Artiste : Monsieur Q |
Dimanche, il y a eu le massacre d'Orlando. J'ai éteint la radio. J'ai refusé le flux d'information parce que ça fait trop. J'ai continué ma vie.
Lundi, voir une exposition d'estampe et de gravure avec une amie. Gaver mes yeux de beauté. Rencontrer des artistes, me connecter aux autres, à des personnes avec qui je partage un intérêt, une sensibilité.
Mardi, levée 7h pour bosser à l'atelier. Un espace de co-working où je tente de briser les mécanisme de procrastination. Au programme, avancer sur le tri des photos du voyage au Japon. Préparer un article sur un photographe.
Puis soudain, je n'ai plus pu.
Trop de haine.
Toujours trop de haine.
J'ai beau me boucher les oreilles, détourner le regard, concentrer ma lorgnette sur ces petits choses magiques de l'existence, rien n'y fait. La saloperie crasse du monde finit par brouiller mon regard, affadir les couleurs. Ternir l'arc-en-ciel.
Malgré tous mes efforts, les protections sautent et encore une fois, je me trouve à vif. L'insupportable repousse les limites, encore et toujours. L'humain s’étripe, s'entre-tue, bafoue liberté et amour. L'humain s'aliène seul, choisit sans l'admettre la voie de la violence et du rejet.
En guerre contre soi, en guerre contre les autres, ceux qui vous ressemble un peu.
Parce que quand on se déteste, qu'on discerne dans l'altérité un trait commun, une complicité avec son moi profond, la haine de soi parle et s'exprime dans le sang.
Parce que quand on se déteste et qu'on ne voit dans l'altérité, que la différence et la diversité, l'illusion de bonheur menace de se dissiper. L'équilibre fragile qu'on entretient à grand coup de déni, vole en éclat.
Vite, il faut alors anéantir tout danger. Exterminer cet autre qui vit comme on le souhaiterait ou comme on ne comprend pas.
Détruire l'autre pour ses différences ou ses ressemblances.
Détruire l'autre, toujours et encore. Sans faillir. Sans réfléchir. Sans jamais s'interroger sur la justesse et la légitimité de ses pensées et de ses actions. Sans réfléchir à leurs conséquences. Se remettre en cause serait un chaos insondable. Ne pas réfléchir, rester un individu monolithe, solide, intouchable. Devenir sa foi. Devenir un idéal pour se détacher des contingences humaines. Pour regarder les autres de son piédestal de croyances et jeter des miettes de son savoir à ces mécréants idiots qui se vautrent dans la fange du péché.
Quelle triste vie, étriquée et petite, de ceux cloitrés volontairement dans leur psaumes et leur crédo...
Quelle triste vie dans l’extase du fanatique qui masque la peine d'être humain, mortel, faillible, imparfait.
Quelle triste vie, de gris et de noir, plongée dans la lumière si aveuglante d'un idéal impossible.
Quelle triste vie, insensible à autrui, à la diversité surprenante du monde, autant de chocs et d'ondes joyeuses qui sans cesse nous secoue, nous agite.
Quelle triste vie loin de la danse et des étreintes, loin des transports d'amour et d'affection si communicatif lorsqu'on tend ses antennes, qu'on ouvre son cœur en acceptant que l'autre ne fonctionne pas comme nous, ne ressent pas comme nous, n'a pas les mêmes valeurs, la même culture, la même éducation, les mêmes souhaits.
Quelle triste vie quand la conception même de l'existence est de mourir pour accéder à un ailleurs dont jamais personne n'est revenu témoigner.
Quelle triste vie...
Pourtant, je n'ai pas assez d'amour en moi pour tendre la main à l'humain qui seul, s'arroge le droit du juge et du bourreau et massacre cinquante autres hommes. Cinquante hommes dans un lieu de joie, de fête, de partage, de musique, de mouvement. Un lieu vivant.
J'ai juste envie de crier : si les autres t'insupportes, si leurs différences t'insupportent, part seul, loin. Ou mets fin à cette existence, et ne fais chier personne ! Mieux, réfléchis à ce que tu es, à la cause de ta colère et de ta haine face à ceux qui sont nés homosexuels ! Ces garçons dans ce club assument - au moins le temps d'une soirée - une préférence sexuelle déjà pas évidente à porter, dans notre société. Pour la simple raison qu'elle est minoritaire, donc hors de la norme habituelle, et encore trop souvent perçue comme aberrante.
Fais en sorte de te changer TOI et laisse les autres vivre.
Si la pluie te dérange, tu peux t'abriter, mais tu ne va pas te mettre à exterminer les nuages ?!
Si le soleil brille trop, tu te fous des lunettes de soleil, de la crème bronzante, où tu sors ton ombrelle. Mais tu ne vas pas avoir l'idée que le soleil est LE problème a ERADIQUER !
Non ?
Si tu es assez fou pour le faire, tu sais aussi que tu signes l'arrêt de mort de la planète.
Les autres humains sont comme la pluie et le soleil. Sauf qu'eux, on peut les tuer.
Sauf qu'eux, on peut les blesser si fort, si profondément qu'après, l'arc-en-ciel se ternit...
Leur origine, leurs mœurs, leur sexe ne te convient pas ?
Passe ton chemin, ignore-les. Si tu as le courage, cherche en toi la raison de cette colère. Mais, je t'en conjure, laisse donc chacun vivre avec sa couleur, son individualité, sa différence, ses richesses, ses faiblesses. La violence, qu'elle soit avec les gestes ou les mots, ne changera ni ton incompréhension ni tes craintes.
À vivre dans un monde uniforme, on dépérit peu à peu.
Je ne connais personne qui ne soit ému, un jour, enfant ou adulte, du spectacle éphémère d'un arc-en-ciel. Il enjambe champs, maison, fontaine, forêt, béton. Je ne connais personne qui, sous ses couleurs profondes d'une pureté merveilleuse ne puisse reste sourd à la beauté sauvage de ce qu'il ne maitrise pas. La juxtaposition de teintes profondes et pourtant si différentes crée justement la magie et la beauté.
Nos couleurs de peau sont moins diversifiées et moins fun que l'arc-en-ciel. Par contre, nos différences à l’intérieur sont infinies. D'une incommensurable générosité pour qui sait les contempler.
Apprend à regarder.
Apprend à te regarder et surtout à t'aimer.
Extrémistes de tous poils, fanatiques fêlés, fissurés de l'empathie, vous n'aurez pas ma colère. Vous n'aurez même pas ma tristesse et ma compassion que je réserve aux victimes de vos actes. Homophobes bien pensants, manifestant pour « Tous » adeptes d'une morne norme, vous n'aurez rien de moi. Juste un peu de mon temps et mon énergie, quand sans cesse, après votre passage dévastateur, j'irai encore une fois, sans jamais me lasser, raviver les couleurs de l'arc-en-ciel bafoué.
(et je m'y connais en couleurs)
Merci beaucoup à Monsieur Q pour l'autorisation d'utiliser un de ses dessins :)
Son blog : http://petitsmensonges.canalblog.com
Son projet de journal en ligne : https://carnetdunamoureuxtropmaigre.wordpress.com
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Marianne