L'étrangeté, une graine précieuse
J'aime attaqué une lecture vierge de
toute opinion. Sans lire de résumé (j'ai eu quelques déboires avec
des quatrièmes de couverture trop révélatrice), en ignorant les
critiques. Cette fois, pas évident d'être sourde au battage
médiatique. Un succès avant même d'être sorti. Comme j'aime
énormément l'auteur, j'ai bravement fermé mes oreilles et ouvert
mes mirettes.
Le plaisir est au rendez-vous !
Le titre, en forme d'hommage au 1984
d'Orwel, joue sur l'homophonie entre le chiffre neuf, qui se prononce
kyû ou ku en japonais et la lettre Q prononcé à l'anglaise. 1Q
c'est aussi 1 quarter, un trimestre en anglais, or le premier tome
sous-titré avril-juin s'étend justement sur trois mois. En français
le titre perd de sa saveur mais gagne en mystère.
Regards croisés
1Q84 alterne le point de vue de deux
personnages, Aomamé et Tengo.
Aomamé est une jeune femme dynamique, saine et vigoureuse qui travaille comme coach de sport et professeur d'art-martiaux dans un club sélect. En parallèle à son emploi, elle rempli ponctuellement des missions d'un genre très particulier. Aomané complexe sur son nom ridicule (littéralement haricot de soja vert) et sa poitrine trop petite. Pourtant, la vraie fêlure est plus profonde, plus injuste.
Aomamé est une jeune femme dynamique, saine et vigoureuse qui travaille comme coach de sport et professeur d'art-martiaux dans un club sélect. En parallèle à son emploi, elle rempli ponctuellement des missions d'un genre très particulier. Aomané complexe sur son nom ridicule (littéralement haricot de soja vert) et sa poitrine trop petite. Pourtant, la vraie fêlure est plus profonde, plus injuste.
Quand à Tengo, professeur de
mathématique au physique avantageux d'ancien judoka, il s'entraîne
avec assiduité à devenir écrivain. Si le style et la technique lui
sont acquis, il manque d'un je-ne-sais quoi essentiel. Cette lacune
pourrait bien être comblée quand une de ses veilles connaissances,
un éditeur, lui propose un travail hors-norme à la légalité
douteuse.
On suit Aomamé et Tengo dans leur
quotidien, dans leur dilemme et leur engagement. On s'interroge sur
leurs similitudes. Ses deux êtres partagent plus qu'une vie
solitaire, faussement simple, faussement vide. On a envie qu'ils se
croisent enfin, qu'ils se rencontrent...
Ni toute à fait la même, ni tout à
fait un autre
Le roman s'ouvre en 1984 avec une
reconstitution minutieuse de la période pour glisser doucement vers
une réalité alternative. Le long d'un escalier métallique inusité,
la perception d'Aomamé se modifie, la normalité établie et
l'histoire se torde vers quelques chose de similaire et pourtant
différent. La jeune femme le temps d'une décente périlleuse
bascule de 1984 vers 1Q84 et nous entraîne dans cette autre réalité.
Pas de Big Brother, pas de totalitarisme mais quelques événements
ourdissent un présent subtilement différent, distillent un malaise
croissant.
Cette impression est d'autant vive que
Murakami rend ses personnages très réalistes, les ancre dans le
quotidien. Les éléments capitaux de la vie comme le sommeil, les
repas et le désir sexuel sont multiples. Aomamé et Tengo s'animent,
prennent vie. Pourtant on sait peu de chose quant à leur
aspirations. Il faut attendre patiemment que leur passé se dévoile
pour mieux les comprendre. Murakami garde toujours une distance polie
avec ses protagonistes. Quand les scènes sont crues, il manie une
pudeur subtile. Et pourtant, on s'attache. Aomamé et Tengo se
solidifie au fil des pages. Si leur essence reste insaisissable, on
croit à leur existence. On est touché par leur vie.
Murakami réussit la gageure de créer
des protagonistes réalistes dans une réalité légèrement altérée.
Il réussit aussi à captiver le lecteur, à lui faire croire à ce
monde. Lorsqu'il aborde dans son récit des thèmes sérieux et
douloureux, la réflexion qu'il suscite n'est pas superficielle. Il
allie un talent de conteur formidable à celui d'un agitateur de
matière grise, un humain intelligent qui s'interroge sur le monde et
l'humanité.
IQ84 parle pêle-mêle de dérives
sectaires, de passage de l'utopie au totalitarisme, de maltraitances
faites aux femmes (de la plus petite remarque misogyne aux violences
les plus perverses infligées à des enfants), de solitude d'une vie
urbaine, du rapport au corps qui devient un simple vaisseau de chair
entretenue pour l'hygiène mais vide d'émotion...
Ces thèmes profonds ne sont pourtant
jamais traités en frontal. Toujours de biais, avec discrétion et
humilité. Cette approche fine est aussi celles choisie pour
incorporer les références culturelles et la documentation
probablement impressionnante que l'auteur a dû rassembler pour cet
ouvrage.
Murakami est précis, mais jamais
pédant.
Son ton reste facile, léger presque.