21 février 2013

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil : un Murakami en forme de promesse



Encore une chronique d'un Murakami qui traînait sur mes étagères (et il en reste encore un paquet!). Celui-ci est une œuvre datant de 1992 et on sent dans l'écriture et la narration les prémices de ce que deviendrait 1Q84. Il s'agit d'une histoire d'amour, ou plutôt des trois histoires d'amour qui teintent et colorent la vie de Hajime, un homme né dans les années 60.

Le fantôme de l'enfance

Murakami nous raconte, à la première personne, la vie de cet homme de sa jeunesse un peu en marge, à une époque où être enfant unique à la campagne, était vécu comme une situation hors norme, presque un handicap. Quand Hajime rencontre une nouvelle élève, Shinamoto-san, elle même sans frère et soeur, son quotidien change peu à peu. Cette amitié forte lui laisse une impression durable et modèle même une partie de ses goûts. Les deux enfants passent en effet des après-midi tranquilles à écouter des vinyles de Jazz.

Des années plus tard, Hajime, devenu un homme, marié et père de deux fillettes, croise de nouveau la route de Shinamoto-san. Soudain, la mémoire ravivée menace la quiétude de son présent, envahi par les images et les sensations de son enfance mais aussi de son adolescence.

Trois femmes ont marqué la vie de Hajime, Shinamoto-san, à une période d'innocence, la petite amie de son adolescence qu'il a profondément meurtrie, et son épouse, Yukiko, qui le soutient et l'aime. Mais la présence de Shinamoto-san le bouleverse tant que sa vie semble prête à basculer. Et si toutes les autres femmes n'étaient que pâles et insipides en comparaison de la violence des sentiments qu'il ressent pour son amour de jeunesse ?

Avec son style tout en retenu, Murakami dresse le portrait d'un homme dans les années 90, au cœur de la bulle économique au Japon. Une période où la réussite sociale et surtout financière signifiait être heureux. Une période de matérialisme sans limite où un homme tente malgré tout de rester sincère dans son cœur et ses goûts. Si son affaire - deux clubs de Jazz sélects - fonctionne bien, il n'est pas dévoré par l'ambition et veut avant tout rester exigent sur la qualité du service. Il jongle entre sa vie professionnelle et sa vie privée en accordant à son épouse et à ses filles une place réelle. Et pourtant, ses aspirations profondes au bonheur sont bien différentes, étouffées par la vie qui lui a apporté succès et stabilité.

Une histoire douce et amère sur des êtres qui s'aiment mais sans que le moment soit jamais opportun, des êtres séparés par la vie, par des choix et des circonstances.

Entre les lignes

Ce roman n'est pas le meilleur ni le plus touchant de Murakami, le personnage adulte de Shinamoto-san reste si distante qu'il est difficile d'être affecté par sa situation mystérieuse. Cependant, l'écriture toujours aussi fluide et agréable en font une lecture fort plaisante. Les éléments étranges sont quasiment absents, pourtant, on retrouve une multitude de thèmes et d'idées qui seront ensuite ré-exploitées avec plus d'originalité dans des romans ultérieurs.

La narration est agréable et la construction non linéaire arrive à tenir le lecteur en haleine sur le sort d'Hajime et Shinamoto-san.

À la lecture de Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil on devine ce que deviendra 1Q84. On retrouve bien sûr la présence de la musique (Jazz et classique), mais aussi la discipline imposée au corps avec la pratique du sport comme une nécessité d'hygiène mais aussi comme une façon de vivre. Le sujet de la solitude extrême reste au centre du romans avec des êtres faussement adaptés à la société, qui en réalité fonctionnent car ils connaissent les codes mais souffrent terriblement de leur profonde inadéquation. Si le silence de Shinamoto-san adulte quant à sa situation visiblement difficile m'a un peu agacée, le mystère ne bascule jamais dans l'onirique ou le surnaturel. On est sur le fil, à deux doigts de basculer mais en final, le roman reste toujours assez sage. Et si quelques éléments surprennent, le rationnel l'emporte. On trouve aussi une réflexion en filigrane sur la notion de réalité quand le narrateur s'interroge sur la véracité de ses souvenirs et qu’il finit par douter de leur existence. Sa vie a connu de telles périodes de vacuité qu’il n’a plus confiance en sa perception du réel.

Cette lecture m'a surtout intéressée pour la mise en perspective immédiate qu'elle donne de 1Q84. C'est une oeuvre contemporaine majeure, à mon avis, et de la voir déjà naître entre les lignes de ce roman a quelque chose de fascinant. La connaissance de 1Q84 donne à ce roman un éclairage différent, plus profond, avec des indices sur le processus de création d'une histoire.

D'autres livres de Murakami dans l'étang :

- 1Q84 tome 1, tome 2 et tome 3  
- Après le tremblement de terre
- Kafka sur le rivage
- Le passage de la nuit
- Sommeil 

4 commentaires:

  1. Ah, belle critique.

    J'ai beaucoup aimé ce petit roman. Par contre, je le comparerais plus à "La ballade de l'impossible". Ils sont du même style, on retrouve également beaucoup cet aspect personnel qui induit une certaine dose d'éléments autobiographiques (le héros est patron d'un bar de Jazz, ce qu'a été Murakami). Mais "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" est moins ambitieux, plus un exercice, voir une réflexion personnelle. "La ballade de l'impossible" a plus de force et de profondeur. En tout cas, c'est l'impression que ça m'a laissée.
    J'ai beaucoup aimé la part de mystère qu'il a laissé autour du personnage de Shinamoto-san.

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  2. n'a pas encore découvert cet auteur mais à force de voir de belle critique comme celle-ci sur ses livres, je commence à me dire qu'il faut vraiment que je découvre en tout cas, cela donne envie.

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  3. @ZGMF : La ballade de l'impossible traine aussi sur mon étagère donc ça sera pour une prochaine lecture. Là je pense attaquer avant un recueil de nouvelle "L'éléphant s'évapore".

    @Vanilla : pour commencer je te conseille vraiment "le passage de la nuit" qui est court et très représentatif du style de l'auteur. Mon préféré reste Kafka sur le Rivage, même si 1Q84 est aussi un chef d'oeuvre.

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  4. La discipline du corps un élément cher à Murakami que l'on retrouve aussi dans Kafka et dasn IQ84, entre autres.

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Marianne