3 juin 2016

Exercices pratiques [Journal #03]



Date : 31 mai 2016
Lieu : TGV Quelque part entre Nice et Canne

La semaine s'achève.
Une semaine d’exercice pratique avec la plus terrible des épreuves : rester zen alors qu'une personne aimée appuie inconsciemment sur tout vos boutons déclencheur de colère, d’énervement et de frustration. Une semaine avec comme alliés, le soleil, les chaussures de rando et le lien avec les amis, jamais bien loin sur la toile et bien-sûr La Moustache, toujours aux aguets, même à mille kilomètres.

Une semaine à alterner entre introspection et fatigue. 
Une fatigue si grande qu'elle laisse place au renoncement, autre adjuvant précieux pour travailler le lâcher prise. 
Diagnostiquer les causes de l'agacement, les décortiquer, découvrir les mécanismes sous-jacents est jouissif pour l’intellect mais n'aide en rien à ralentir les pulsations effrénées du sang dans les veines, la tête tantôt lourde tantôt cotonneuse, la sensation angoissante d'être à vif, de perdre pied.

Se voir de loin, se dédoubler. Se regarder depuis l'autre côté de la pièce. Contempler cette personne qui s'agite, qui provoque, nage à contre-courant, ne lâche pas le morceau, trop gros pour elle, et peut-être sans aucun intérêt.

Il est des batailles qu'on gagne en refusant de les mener.

Alors, si encore une fois, je suis tombée dans le piège du combat stérile et vain, qui ne fait que blesser les participants sans rien résoudre, j'ai quand même réussi à en esquiver certains et en abandonner d'autres, en cours de route.
Parfois faute d'adversaire.
Parfois, consciente de leur inutilité et de leur ridicule.

J'apprends à poser des limites. J'apprends aussi à accepter quand elles sont piétinées. M'énerver n'aide pas à résoudre le conflit et me fait du mal.
J'apprends à revenir, à réfléchir sur l'importance et la nécessité de la limite, à la déplacer si nécessaire et parfois, à reconstruire la protection, à signifier son existence à l'autre. À l'autre qui l'a ignoré. J'apprends à expliquer les causes de la limite, son utilité, pourquoi j'en ai besoin.

J'apprends à me préparer à un énième affront, à une énième attaque. À décider de la stratégie d'évitement qui sera la meilleure. J'apprends à me retirer, me décaler, à lâcher, toujours et encore

Le bilan de la semaine d’exercices pratiques est encourageant. Je suis en forme, reposée. Le soleil du dehors, parfois dangereux dans son enthousiasme, brille en dedans aussi. Il aide mots et projets à pousser, à sortir de moi.

Des heures de marche dans la ville sale où je suis née. Découvrir des escaliers abandonnés au miasmes d'urine et aux canettes vides, à chercher les points de vue sur la mer, les fissures et les cactées. À imaginer ma mère, enfant maigre d'une dizaine d'années, jouer avec ses amis, alors que le monde se déchire et que le pire génocide de l'humanité s’opère méthodiquement dans le silence ignorant. Elle s'aventure, avec son petit frère, hors du Passage-Grégoire, grimpe sur la colline et s'amuse des heures durant. Un autre monde, un autre siècle. Soixante dix ans s'écoulent et la colline disparaît sous le béton, les 4x4 et les grillages des résidences luxueuses marquent le monde et le cloisonnent. Il ne reste que les souvenirs de ma mère, ceux qu'elle me transmet. L'écho fragile de sa présence dans la ville alors que de nombreuses autres se sont déjà éteintes.

Alors, malgré les difficulté et la douleur des exercices pratiques, je retourne à Nice.
Je continue d’engranger ces moments présents et passés qui ne m'appartiennent pas vraiment.

Je n'ai pas d'enfant. Je n'en aurai pas.
Aujourd'hui, je réalise avec stupeur et émotion que j'ai pourtant besoin moi-aussi de transmettre cette vie, ces vies déjà achevées. Des morceaux, des fragments d'autrui, de ma mère, de ses amis, de mon père aussi, qui s'agencent dans mes textes, en sous-marin, qui me portent.

Je réalise avec des sentiments mitigés, à quel point ce que j’écris ici, ces quelques fils translucides d'une toile infinie, importent à mon être.

Alors, merci de les lire, de les recevoir et de les faire vôtre.
Pour cette fois, l’exercice pratique est terminé.

Je retourne sur le terrain connu de la capitale et laisse reposer la mer trop agitée.







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Marianne