17 août 2020

L’essentiel et rien d’autre, de Fumio Sasaki : vivre mieux avec moins

 
 
Quand on s’interroge sur notre société de consommation, voire de sur-consommation, on peut légitimement se demander si c’est l’homme qui possède l’objet ou l’inverse. Est-ce que notre tendance naturelle à amasser nous rend heureux ou nous aliène ? Pire, est-ce qu’elle ne contribuait pas à augmenter nos angoisses, notre mal-être, nos jalousies, nos ambitions démesurées, une faim inextinguible qui conduit à bousiller la planète ? 

 

Changer de paradigme 

Depuis plusieurs années, je tente périodiquement de faire du vide. Je me définis bordélique par nature, avec une limite simple : le moment où le désordre engendre la crasse. Là, je range. Quand j’ai déménagé il y a deux ans, malgré un sérieux tri préparatoire,

l’épreuve de tout mettre en carton puis tout déballer a été épuisante. Aujourd’hui, je regarde la masse d’objet que je possède, les miens et ceux en commun avec mon ex, et je me sens littéralement noyée, écrasée par une masse teintée de souvenirs, de possibles qui ne se réaliseront pas. Je ne veux plus de ce mode de vie. J’ai précédemment parlé sur le blog du bouquin de Marie Kondo qui, s’il est une aide précieuse, a quand même des défauts (je recommande la version BD). Voici un autre auteur Japonais, Fumio Sasaki, ancien éditeur de manga, dont l’ouvrage m’accompagne dans un travail d’introspection et de changement de façon de vivre.

 Si vous êtes collectionneurs, bibliophiles, avec une tendance écureuil, le terme de minimalisme risque de vous causer une crise d’apoplexie. J’avoue qu’à l’idée de me séparer d’une bonne partie du contenu de mes étagères, la panique guette. Je n’avais que peu de préjugé avant de lire ce bouquin - à la différence de ma rencontre avec celui de Marie Kondo - et cela m’a aidé à envisager ce qu’il propose avec une relative ouverture d’esprit.

Le préambule se fait avec des photos d’intérieurs minimalistes. L’image montre directement et avec force la réalité du minimaliste, notamment en juxtaposant des clichés avant / après du lieu de vie de l’auteur. Une entrée en matière efficace ! Pour contextualiser, le livre de Marie Kondo est paru au Japon en 2011. Les ravages du tremblement de terre et du tsunami ont été un des déclencheurs dans la démarche de Fumio Sasaki. Les objets du quotidien ont enseveli et parfois tué leurs propriétaires, de nombreuses personnes ont tout perdu. C’est aussi le cas dans la zone proche de la centrale de Fukushima où les objets, même intacts, sont devenus des meurtriers potentiels par leur contamination. Les migrants qui quittent des pays ravagés par la guerre abandonnent leur possession pour tenter de sauver leur vie.

Depuis notre cocon confortable, nous regardons horrifiés ces pertes, parfois en se demandant, que sauverai-je en cas d’incendie ? À ce jeu, ma réponse première a toujours été ordinateur portable et disque dur externe (depuis que je n’ai plus de lapin), et après… je bugge. Littéralement. Que choisir ? Un livre, mais lequel ? Un ouvrage dédicacé, un souvenir de mon enfance ? Ou alors un dessin orignal que j’adore et qui m’apaise ? Tenter de choisir, d’imaginer les flammes dévorer ainsi mes affaires m’angoissent terriblement. Je ne suis pas non plus très douée pour sélectionner les objets à emporter sur une île déserte… Pourtant, l’idée de m’alléger me hante depuis des années. Avec un papa pro dans le stockage irraisonnable (sans être atteint d’un Diogène, comme le fut une de mes anciennes voisine), je sais que la tendance naturelle de nombreux humains est de remplir l’espace à disposition. J’y participe activement.

La structure du texte se compose de cinq parties. La première s’intitule « pourquoi le minimalisme », la seconde aborde les raisons qui nous poussent à accumuler des objets, et la troisième, la plus conséquente, liste 55 conseils pragmatiques pour nous aider à dire adieu à nos affaires, suivie de 15 conseils complémentaires pour aller plus loin dans cette fois, la quatrième liste douze choses qui ont changé depuis que l’auteur a adopté le minimaliste et la dernière traite de l’objectif de la pratique « être heureux » plutôt que devenir heureux.


Résumé assez exhaustif du bouquin

Au début de l’ouvrage explique les raisons de l’auteur pour devenir minimaliste avec des anecdotes sur sa vie, concises et révélatrices, qui dévoilent sont mal-être et ses comportements passés néfastes pour lui. Cette démarche s’inclut dans la culture japonaise ; cela induit un biais pour les lecteurs non familiers, mais cet exotisme peut aussi aider à nourrir la curiosité sur le sujet. Pour ma part, mon attrait pour le Japon a facilité l’appréhension. Fumio Sasaki définit alors les personnes minimalistes comme étant ceux qui savent ce qui est vraiment important pour eux et réduisent la masse de leurs possessions en fonctionne de cette connaissance, en ne conservant que l’essentiel. 
Il n’existe pas de règles strictes prédéfinie puisque le minimalisme est un concept qui s’adapte à la singularité de chacun. Le minimaliste n’est pas un but en soi, il est un prologue à l’écriture de notre propre histoire. L’auteur aborde aussi la question de la surabondance d’information et de la difficulté que notre cerveau a à traité cette masse. Sa position sur la technologique par contre, me semble assez angélique (c’est un fanboy d’Apple). 
 
La seconde partie s’interroge sur les raisons de notre tendance à vouloir toujours plus, à accumuler sans fin. La joie ressentie au moment de l’obtention d’une chose (qu’elle soit matérielle ou non, comme une victoire par exemple) s’estompe avec le temps. L’auteur a constaté qu’il avait assez de possession pour combler ses besoins, pourtant il se sentait toujours malheureux et insatisfait. L’explication biologique du fonctionnement du cerveau est un début de raison à ce désir chronique d’obtenir plus, à cette usure de la joie, au mécanisme d’accoutumance. En plus, on se souvient mieux et plus durablement d’une déception. Nous sommes aussi très mauvais pour prédire le futur et déterminer si un objet va continuer de nous plaire et répondre à nos besoins ou à nos envies. 
 
Autre chose, l’homme est un animal social qui a besoin de l’estime du groupe. Nous tendons à exprimer par l’objet notre valeur personnelle jusqu’à un glissement complet et où l’objet devient alors notre qualité. Cette confusion implique que l’on achète des choses uniquement pour nous valoriser. Outre l’argent, l’objet prend de l’espace, du temps, de l’énergie. Un exemple m’a touché lorsque l’auteur explique qu’il croyait que sa bibliothèque était son identité. J’ai tendance à juger les gens quand je rentre dans leur foyer par l’absence ou la présence de livres, puis par leur titre et les auteurs. Une dérive élitiste pas très glorieuse... La fonction première de l’objet est donc dévoyée pour affirmer notre propre valeur. Or l’homme a besoin de prouver sa valeur à autrui, même pour les plus asociaux et introverti d’entre nous. Nous avons besoin de savoir que notre vie est utile, et qu’autrui reconnaisse sa valeur, cependant, les objets deviennent avec le temps les porteurs de nos valeurs, les détenteurs de notre estime de nous-même. Bref, les objets deviennent nos maîtres. Alors, pourquoi ne pas conserver uniquement ce dont nous avons besoin ? Pourquoi pas prendre des distances avec ces objets devenus bien envahissant et se séparer ces choses qui nous empêche d’avancer, nous aliène à une image souvent fantasmée de nous même ou à un moi ancré dans un passé révolu ? 
 
La troisième partie est une liste de 55 conseils très simples pour dire adieu à ses affaires. Je vais juste vous lister quelque uns de ceux qui m’ont marqué : - Abandonnez l’idée que vous ne pouvez pas jeter vos affaires
  •  Se désencombrer demande un apprentissage et tout commence non par l’acte mais par la prise de décision (conseil crucial qu’on retrouve dans le livre de Marie Kondo)
  •  Il y a plus à gagner qu’à perdre en ce débarrassant de ses affaires : temps, espace, liberté, énergie…
  •  Réfléchissez aux raisons qui vous empêche de jeter
  •  Minimisez est difficile mais pas impossible. Déclarer que c’est impossible signifie qu’on a déjà décidé de ne pas le faire
  •  Éliminez ce que vous conserver pour faire bonne impression, des objets faire-valoir
  •  Distinguer les besoins des désirs avant de faire un achat
  • Organiser et ranger n’est pas minimiser
  •  Laissez de l’espace vide, inutilisé
  •  Renoncez à l’idée que ça servira un jour, ne gardez plus des choses « au cas où »
  •  Dites adieu à la personne que vous étiez, ne gardez que les objets qu’il faut maintenant, pour avancer dans votre vie
  •  Sentir « l’étincelle de joie » d’un objet que l’on conserve aide à être attentif à son ressenti et augmente la concentration
  • Oubliez le prix initial de vos biens
  •  Si vous perdiez cet objet, rachèteriez-vous le même ?
  •  Notre maison n’est pas un musée (bye bye les collections) - Admettez rapidement vos erreurs, elles vous aideront à progresser
  •  Pour les cadeaux qu’on vous a offert, conservez le sentiment de gratitude, pas l’objet

L’auteur ajoute 15 autres conseils supplémentaires pour ceux déjà engagés sur la voie du minimaliste. L’un d’entre eux consiste à rappeler que cette pratique n’est pas une compétition, qu’il n’y a pas de règles applicables à tous. Il est stérile de se vanter d’avoir peu d’objet ou de juger négativement des personnes qui en conservent beaucoup.

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage liste les changements personnels qu’il a pu constater dans sa vie. Plus de temps, plus de liberté, profiter plus de la vie, ne plus se comparer aux autres ni se soucier de l’image que les autres ont de vous, se sentir plus impliqué dans le monde, avoir une plus grande capacité de concentration et vivre pleinement les expériences, une meilleure santé, des relations plus profondes, savourer le présent, ressentir de la gratitude, surtout « se sentir heureux » plutôt que « devenir heureux ». L’auteur parle d’une émancipation de certaines normes sociales du bonheur qui ne doit pas être une récompense mais un état sur lequel notre comportement influe.

 

Une lecture à la fois simple et ardue

 
Pour la forme, ce livre se lit aisément. L’écriture est simple, légère et aérée avec des exemples francs sur la vie de l’auteur qui humanisent la méthode sans la rendre trop particulière. Fumio Sasaki décrit la personne qu’il était sans complaisance mais aussi sans honte. J’ai apprécié la souplesse du propos et la structure travaillée, en paragraphes courts et lisibles. C’est donc un bouquin très accessible… Si le minimalisme vous attire, je vous conseille vivement cet ouvrage comme point d’entrée. Je le trouve plus concis et plus ouvert que les ouvrages de Dominique Loreau (intéressant mais avec parfois des affirmations qui tiennent hélas parfois plus de la croyance que du fait ou d’une posture de sachant assez douteuse).
 
Si le propos du livre peut sembler trop simple, même enfantin, avec une dimension presque « magique » pour la dernière partie traitant des bienfaits, l’auteur répète que le minimalisme n’est pas un but mais un moyen. Il ne se pose jamais en gourou où en détenteur d’une vérité absolue. Il n’a rien à vendre (à part son bouquin). Je lis peu (voire pas) d’ouvrage de développement personnel, préférant la rigueur des sciences humaines à des approches souvent fourre-tout, d’un accès plus facile mais avec des solutions souvent très biaisées. J’ai découvert Fumio Sasaki grâce à son second ouvrage, Ces habitudes qui font grandir votre talent chroniqué par Alice Monard sur le blog Lire le Japon.
 
Son article m’a convaincu et ayant besoin de cadre dans ma vie, j’ai investi. Cependant, en avançant dans la lecture, les références à « L’essentiel et rien d’autre » se multiplient, tant que j’ai décidé de commencer par là ! Un choix que je ne regrette pas. Attention, cela représente un investissement puisque les deux ne sont dispo qu’en grands formats. Fumio Sasaki se nourrit de nombreuses lectures dans le domaine des neurosciences qui expliquent le fonctionnement du cerveau. D’ailleurs, j’ai aussi lu le Bug humain de Sébastien Bohler, qui s’appuie sur les mêmes expériences et connaissances, dans une optique plus politique. Il s’agit en gros de comprendre pourquoi l’homme continue de saccager aveuglement la planète pour son confort et en connaissant les risques. Retrouver ainsi les même références et des analyses cohérentes des résultats, malgré une approche différente, m’a conforté sur le sérieux de Fumio Sasaki.

Il m’aura fallu plusieurs semaines pour venir à bout de l’Essentiel et rien d’autre. Lu avec l’intention d’assimiler son contenu et avec une approche réflexive sur mon mode de vie, le contenu m’a profondément bousculé. La décision de me désencombrer, devenue une nécessité, est peut être plus difficile que l’acte en lui-même. Je vous en reparlerai probablement ici ! Et vous, le minimalisme, cela vous tente ? 
 

Pour en savoir plus

- Un article de Libération sur l'auteur  "L'art du vide"

- Un article sur La magie du rangement de Marie Kondo 


 


2 commentaires:

  1. Pas grand chose à rajouter, sinon que je suis plus ou moins minimaliste (soft) dans l'âme. Pas vraiment une philosophie, plus une habitude de vie héritée de mon pseudo nomadisme (trois pays, sept villes, et quinze apparts/maisons dans ma vie), mais habitude mise à mal depuis que je vis au Japon avec une Japonaise. Peut-être faudrait-il que je lui fasse lire ce livre. :-)

    Sinon, comme je te l'avais dit avec ta critique du Bug Humain, j'ai un peu de mal avec l'idée de s'accaparer l'évolution et la biologie pour expliquer certains comportements et culturels et sociologiques.

    Je me méfie toujours de l'universalisme, encore plus quand il fait appel à la biologie. Il y a toujours une espèce d'eurocentrisme / impérialisme ou autre chose peu ragoûtante du même genre qui se cache dessous (pas toujours volontairement, note).

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    1. Ta collection de légo colle pas trop non plus au concept :) Pour le bouquin de Bohler, la question de l'universalisme est vraiment hors de propos. Il peut y avoir un biais cognitif dû à sa culture, on y est tous soumis. Son analyse n'est pas basée sur la biologie mais les neurosciences. C'est quand même très spécifique.

      Tiens, j'ai trouvé ça : https://www.youtube.com/watch?v=jrdLIRh3na0

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Marianne