Ryo, 20 ans, traverse les jours sans que rien ne l'atteigne vraiment, depuis le deuil de sa mère alors qu'il était encore enfant. Son quotidien se trouve chamboulé par la rencontre avec madame Midoh, une femme élégante et mystérieuse qui va lui proposer un emploi inattendu : prostitué de luxe.
Prostitué par hasard, ou presque
Call Boy (éditions Philippe Picquier) s'ouvre le cauchemar récurrent de Ryo. Il revit encore la dernière fois où enfant, il a parlé avec sa mère. Cette dernière matinée, avant qu'elle ne disparaisse à jamais. Ryo est censé être étudiant, il sèche surtout les cours avec assiduité. Rien ne l'intéresse vraiment, ni son travail de barman, ni son avenir, ni ses amis avec qui il entretient un rapport distant, ni même les filles. Il évolue avec une zone de tampon entre lui et le monde, lui et les autres. Un jour, par le truchement de Shinya, un copain escort-boy dans le quartier chaud de Shinjuku, il rencontre une femme nettement plus âgée que lui, madame Midoh.
Cette dernière le recrute pour un travail très lucratif et totalement illégal : call-boy, prostitué de luxe. L’attirance de Ryo pour les femmes mûres le motive à tenter l'expérience. Même s'il a besoin d'argent pour payer l'université où il ne va jamais, il semble mue plus par une espèce de curiosité blasée que par vénalité. Le sexe l'ennuie mais cette femme pique son intérêt. Le voilà bientôt évoluer dans ce monde aux codes étranges où il sert de son corps des femmes de tout âge, mariées ou célibataires, et les aide à assouvir leurs fantasmes souvent réprimés. Pas matérialiste pour un sous, Ryo n'a que faire de l'argent. D'ailleurs il continue de travailler au bar et de ne pas assister à cours. Il tait sa nouvelle activité à Shinya et Megumi, une camarade lui donne scrupuleusement ses notes.
Sous cette apparente indolence, Ryo s'éveille littéralement avec la prostitution. Madame Midoh, glaciale et inaccessible a su déceler en ce jeune homme le charme sous les atours de normalité. Une autre vie commence pour Ryo, avec de nouvelles perceptives et de nouvelles personnes : Sakura la muette, protégée de madame Midoh, et Azuma l'éphèbe.
Au cœur du désir féminin
L'étrangeté de Call Boy est d'aborder la sexualité de manière crue sans jamais tomber ni dans la pornographie, ni même dans l'érotisme. En effet, derrière la sensualité des rencontres, l'attitude toujours ouverte de Ryo désarçonne. Même dans les cas les plus bizarres, les plus déviants, il ne juge pas sa cliente, accepte ses demande et surtout, cherche à faire éclore le désir que parfois elle ne parvient pas à exprimer. Call Boy évite l’écueil du catalogue des pratiques bizarres en se concentrant sur les réflexions et les sensations de Ryo.
La mise en place de l'histoire est assez lente, c'est au milieu du livre que le récit prend son envol et sa puissance. Le roman change alors de ton, et propose un voyage dans l'intime des femmes, avec pudeur et sans jugement. Il questionne le désir, sa diversité, sa fluidité, comme un concept presque insaisissable et pourtant d'une grande simplicité, une fois écouté. Ryo s’adapte, s'améliore et continue son apprentissage du métier qui se transforme alors en une quête initiatique. Il cherche à comprendre un langage des corps qui fait abstraction du genre, de l'âge, des différences sociales, s'émancipe de tout préjugé et libère la femme du joug social.
La prostitution devient alors pour Ryo plus qu'un échange et ce qu'il reçoit est plus que de l'argent : il devient le confident, l'ami d'un moment de ces femmes, celui qui apprivoise leur désir, celui qui leur permet de se révéler, de parvenir à l'extase. Avec cette complétion, lui aussi, trouve dans le sexe, les femmes et la vie, le sel qui manquait à son existence depuis le décès de sa mère.
Le texte prend une tournure presque philosophique, avec un équilibre entre narration, description et réflexions.
Voyage dans des eaux subversives
Call Boy propose plusieurs niveau de lecteur. Les amateurs de roman qui apprécie une bonne histoire et un style marqué ne seront par déçu. Les curieux de Japon, non plus. Cependant, le livre, par son sujet sulfureux et son traitement presque idyllique, peut déranger. J’avoue que cette vision très propre et consentante de la prostitution masculine a de quoi choquer. Ici pas de yakusa, pas de jeunes paumés. Au contraire, madame Midoh donne une place aux jeunes hommes qu'elle sélectionne, une zone d'expression et d'existence.
Ishiada Ira avec talent et simplicité croque des personnages complexes, faussement lisses. Ryo, s'il reste avide de découvrir et de servir ses clientes, n'arrive pourtant pas à lire les signes que lui envoient ses proches. Son attirante pour les femmes plus âgée, clairement liée à sa mère, est d'une perversion affirmée sans jamais virer dans le glauque ou le voyeurisme d'un Ryu Murakami. Ici, le lecteur n'est jamais spectateur malgré lui, mais plus le témoin d'une ouverture et d'une appréhension de la vie, dépouillée de tout jugement, de tout tabou. Subversif à souhait !
Cette lecture d'une grande force, remue, remet en cause ses certitudes.
Ici pas de leçon, pas de dénonciation, juste une belle histoire, écrite d'une langue fluide et douce. J'étais impatiente de retrouve Ishida Ira, après le succès de la trilogie d'Ikebukuro West Gate Park. Je n'ai pas été déçue. Mon seul bémol est la proximité psychologique entre les héros de ces deux œuvres. Même si, Call Boy est nettement plus intimiste.
Le roman a été écrit en 2001. Dommage d'ailleurs qu'il ait fallu attendre 15 ans pour qu'il sorte en France. La physionomie de Tokyo a bien évolué depuis. A l'époque, le Japon était encore sous le double le choc de l'éclatement de la bulle immobilière et de la crise de 97 qui a fragilisé l'économie de l'Asie et fait flamber le chômage. Le quartier de Shibuya s'est depuis assagit, même si la sexualité au Japon reste toujours très éloignée de la notre. Par exemple, il existe de nombre clubs d’hôtes où tout est permis, tant qu'il n'y a pas de pénétration vaginale (là, on tombe sous la législation de la prostitution). La particularité de Call Boy est double : L'histoire évolue dans le milieu du luxe, peut-être par souhait de l'auteur d'éviter le sordide. Le travail de Ryo est présenté sans aucun violence faite au prostitué. La violence est ailleurs : dans le deuil, dans le carcan social, dans l'impossibilité de communiquer entre certains humains...
Call Boy n'a pas de vocation documentaire et même si j'ai parfois douté de la véracité des situations ou du réalisme du milieu dépeint, cela reste secondaire. Le propos est avant tout de traiter de liberté, par l'angle de la sexualité, même si, Ishida Ira glisse quelques remarques au vitriol sur la société de consommation.
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Il s'affichera un peu plus tard, après sa validation.
Marianne