatoire, que j'aime tant l'oeuvre d'Ogawa.

Malgré toute la tristesse du sujet - le deuil et la découverte de son impuissance et de son ignorance - le sentiment qui ressort est positif, vivant. Elle a la faculté de raconter des drames sans tomber dans le mélo ni le sordide. Elle passe par la poésie et l'étrange pour terminer son enquête, en incluant un élément fantastique qui donne à son histoire profondeur et magie.
Yoko Ogawa et comme Haruki Murakami, une source intarissable de surprise et de plaisir. Je songe que je devrais lire d'autres auteurs (ils sont nombreux à attendre sur mes étagères), et pourtant, je reviens sans cesses sur ces deux-là avec la certitude de ne jamais être déçue et que la lecture sera fascinante.


Un autre livre d'Ogawa dans l'étang :
- La formule préférée du professeur


7 commentaires:

  1. Un auteur que je ne connais pas du tout.

    Merci pour la découverte

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  2. Prenant ton résumé, ça donne envie de le lire, la suite. :)

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  3. @Chrys : mon roman favori reste "le Musée du silence", elle a fait aussi beaucoup de nouvelle, un genre dans lequel elle excelle. Elle fait partie des auteurs japonais contemporain vraiment incontournable :) Si tu as l'occasion, tu devrais tenter !

    @Zipanu : merci ! Le bouquin est construit à la manière d'une enquête policière, du coup il y a même du suspens, ce qui est assez incroyable, vu le sujet.

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  4. bien, je sais ce que je vais ajouter à ma liste de lecture :)

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  5. Merci pour cette chronique très bien écrite.
    Au contraire de toi, je n'ai pas encore réussi à choisir un livre d'Ogawa ni de Haruki Murakami, mais d'autres plus classiques comme Tanizaki ou Yasushi Inoue sont déjà passés souvent sur ma table de chevet...
    En ce moment je suis avec deux grands écrivains contemporains : Hideo Furukawa et Kazushige Abe - chroniques à venir ^^

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  6. Un excellent Ogawa et pour moi son tout meilleur. C'est marrant que tu fasses un rapprochement entre Murakami et Ogawa que je fais aussi.

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  7. @Viny : je te le prête si tu veux !

    @Mackie : J'ai un peu de mal avec les écrivains classiques. J'ai hate de lire tes critiques :)

    Jean-Charles : mon préféré d'Ogawa (pour l'instant) reste le Musée du Silence. Je pense que si j'aime autant ces deux écrivains c'est qu'il y a des points communs notamment sur le style et la récurrence des thèmes

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Marianne