2 mai 2017

Séisme - où je sors de deux mois de silence ici [Journal#6]


Tout tremble.

Je ne parle pas des résultats effrayants du premier tour des élections présidentielles qui nous renvoie quinze ans en arrière. A l'époque, j'avais constaté que l'impossible prenait corps, que des humains pouvaient volontairement se tourner vers un parti de haine et de peur afin d'être gouverné. Hitler a été élu au pouvoir. Éternelle boucle, recommencement. Short memory, comme dans la chanson de Midnight Oil.
Non, je ne parle pas de ce séisme-là.

Celui qui m'agite, fissure mon intérieur a commencé avant, le 24 janvier de cette année. Ou peut-être même beaucoup, beaucoup plus tôt. Toute petite.
Si je raconte l’histoire en commençant par le début, elle sera longue, ennuyeuse pour vous, douloureuse pour moi. Pas le courage. Pas l'envie. Et puis, ce n'est pas ressasser qui aide à inviter la joie et à lâcher la merde.
Ce séisme est d'ordre familial. Une bombe. Un truc qui secoue, mais après la première déflagration, nous ne sommes pas en mesure de réaliser les conséquences. Je suis en vie. Je compte mes membres. Mes doigts, mes orteil. OK. Tout le monde répond présent à l'appel. Je continue.
Ça va aller. Çà va passer. J'y crois.

Puis, il y a les répliques, la poussière qui retombe. Le tissus même qui me compose, mon sang, mes tripes, mes souvenirs, mes os (surtout ma hernie discale), mes nerfs, continuent d'être agités de spasmes, de soubresauts. Ils tremblent encore.
Après, je suis changé.
De nouvelles perspectives s'ouvrent sur le paysage alentour, sur moi-même, sur l'enfant que j'ai été, qui vit toujours en moi, et surtout, sur celle que je veux devenir.


Inutile de s’entêter à construire au dessus de la faille.
Je ne suis pas le Japon.
Je n'ai pas envie de vivre sur un moi qui redoute la venue du Big One. Hop. Je vais planter mes racines ailleurs. Je suis humaine. Vivante. Mobile. Mouvante.
L'exposition prolongée à l'amour destructeur, aux relations toxiques et dysfonctionnelles, même parée des atours de l'affection parentale - m'use et m'abime, me blesse.
Parce que je suis vulnérable, peut-être plus que d'autres. Je ne sais pas. Par contre, après 40 ans de crash test, les conclusions sont sans appel : je ne suis pas résistante à ce que mes parent me donnent. J'ai du mal à qualifier d'amour le mélange de culpabilité, attentes frustrées, incapacité à accepter mes choix et celles que je suis, accusation, déceptions, violence verbale, sabotage...

Depuis plusieurs années, j'ai compris que mon père était ce qu'on appelle, en langage psychanalytique, un pervers ; j'ai fait mon deuil de la relation que j'aurai désiré avoir avec lui et douloureusement accepté la réalité. J'ai trouvé des solutions pour interagir un peu, qu'il soit présent à distance, sans y perdre des plumes.
Je n'avais pas compris l'étendu des dégâts.
Pas compris que ma mère, elle aussi, cette autre partie, jouait un rôle tout aussi tordu.
Je n'avais pas compris leur fonctionnement de couple, la dépendance affective, et leur jeu de massacre qui a commencé probablement dès leur rencontre, peu avant ma naissance.

L'amour ne suffit pas.
Surtout pas quand, en son nom, on justifie les insultes, les destructions, l'agressivité systématique face à la personne saine qui, naïvement, par son existence même, dénonce l'absurdité et la perversion. Ce n'est pas la faute du lion s'il bouffe la gazelle. Sa nature profonde, sa survie même demande qu'il la chasse et la croque.
Je ne suis pas une gazelle. Libre arbitre, cerveau fonctionnel et tout le tintouin. Comprendre ce que je suis, ce qu'est ma mère, ce qu'est mon père, comprendre que leur seule proximité, leur seul contact me détruit.
Certains vivent très bien avec des armures. Pas moi.
Moi, je ne suis pas une gazelle, mais une grenouille, pas des masse de carapace. La flemme d'être aux aguets, en hyper vigilance, toujours à se calmer, à ne pas nourrir la violence, à relativiser, à se protéger sans attaquer, à plier jusqu'au point de rupture.
Épuisant.

Le 24 janvier, j'ai dû intervenir dans la vie de mes parents, sur demande express de ma mère. Plus une exigence d'ailleurs qu'une sollicitation d'aide. Je pensais qu'une première opération commando ouvrait à la voie pour un retour à la normale, au rationnel. Lourde erreur. Après deux mois, une seconde a été planifié, malgré mes réticences. Toujours sur demande de mes géniteurs. Avec le soutient de la Moustache et la grande réticence de certaines de mes amies, inquiets pour ma santé psychique.
Une deuxième opération pour sauver les meubles, littéralement.
Une dernier voyage vers celle que j'étais...
Ou pas.
Un nouveau séisme.
Tout explose à nouveau.

Maintenant, je refuse les rapports de force, les jeux de pouvoirs, je refuse que ma mère m'impose la violence comme seule issue quand les mots ne sont plus entendus.
Alors, j'opte pour le silence, la distance, l'abandon. Mes derniers espoirs d'une résolution intelligente des problèmes se sont évaporés.

Je m'aime trop pour continuer de subir.
Je me respecte trop.
Cet amour-là, je n'en veux plus.

Je profite de l'énergie cinétique du séisme, je m'élance ailleurs. Je transforme, je fabrique, je bidouille, je crée. Ça secoue encore. Heureusement, l'épicentre bouge moins vite que moi. Sur un sol stable, un socle, je pose la première pierre alors que j’entends encore au loin le fracas des falaises qui sombrent dans l'océan.

3 commentaires:

  1. Nicolas Pagès3 mai 2017 à 14:55

    "La lucidité est la blessure la plus rapprochée​ du soleil" . Bel et courageux article. Amitiés

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  2. Ma chère Marianne,
    Oui, les petites grenouilles ont parfois à vivre dans des marécages bien trop vaseux et brumeux...
    Merci, une fois encore, pour tes mots en partage.
    Ton honnêteté, ton courage d'avancer, malgré tout, sont des baumes...
    Longue vie à ton étang et aux autres espaces d'eau claire à découvrir.
    Des bises amicales d'Amiens,
    Delphine

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Marianne