Pourquoi j’écris ?


 

Il y le bruit de la rivière et puis les pieds qui marchent et qui écrasent des feuilles, derrière au loin un moteur, peut-être la route ou une tronçonneuse, enfin, il y a la présence sonore de la forêt avec le pépiement des oiseaux, des petits craquements, la boue, et ce bruit habité rappelle que je ne suis pas seule. Je suis seule à marcher, mais je ne suis pas seule. Déjà parce qu’il y a dans ma main ce bijou de technologie qui s’appelle smartphone avec son GPS. Même si je ne connais pas cette forêt, que je n’ai pas de carte, je sais qu’elle n’est pas très grande, que je ne peux pas vraiment m’y perdre, je peux téléphoner, parler, chatter et en même temps, je suis seule parce lors de ma promenade quotidienne que je tâche d’effectuer par beau temps, depuis que je suis ici. 

Mettre les jambes en mouvement, mettre le corps en mouvement, c’est une autre façon de mettre la tête en mouvement et éveiller cette partie un peu magique qui fait qu’on écrit.


Dimanche matin, j’ai assisté à une réunion, une rencontre informelle sur le web d’un groupe qui s’appelle Écrire à Tokyo et qui a été initiée par deux Français qui habitent à Tokyo, Julien Bielka, qui réside dans la ville depuis 2006 et Lionel Dersot, depuis 1985. En 35 ans il a constaté les évolutions de la perception du Japon, arrivé à une époque où le pays n’était pas du tout à la mode, ni comme il l’a justement dit "un produit marketing". Écrire à Tokyo regroupe des personnes d'horizons différents avec en commun un intérêt pour l’écriture, quel que soit sa forme. Lors de la dernière réunion était présent trois Français de Tokyo dont les deux concierges fidèles, un autre compatriote vivant à Takamatsu, que j’ai eu le plaisir de rencontrer par hasard lors de mon dernier voyage et un Japonais vivant à Paris. Quant à moi, j'ai assisté depuis mon exil belge.

Nous avons discuté du « pourquoi d’écrire ». Ce sujet me touche tellement que j’ai été incapable de prendre la parole. J’ai écouté soigneusement les paroles de chaque participant détaillants leurs motivations et je me suis retrouvées dans certaines, notamment dans celle de Julien « pour ne pas devenir fou ». Dans mon cas, le glissement vers la folie est une de mes plus grandes peurs et l’entendre ainsi énoncée, avec une simplicité abrupte, m’a énormément ému et retournée. Je n’étais pas en état de prendre la parole. 

 

J’ai beaucoup réfléchi. 

J’écris pour ne pas devenir dingue, pour sortir de moi certaines émotions, parfois, des choses très mesquines et des choses très moches que je n’ai pas envie de conserver ni de cultiver.

Cette écriture prend place dans mon journal. Elle n’est pas destinée à être lu. Je documente aussi de façon factuelle l’épreuve que je traverse depuis la rupture avec mon compagnon, parce que ma mémoire est très défaillante. J’oublie les choses désagréables sauf si sont associées à des épisodes ou j’ai ressenti une vive honte, dans ce cas, je n’arrive pas à m’en débarrasser. C’est marqué au fer rouge dans mon esprit. J’y repense souvent et la honte se double d’une culpabilité terrible et protéiforme : de ne pas avoir su agir correctement, ne pas avoir su dire les choses, ne pas avoir écouté l’autre…

Cette écriture qui n’a pas pour objection d’être divulguée.


Pourtant, de ce travail cathartique, une partie qui atterrit sur mon blog. Ma motivation première reste « ne pas devenir dingue », cependant, des bouts de texte subissent un travail de sublimation. Je peux donc les divulguer. On est dans le deuxième effet kiss cool de la catharsis qui consiste à purifier, et livrer au monde quelque chose de beau, une fois qu’on s’est débarrassé du caca intérieur. À moins qu’il ne s’agisse du stade ultime de la décomposition : de la pourriture qui permet de nourrir des jeunes pousses. Actuellement, mon projet de texte dans le cadre du NaNoWriMo aborde ce thème.


 

 

L’autre type d’écriture est fictionnelle.

Mes motivations diffèrent pour celle-ci. Cette écriture demande par ailleurs d’être bien, car je dois réfléchir, structurer. Je suis plus architecte que jardinier, même si mon mode d’élaboration devenait de plus en plus chaotique avec l’expérience. J’écris de la fiction pour partager. Pour moi, l’histoire est presque secondaire. Ce que je veux transmettre est plus de l’ordre d’une ambiance et d’émotions.

Un des participants a parlé de son désir de transmission en lien au fait qu’il n’avait pas d’enfant. Dans mon cas, n'en voulant pas, cela ne me dérange pas. Cependant, je pensais finir ma vie avec mon compagnon, ce qui ne sera pas le cas. J'ai aussi ce souhait de transmettre, de laisser quelque chose derrière moi. Même si mon manque de confiance me souffle que déjà, ce n'est pas hyper intéressant, et en plus que la notion de postérité est très narcissique. Je fais ce que je peux, en fonction de mes capacités.

En fait, j'écris, car je n'ai pas le choix. Si je n'écris pas, je vais très très mal. Les périodes sans écriture me transforme en une personne que je n'approuve pas, qui n'est pas agréable et surtout, je n'ai pas de plaisir de vivre.


Pour résumer, j’écris pour ne pas devenir folle, j’écris pour me faire plaisir, j’écris pour transmettre, et peut-être – c’est mon côté mégalo – parce que ce que je n’écris pas moi, personne d’autre ne l’écrira. Même si mes mots ne sont ni originaux ni novateurs, cela reste mes mots, ma singularité. Même si l’intérêt ne dépasse pas celui d’un cercle restreint, j’ai choisi de m’exprimer en public sur mon blog, depuis 2010. Les circonstances actuelles font que j'ai passé en privé ma présence sur les réseaux sociaux. Je souhaitais me soustraire au regard de mon ex-compagnon et pouvoir m’exprimer sans trop d’auto-censure. Cependant, ce retrait est probablement temporaire, j’assume ce que je raconte, même lorsque la qualité n’est pas au rendez-vous, même lorsque mon avis évolue.

Enfin, j’écris aussi probablement pour avoir des retours, pour combler mon grand besoin de reconnaissance, pour avoir ces petits coups de pouce, cette empathie, ce lien avec des parfaits inconnus qui me disent « moi aussi, je te comprends ». Le plus beaucoup compliment que je puisse avoir c’est lorsqu’une personne vient me dire que j’ai exprimé qu’elle ressent et qu'elle-même n'arrivait pas à verbaliser. Ces instants rares balayent les doutes qui surgissent à intervalle trop régulier.
Et vous, pourquoi écrivez-vous ? Ou, pourquoi n’écrivez-vous pas ?


Si le groupe Écrire à Tokyo a piqué votre curiosité, les informations sont disponibles ici :  

https://www.ecrirea.tokyo




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[Journal] La gadoue

Derrière la maison où je réside en ce moment, il y a bois, juste assez grand pour être qualifié de forêt par une citadine en goguette de ma trempe. L’automne s’installe tranquillement, jaune et doré, carbonisé maronnasse en raison de la sécheresse de l’été. Ici, pas de rubis, pas de cimes incandescentes, de camaïeux soleil couchant. L’arbre jaunit, brunit même et vite, se dépouille de sa ramure malade, d’un coup de vent. Il n’a pas d’érable dans le coin, pas d’arbre à l’automne surprenant, à part quelques essences plus exotiques plantées dans les jardins des quelques dizaines de maisons qui forme un village.

 



En octobre, la grisaille a plombé le moral du pays alors que s’annonçait la tant redoutée « deuxième vague » de la pandémie. Vous savez, celle qui n’a surpris personne sauf le gouvernement… Je suis arrivée ici vendredi, dans la nuit. Le samedi matin, un soleil radieux trônait au-dessus de petit bois. Si depuis il a plu et la température a chuté, avec ce matin la première gelée, les percées joyeuses de l’astre tire un peu le moral de sa turpitude épuisante. Comme il a plu, le petit bois si assoiffé cet été s’est transformé en marécage de fortune. Les rues de fonds de vallées se déverse sur les chemins et la gadoue règne en maître. Saphira, la chienne, cavale devant moi, extatique devant tant de possibilité de jeux. Je marche avec précaution, préférant éviter glissade et bain de boue impromptue. Je laisse ce plaisir aux sangliers dans leur souille.

 

 

 Bien alignée, dans une trouée, une série de champignons encore humide de rosé égaie ma fin de matinée. Agenouillé, je les photographie sous les coutures, du pied au chapeau, et observant leurs lamelles parfaitement rangées. Une jeune pousse d’ortie me rappelle que la boue n’est pas la seule menace. J’enjambe le ru, d’une main accrochée au tronc d’un boulot innocent, je n’ai aucune envie de noyer mon unique paire de chaussures de rando. Je voyage léger, partie inopinément avec une valise de taille modeste. OK. En vérité je suis partie dans un état frisant la panique, la poignée de neurones encore fonctionnels concentrés sur la tâche titanesque de ne pas trop oublier de trucs essentiels (sachez que mes chaussettes en pilou sont restées à la maison, et c’est le drame). J’arrive sans encombre à ne pas me casser la margoulette sur le terre-plein. Saphira elle, n’a pas les mêmes hésitations. Ravie par la fraîcheur de la baignade, elle partage son enthousiasme et venant s’ébrouer à mes côtés. Merci.

Mon stock de pantalon aussi est limité…


 

Dans les arbres, les chants des oiseaux. Mon identification se limite à celui des mésanges, si gaie avec leurs trilles mélodieuses. Ne pas savoir nommer, ne pas savoir reconnaître, ne m’empêche pas d’apprécier les sons de la nature. Les parcelles ici sont exploitées en bois et des planques de chasseurs rappellent que ce paysage est fabriqué, habité, presque autant que la ville. Pourtant, ici, sur ce chemin aux profondes ornières, je respire un air de liberté, de calme. Pas de masque, le vent froid sur mes joues. Pas d’attestation sur mon smartphone, juste mon podomètre. Je savoure ce privilège que beaucoup de mes amis n’ont pas. Dans d’autres circonstances, avec un logement à moi, pas en transit, être confinée seule aurait peut-être était envisageable, sans l’angoisse sourde de craquer.

Depuis la rentrée, je tiens, toute rapiécée. Ficelle de fortune pour conserver ensemble ce qui se disloque, les bout arrachés qui pendent, effilochés, piqués d’échardes qui s’accrochent et risquent même de blesser ceux qui viennent m’aider. Dans le silence vivant du petit bois, les pieds dans la boue, les mains transies, j’écoute. Le jappement de joie de la chienne, le clapotis de la rivière en contrebas et toujours, le chant des oiseaux. Je me promets de profiter du lieu, de cette possibilité de marcher, seule, ou presque, dans la gadoue, chaque jour où la météo sera assez clémente pour que je m’y aventure.



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[journal] Crépuscules de novembre




Une autre campagne, d’autres cieux, d’autres crépuscules. Une autre maison, un autre couple. Les souvenirs d’un lieu où je me rendais souvent se surimposent au présent. Quand l’impossible s’installe dans ton quotidien, plus rien ne semble stable, sûr. Je regarde les amants en songeant au potentiel d’explosion, de rupture, en songeant aux amertumes et aux naufrages.

 


 Alors, je ferme les yeux, j’inspire le rose des nuages, j’inspire le chant hystérique des oiseaux, j’inspire l’eau accrochée à la falaise du grillage. J’inspire l’ambiance d’un petit village où se nouent drames et solidarités, ou le mesquin côtoie l’abnégation. Complexe, nuancée, la vie vaut l’incroyable paysage, cet horizon marqué au fer rouge de l’empreinte des orages. L’indigo dégorge sur les cœurs solaires et la nuit teinte la vallée. Elle glisse sur les collines et ravage la vue.

Par le rectangle devenu aveugle, juste le reflet de mon visage, creusé.

Il y a un an, j’étais au Japon, bercée d’espoir pour mon manuscrit, tétanisée par l’agressivité de mon compagnon, dévorée de culpabilité, puisque, comme tout humain avec une confiance défaillante, je suis aussi mégalomane : ce qui se passe, ce qui cloche est forcément ma faute. Or, c’est accorder beaucoup d’importance à sa capacité d’action. Comme si les émotions de l’autre étaient de mon ressort. Comme si la vie de l’autre, qu’il soit heureux ou malheureux m’incombait.

Mégalo. God complex. Le paradoxe de l’athée !

La pénombre réconcilie les contraires, noie les incompatibilités bleues et rouges dans son océan pétrole. Quelqu’un m’a dit un jour que les couchers de soleils de novembre étaient les plus beaux. Devant moi, du temps, ailleurs qu’à Paris, ailleurs que chez moi, ailleurs qu’avec les fantômes, pour tester cette affirmation.









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[Journal NaNoWriMo : retour aux sources


 

Il y a deux ans déjà, mon incapacité à participer au défi d’écriture du NaNoWriMo m’a conduit à prendre conscience que je devais changer certaines choses dans ma vie pour me sortir d’un état dépressif. J’ai repris à contrecœur le chemin de la thérapie puis, en janvier 19, j’ai été contacté pour une commande d’un texte de fiction. En novembre, j’attendais les corrections du texte que j’avais rendu. Le NaNoWrimo était donc impossible.

Cette année 2020, étrange pour beaucoup, m’apprend le lâcher prise, action élusive que j’ai si souvent souhaité sans jamais réussir à l’appréhender. Une rupture en forme de répétition générale, un rabibochage, un confinement, une rupture pour de vrai, un nouveau confinement…

Loin d’un chez-moi qui n’en est plus un, sans attache sentimentale autre qu’amicales et familiales – certes fortes mais avec des enjeux et des fonctionnements plus libre qu’un couple – me voici face à novembre. Face à ce mois consacré par les amateurs d’écriture à un projet où ils dédient avec motivation et abnégation toute leur énergie, avec un enthousiasme mêlé de terreur, presque fanatique dans la crainte de l’échec. L’objectif reste toujours aussi impressionnant : atteindre les 50 000 mots. L’échec ? Il ne me fait plus peur. La perte apprend à retourner à l’essentiel, à apprécier ce que l’on a, et surtout à se concentrer sur le faire, sur l’être plutôt que l’avoir.

 

 

 Je me lance donc, sans filet, sans plan, sans histoire, pour écrire un texte que j’espère complet, différent de ceux que j’ai pondu jusqu’alors. J’abandonne l’idée d’écrire une histoire, avec un début, un milieu et une fin. Je ne me lance pas dans un essai, je n’ai aucune expertise ni savoir qui mériterait d’être ainsi partagé. Je vais bidouiller autre chose, un flirt avec l’auto-fiction, mais j’espère sans trop de narcissisme, un flirt avec la poésie et les petites choses du quotidien qui m’émeuvent. Ce ne sera pas un journal mais un texte avec une adresse, une intention d’être lue, peut-être de tisser une tentative de lien, d’humain à humain. Une tentative d’approche de l’altérité en mettant à nu des bouts de moi, avec, je l’espère nuance et douceur.

Loin de Paris, sans mes affaires, paumée en pleine cambrousse, les conditions sont réunies pour écrire sans trop de distraction, si ce n’est mon petit petit cousin, une chienne joueuse et une chatte caractérielle qui apprécie la chaleur du clavier de ma bécane. 

 

 


Et vous, des projets créatifs pour ce mois de novembre confiné ?

D'autres articles sur le blog au sujet du NaNoWriMo : 

- Keep Calm and Write 50 K

- National Novel Writing Month : 5 bonnes raisons de se lancer

 

 

 

 




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[Journal] Fuir dans les citrouilles


 

Pour mon anniversaire, en cadeau, j’ai eu un confinement.

Je n’ai pas beaucoup d’estime pour notre président et la gestion de la crise sanitaire par l’infantilisation de la population me laisse dubitative. Je suis experte en rien alors je n’ai pas d’avis intéressant sur la question, juste une constatation simple, égoïste : être enfermée plusieurs semaines durant, loin de mes amis, dans un logement que je veux quitter, logement qui abrite les débris de mon couple, les rêves avortés de plus de vingt ans, bousille ma santé psychique à grands coups de pelle. J’ai tâché de m’imaginer vivre là, dans cette maison baignée de lumière, avec cette magnifique terrasse. Même si j’y vis seule durant cette phase de transition, même si j’ai quitté la chambre conjugale pour me retrancher dans mon bureau où j’ai fait rentrer un lit pour enfant, je ne peux pas.

Je ne suis pas en capacité de passer un nouveau confinement dans ce lieu.

Jeudi soir, je n’ai pas écouté l’allocution présidentielle. La panique aveugle qui m’a étreint lorsque j’ai appris la nouvelle ne m’a pas laissé beaucoup de latitude : fuir. Fuir ou risquer un séjour dans un endroit qui je préfère vivement éviter de fréquenter. Vendredi matin, la discussion avec ma thérapeute, psychiatre de profession, a consolidé ma décision, l’unique choix possible : la fuite.

Je suis partie. Je pense à mes amis, surtout à V. malade. La culpabilité stupide mais griffue, se niche au creux du bide. Dans une précipitation frisant la panique, je plie bagage.

 

 

Faire rentrer de quoi vivre en pleine cambrousse, avec pluie, boue, toutou, forêts et travaux dans une valise de taille modeste. Dans un sac, y mettre livres, ordinateur, méthode d’apprentissage du japonais et trois pelotes de laine pour apprendre le crochet. Sans oublier la Switch, Animal Crossing m’a sauvé la mise lors du confinement V1.

Par la fenêtre du sympathique taxi, la ville connaît une frénésie, un chant du cygne, avant que de nouveau, elle retienne son souffle, jusqu’à l’asphyxie. Faune et flore, elles, respireront de nouveau. Un wagon calme file vers l’est. Ma cousine m’accueille à la gare et nous dépassons, furtives, heure du couvre-feu. La lune presque pleine diffuse sa lueur au travers des nuages et la route se déroule, sereine, sous les autres phrases des rares conducteurs, eux aussi dans l’illégalité. Vite, vite, rentrer. La fuite est achevée.

 



Ce matin, les petits pas dynamiques d’Isidore, deux ans, me tire d’un sommeil réparateur. Le soleil se glisse sous la porte de ma chambre aveugle. Je respire enfin.

 



 

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[Journal] Équinoxe d’automne

Mardi 22 septembre

Dans le frigo, de la confiture de marrons. Elle égaye parfois mes petit-déjeuners désormais en solitaire. À la fin du mois, nous aurions dû fêter nos dix ans de mariage. À la place, c’est rendez-vous avocat, réflexions administratives pour déménager, interrogations tourbillons pour mon avenir professionnel, au point mort. La confiture a deux ans. Elle vient des Bauges, de nos vacances rando avec des amis, juste avant de déménager. Avant... 


Patatrac.

 

Les marrons cette année sont plus amers que sucrés et l’automne prend une saveur sèche, rêche comme un projet de vie qui n’a pas survécu à la grande lessive du temps, décoloré, rétréci, tout effiloché. Direction le compost. Le recyclage l’attend, les vers s’en gaveront et peut-être même des jolis champignons. La météo prévoit enfin l’arrivée des pluies et du gris. Les jours rétrécissent mais eux ont encore un futur commun, au cœur de l’hiver doucement, ils gagneront en force et reprendront leur étirement sans jamais se lasser de ce jeu. Avant était annoncé les résultats d’un concours pour un mini-texte jeunesse avec à la clef, formation, parrainage, mise en relation. Un concours adressé aux auteurs en voie de professionnalisation. J’ai bouclé la nouvelle juste après l’explosion de notre vie commune, fin mai. Ça été dur. Mais j’ai tenu, j’en étais fière. J’estimais avoir mes chances, et j’espérais beaucoup. Trop peut-être.

 

Patatrac.

 
La déception ne durera pas. Je suis trop optimiste pour cultiver la nostalgie et me repaitre d’une confiture de « si », peu roborative, illusoire, et pour moi, destructrice. Les « si », je les laisse avec les regrets, à ceux qui aiment les arroser et les chouchouter. J’ai bien assez à faire, à me déraciner, à porter la boîte de vingt-un ans d’amour maintenant close. J’ai posé mon illustre postérieur (enfin, pas vraiment illustre surtout avec une carrière reniflant les pâquerettes) sur le couvercle. Je n’y laisse rentrer ni aigreur ni colère. C’est mon histoire. Celle de notre amour. Elle est finie. Mais je tiens assise dessus, sur la boîte hermétiquement close, pour laisser à la laisser reposer, se pétrifier ou se fossiliser peut-être. Sécher. Du minéral rien ne naitra, aucune odeur incommodante ni aucune possibilité. Si je la laisse pourrir, les espoirs-champignons pourraient s’y développer. Je ne le veux pas. 

J’ai entendu à la radio que les personnes qui vivaient en couple développaient moins la maladie d’Alzheimer. Je vais avoir 45 ans fin octobre. Alors, je pense à la vieillesse, à la solitude (Merci France Culture pour la thématique de la semaine). Oui, certains trouveront que je prends de l’avance mais quand on croit mordicus à un chemin de vie soudain couper sous vos pattes, difficile de ne pas remettre en cause tout et n’importe quoi… Heureusement, les personnes avec un réseau d’amis solide sont aussi plus épargnées. Et là, je suis gâtée. 


Quant à l’écriture, elle fait partie de moi. Elle demande du travail, beaucoup. Elle demande de la remise en cause – elle aussi – et elle demande du temps. Mon attention fragmentée et ma concentration dissipée compliquent le domptage de mot. Pourtant, je continue, et l’écriture s’installa, tranquille, dans ma poche. Alors tant pis pour le concours, tant pis si je ne séduis ou n’intéresse par d’éditeur. Tant pis si, fatiguée, je lâche un peu sur mes ambitions d’être une professionnelle (les sous, toujours les sous). Et puis, les choses qui s’écroulent, qui s’éboulent, qui font un patatrac assourdissant, promettent parfois une autre promenade.

 

 

Patatrac Patatrac, mon anorak

Roule, roule ma cagoule
Et, et, et mes gros souliers

 On ne voit plus que mon nez

 Moi je vais me promener !

 Anne Sylvestre


Aujourd’hui, c’est l’équinoxe. Le partage équitable entre le jour et la nuit. Le point de bascule. Cette nuit, vers minuit, cela fera quatre mois de séparation. Une autre bascule. L’automne me plait. Ses couleurs, sa lenteur, les promesses du sommeil et les merveilleux coucher de soleil. Je suis une fille de l’automne. Un caractère immuable, rassurant. Ma date de naissance ne change pas, reste là, fixe, même si le reste se pète la gueule, avec plus ou moins de panache, ou plus ou moins de pathétique. 
L’automne demeure. Les mots aussi. 
 
 
 
 
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Un long voyage, roman de Claire Duvivier

 


Le roman s’ouvre sur le récit de Liesse qui s’adresse à Gémétous qui a sollicité de connaître la vérité à propos de Malvine, une figure marquante de l’Histoire. Liesse s’excuse, car pour rapporter les faits avec justesse et leur contexte particulier, il doit parler de sa vie et de son passé. Voici le début d’un conte bien construit servi par une écriture fluide et travaillée.

La célébrité par capillarité ?


Ce premier roman Un long voyage nous prend par la main, doucement. Grace à un procédé stylistique maitrisé qui évite l’artifice avec une aisance quasi magique, Claire Duvivier nous livre la vie de Liesse et le destin d’une femme extraordinaire qu’il a côtoyé de longues années. Tout commence dans un archipel perdu, aux confins d’un empire fragilisé, dans un village où le décès du père change le destin d'un petit garçon prénommé Liesse. Devenu enfant indésirable dans une famille très pauvre, il est vendu presque de force par sa mère. Elle le refourgue à l’administration du comptoir impérial de Tanitamo, la capitale de l’Archipel, alors même que l’esclavage a été aboli partout ailleurs dans le reste de l’Empire. Cet acte impliquant un bannissement loin des siens, demeure incompréhensible pour ceux qui le recueillent, et il est sera fondateur dans la vie de Liesse. La prise de conscience du tabou, du décalage, le sentiment d'être un étranger mais aussi un transfuge de classe marque profondément le caractère travailleur, jovial et parfois naïf de Liesse.

Dès le début, Un long voyage parle de choc culturel, de la difficulté de communiquer dans une langue qui n’est pas la sienne. Liesse connait plusieurs déracinements, plusieurs fractures qui le conduisent à suivre Malvine, promise à une brillante carrière. 

Adepte de la découverte totale des livres (souvent sans même lire la 4e de couverture) je te tiens pas à vous dévoiler plus d’éléments sur l’histoire à la fois étonnamment ancrée dans un quotient banal et pourtant jamais ennuyeuse, et avec des retournements très surprenants. On sait, dès le début du récit, en raison du procédé choisi par Claire Duvivier, que le personnage de Liesse survit aux évènements. Pourtant, cela n’enlève en rien le suspens et la tension, jusqu’à la toute fin du récit.

 

 

Une histoire sans flonflon ni paillette


Si la vie dans la vie de Liesse, des circonstances extérieures vont le conduire hors de son village puis de la capitale de l’Archipel ou il pensait y rester toute son existence, son courage, sa volonté et son goût pour l’effort sont également des moteurs très puissants. Liesse n’est pas ni un héros, ni un élu d'une prophétie, juste un homme avec ses vulnérabilités, ses failles mais aussi beaucoup de courage et de ténacité. Il saura respecter le silence de Malvine sur un évènement étrange et fondateur, saura dompter sa curiosité et accepter les changements, même quand il ignore leurs causes.

Sa naïveté, surtout sentimentale, le rend très attachant. Sa position et son métier nous donne des fragments éparses des grands enjeux sur la survie de l’Empire qui se joue à la périphérie. Car Un long voyage, outre la vie de Liesse, raconte par bribe, le délitement d’un Empire et sa chute, avec les conséquences concrètes pour les petites gens qui veulent une vie heureuse sans forcément être habités d’un souffle héroïque et d’idéaux qui les transcendent. La banalité de Liesse mais aussi sa grandeur d’âme par sa fidélité en amitié, son adaptabilité, une certaine nonchalance, en font un personnage que je côtoie plus dans des romans de contemporain littérature générale que dans ceux de fantasy, souvent centrés sur une figure épique qui change le monde, plongée au cœur de l’action. Ici, pas de gloire, pas de grandeur ostentatoire, pourtant, Liesse se verra le seul dépositaire d’un secret incroyable, le seul capable de comprendre et transmettre un événement hors du commun ; l’objet même de son récit.


Livre compagnon de route


Livre hybride comme souvent chez cet éditeur, Aux forges de Vulcain, j’ai été séduite par style littéraire : travaillé mais sans autres effets que ceux demandés par la forme du texte (le narrateur s’adresse à la destinataire, Gemétous, en l’interpellant parfois). Le monde est rapidement campé, avec subtilité et efficacité, et puis, quand le lecteur intégra sa normalité, ses règles, voilà que l’autrice bouleverse la donne ! Cependant, elle a au préalable subtilement balisé le terrain, et enfin, elle change de ton et de genre pour la dernière partie. Si jj’ai littéralement dévoré la première moitié de l’ouvrage, j'ai ralenti sur la seconde en raison de l’ambiance et d’échos particuliers à ma situation perso du moment. Quant à l’extrême fin, je me suis presque arrêtée, non par difficulté ou réticence mais parce que je ne voulais simplement pas l'achever. Je ne voulais pas replacer le livre avec ses congénères sur l’étagère. Je voulais prolonger l’aventure, continuer à croire à la réalité de Liesse, continuer de lire ses mémoires comme une curieuse un peu voyeuse qui aurait piqué un cahier qui ne lui était pas destiné.

Les livres parus aux Forges de Vulcain ont comme dénominateur commun de toujours me surprendre et de m’impressionner par leur qualité littéraire, même quand l’histoire, la thématique ou le genre ne me plaisent pas. Enfin, Un long voyage a deux particularités touchantes, d’abord son titre qu’on croit comprendre et dont on ne saisit le sens qu’à la fin, et enfin, la magnifique couverture en accord parfait avec le ton et le contenu, une invitation au voyage, à la fois merveilleuse et inquiétante, teintée d’un soupçon de nostalgie.


D'autres articles à lire sur ce bouquin :

Un dernier livre

Les chroniques du Chroniqueur

Just an other word

Interview de l'autrice 

Emotions


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