16 avril 2020

La patience du lilas



C’était un week-end de printemps, le premier week-end de mai. Cette maison de Touraine n’existe plus, rasée pour laisser place au TGV. C’était chez un couple depuis séparé. Amitiés perdues, rongées d’incompréhension, de choix de vie divergent jusqu’à l’impasse.
Il me reste de cette escapade la fragrance douce d’un lilas immense et vieillissant. Un jardin laissé trop longtemps à l’abandon qui a connu, lors de ces journées, une activité intense. 

Tailler, nettoyer, désherber, et rire. Beaucoup de rires.

C’était un week-end de promesse, une maison tout juste acquise, un nid à construire, des possibles à planter. Avant qu’un train ne ravage tout. C’était une période de bonheur tangible bâtie sur une terre déjà malade, trop meuble.
De la joie plein les poches, des sacs de boutures et rejets divers, nous sommes rentrés chargés de trésors à ramener à Paris. Nous aussi, nous avions emménagé dans notre premier chez-nous, une grotte en ruine, l’année précédente. Tout nos revenus passaient dans le remboursement du prêt. Les plantes de récup étaient une aubaine joyeuse.
J’allais avoir trente ans.



Sur le quai, une foule attend le train bondé.
Retard en cascade, d’incidents en accident. Je me souviens de cette fin de week-end chaotique et tardive, chargés avec nos précieuses vies végétales, de la file d’attente interminable à Montparnasse pour acheter la carte orange. Nous étions partis en avril, nous revenions en mai, fleuris et heureux.




Durant quinze ans, le lilas s’est tu.

Dans l’ombre humide de la cours de la rue Turgot, un rideau verdissant devant nos hautes fenêtres du rez-de chaussée. Maigre protection contre le vis-à-vis et le local à poubelle, soooo glamour. Mais jamais de bourgeons de fleurs.
Certaines des boutures d’althéas se sont acclimatées. Le lilas a survécu, péniblement. Un peu moche, déplumé.

Et puis, nous avons enfin quitté la grotte, migré vers le 20e.
Sur la terrasse, le lilas découvre l’existence du soleil. Sans révolution, il s’accommode à ce changement d’exposition. Certaines plantes ont peiné, comme les hortensias, d’autres, comme le rhododendron, n’ont pas passé l’été. J’ai regardé le lilas, vraiment très moche.
Nous avions des plans pour aménager l’espace, une fois que l’intérieur serait achevé. On s’y connait en travaux. Des années à vivre dedans (presque dix). Et nous ne sommes toujours pas vaccinés !
L’intérieur est aujourd'hui presque achevé, et pour l’instant, l’extérieur reste toujours un grand foutoir système D avec de la récup et des pots en terre cuite explosés par le gel et réparés au stock pour toiture (très efficace). J’ai regardé le lilas et décrété qu’il serait l’un des premiers candidat pour le petit bois.
Aucun avenir dans ce futur pas si lointain où nous transformerons la terrasse en havre avec barbecue, tonnelle, et bac à lotus, coin potager...


J’adore le lilas.
Deux pieds encadraient le petit portillon en bois blanc écaillé de ma maison d’enfance : un rose et un violet. Dès que la floraison commençait, mon aire de jeu tendait à se rapprocher des arbustes et souvent, j’allais renifler les délicates inflorescences. J’aime aussi la feuille vert tendre en as de pique. Avoir un lilas, c’est un rêve de gosse, une prolongation du lien avec la terre.




Printemps confiné où les promenades bucoliques relèvent du fantasme lorsqu’on vit à Paris et où toutes les possibilités de sorties loin du bitume se dissolvent dans un avenir fumeux sans cesse repoussé.
Un matin, caché derrière une branche de l’érable rouge en pleine explosion, une timide inflorescence émerge en haut d’une des branches rachitiques. Cette année, le lilas fleurira.
La maison a été rasée, le couple s’est dissout dans les affres d’une rupture violente, et il ne reste de cette amitié et de ce week-end que les souvenirs, teintés d’amertume. Pourtant, après quinze-ans à pousser dans un pot trop étroit, à l’ombre d’un immeuble de six étages, après avoir été déménagé par un monte-meuble branlant au bout d’une impasse piétonne, le lilas nous offre un miracle.

La couleur de l’espoir, un parme encore recroquevillé.
Promesse de ce parfum si particulier que j’adore.
Lorsque nous aurons le budget pour aménager la terrasse, le lilas de guingois, trouvera sa place avec d’autres rescapés. Mais, pour patienter, La Moustache se lance dans la confection de grands bacs avec les lames en bois imputrescibles conservés après la construction de la terrasse.
Une maison de récup' pour un arbuste de récup'. Parfois, pas besoin d'attendre quinze ans pour profiter !

Ces prochains jours, je posterai ici quelque photo du lilas.



2 commentaires:

  1. Parmi tant d'autres, un souvenir heureux ! C'est fou comme un simple projet peut prendre tant de sens, particulièrement maintenant. Les parfums de notre enfance, peuvent nous suivre, tout le long de notre vie 。。。

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  2. Jolie histoire sensible et comme toi, j'aime beaucoup le lilas.

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Il s'affichera un peu plus tard, après sa validation.

Marianne