En janvier dernier, j'avais tout prévu.
Enfin, après des péripéties digne d'une comédie burlesque, nous avions trouvé notre nouveau nid. Un choix raisonnable plus qu'un coup de cœur de mon côté. J'étais fatiguée, usée par les déceptions, usée par la nécessité vitale de quitter la grotte où je manquais d'espace et surtout de lumière. Alors, quand notre proposition d'achat a été acceptée, je me suis posée, j'ai planifié.
D'abord, il y a avait les travaux ; on achetait un bien laissé en vrac. Et puis, j'avais la deadline du concours jeunesse Gallimard début mai en parallèle avec la mise en vente de la grotte. Après j'attaquerai les cartons, la préparation du déménagement. Et enfin, la récompense : les vacances.
J'ai tenu la deadline.
J'ai bouclé la première version de mon texte jeunesse. Certes, il y avait des défauts mais j'en étais satisfaite avec la sensation agréable d'avoir fait de mon mieux. Hélas, je n'ai pas fait partie des trois finalistes.
La deadline pour les travaux, par contre, l'entrepreneur s'est assis dessus. Puis, il l'a mise à la benne avant de lui foutre le feu. Le mec souffre du complexe du « c'est la faute de... » mais jamais la sienne. Jamais sa responsabilité.
Hors, le déménagement était fixé avec une date qu'il nous avait donné. Fin juillet. Le pire moment où TOUT le monde trouve qu'il s'agit du moment idéal pour migrer. Beaucoup de stress, beaucoup de colère, beaucoup d'envies de meurtre. Finalement, on s'est « arrangé ». On a déménagé deux jours avant les vacances dans un appartement inhabitable.
Heureusement, la date du séjour à la montagne, elle, n'avait pas bougé. Une soupape, une joyeuse parenthèse de dix jours à crapahuter, à rire avec les copains, à se déguster de bons repas (merci à La Barbe préposé à la cuisine).
Le retour a été violent.
Les travaux n'étaient pas finis. Les copains nous ont hébergés. Puis, ça a été camping, négociations avec l'entrepreneur, les ouvriers. Vivre dans le bordel. Profiter de la terrasse, de la lumière. Se dire que, tant pis, il faudrait certainement que La Moustache mette la main à la patte et termine les finitions.
Tenir jusqu'aux finitions sans effusion de sang.
J'avais tout prévu.
Dès septembre, je me remettais au travail. Un mois pour retravailler le texte jeunesse et m'occuper des cartons restants.
Mi-septembre, on a dégagé l'entrepreneur. C'était devenu insupportable. On avait payé rubis sur l'ongle des travaux qu'il se refusait à finir... faute d'argent.
Problème de gouttière, pas de chauffage fonctionnel, problèmes sur les velux et tout un tas de machins pas finis. Une salle d'eau, pas de salle de bain. Les week-ends dans les magasins de bricolages. Les coups de fils et la gymnastique mentale pour tenter de trouver des solutions.
On a vendu la grotte.
Une inquiétude de taille qui s'évaporait alors et une situation financière soudain plus tranquille. Bye bye le prêt relais et le banquier incompétent (oui, on fait combo).
Octobre, c'était pour préparer le Nanowrimo.
Choisir le projet, faire un plan.
Se remettre vraiment à bosser sur du neuf. À écrire.
Il y a eu d'autres trucs. Plus douloureux. Affectifs, émotionnels. Des accidents. Des vides. Des accrocs qui ne se réparent pas aisément. Des pans entiers de vie qui s'effilochent. Des fils qu'on pensait solides, incassables même, qui cèdent. Des ourlets défaits, des boutons perdus. Certains retrouvés.
Le nid se construit. Joyeux. Nouveau.
Chaotique parfois mais douillet, soyeux.
Les accrocs restent.
Certains encore béants, impossibles à ravauder. Alors, il faut arrêter les bords, choisir jusqu'où on peut sauver l'affaire, et lentement, délimiter une zone. Une zone d'absence de matière. Le trou reste, mais il ne s'étendra plus. Plus tard, quand j'aurai le courage, je mettrai une pièce. Une pièce jolie, choisie avec soin, non pour dissimuler l'accro et la perte dans le tissu, mais une pièce pour embellir l’étoffe. Comme avec le kintsugi, la réparation rend plus beau. Plus précieux.
J'avais tout prévu. Sauf de mon incapacité à me connecter sur un nouveau projet. Mon incapacité à amorcer les questions d'un nouveau texte. Mon incapacité à écrire autre chose d'une bouillie indigente.
J'avais tout prévu, sauf ma fatigue mentale, mon épuisement émotionnel.
J'avais tout prévu.
Sauf de décider d'abandonner le NaNo au bout d'une semaine.
Sauf d'aller deux fois à Lyon pour des conférences.
Sauf la chaleur humaine et la joie. Les attentions. Les soutiens.
Sauf des trucs qui tombent pile-poil quand on ne les attends pas mais dont on réalise avoir un besoin vital.
Sérendipité.
Parce que l'univers a autre chose à faire que des croche-pieds.
Qu'il a une générosité des inconnus mais aussi des autres, ceux qui ne sont pas encore dans le cercle des « amis » et qui pourtant donnent sans compter, sans attendre de retour. Donnent exactement ce qui soulage, motive, réchauffe. Et qu'il y a les amis, la famille (Les belges !), la sienne et celle de La Moustache. Qu'il y a des petites choses, des fragments de coupons tombés du ciel qu'on incorpore avec soin au grand tissage toujours en cours.
La toile a ses accrocs, son hétérogénéité parfois étrange et aussi, sa cohérence. Des accidents et des ratés nait une beauté fragile et particulière.
Elle grandit.
Je me remets au travail lundi.
Je suis très émue à la lecture de ton texte, chère Marianne.
RépondreSupprimerje t'admire fort, très fort. Et j'espère lire tes mots encore très longtemps.
Des bises chaleureuses d'Amiens et bien du tendre vers toi!
Delphine