28 novembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 17 / 24


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

Cette semaine Sherlock et John renoue avec de veilles connaissances...
Si vous ne connaissez pas Sherlock, voici un article pour commencer.


Chapitre 17

Le taxi nous dépose devant le bâtiment flambant neuf de Scotland Yard. Sherlock a envoyé un mail avec le compte rendu de sa disparition par mail et je ne doute pas que Lestrade a dû en attaquer la lecture avec avidité. Quand on passe devant le comptoir de l'accueil, je salue la jeune femme de permanence. Elle m'interpelle chaleureusement :
— Docteur Watson, cela fait un moment qu'on ne vous avait pas vu !
J'essaye en vain de retrouver son prénom. Je l'ai invitée à boire un café une ou deux fois. Mon esprit demeure désespérément vide et Sherlock, impatient, comme toujours, me saisit par le coude. Il se retient probablement de filer directement dans le bureau de Lestrade.
— L'inspecteur Lestrade nous attend.
— Oui...
Elle regarde avec curiosité Sherlock qui lui répond par un sourire éblouissant. Je me crispe et prie pour qu'il se taise. Pour qu'une fois, il se taise. Je me hâte donc de passer le portique de sécurité. Sur mes talons, Sherlock agite la main d'un au-revoir ostentatoire...

Greg nous attend, dès la sortie de l'ascenseur. Son visage préoccupé n'augure rien de bon et il me reçoit avec une poignée de main ferme mais expéditive. Pas besoin d'être aussi observateur que Sherlock pour lire la raideur de sa posture et l'aigreur dans ses yeux. Pourtant, sa voix est étonnamment douce quand il me glisse « John, j'aimerai m'entretenir en privé avec ton revenant. Mes propos risquent d'être désagréables, pas besoin que tu subisses ça ». J'acquiesce, un poil surpris pas le pronom possessif. Mon regard croise celui de Sherlock, aux aguets. Il anticipe déjà la discussion avec perspicacité et, il me semble, une pointe d'inquiétude. Je m'attendais à être poliment mis à l'écart.
Pour être tout à fait franc, cela me convient.
Je me dirige donc vers le distributeur d'eau, celui à l'autre bout de l'open space, près d'une salle de réunion. Je me retourne un instant pour voir la silhouette souple de Sherlock disparaître dans l'embrasure de la porte du bureau de Lestrade. Elle réapparaît, derrière la vitre, ses épaules négligemment appuyées contre la paroi de verre.

Je fais mon tour. Dis bonjour aux détectives que je connais. Discute des résultats du foot – dont je me contrefous – de la météo bien automnale, demande des nouvelles des familles. Donovan me rejoint, la mine renfrognée. Elle hésite et force un sourire :
— Alors, il est de retour hein ?! Après toute ces années, il vient encore nous embobiner avec ses théories...
Le fiel de ses propos acidifie l'atmosphère, elle prend une grand inspiration sonore et ajoute, plus doucement :
— Enfin, comment ça va toi ?
— Sally, nous étions d'accord pour ne plus aborder cette question...
Je ne parle pas ni de ma santé ni de mon moral et elle le sait très bien.
Elle hoche la tête et je lis dans son regard, cachée derrière un mur de réprobation, une angoisse sincère à mon égard. Cela m'a pris du temps pour comprendre que son inimitié pour Sherlock était juste causée par la peur, et accessoirement le fichu caractère et l'arrogance du consultant. Il a lui même creusé son tombeau en étant odieux avec toute l'équipe. Sally n'est pas du genre à faire des histoires, c'est une femme qui évolue dans un milieu masculin, souvent macho. Elle n'a juste jamais réalisé à quel point, ce qu'elle considère comme de la sollicitude, peut m'être désagréable.
— Ça va. Il a eu du bol que je ne lui plombe pas la tête. Il s'est introduit chez moi par effraction.
Le rire de Sally détend l'atmosphère et les trois autres curieux venus récolter des nouvelles se marrent aussi. Un jeune recru, visiblement très admiratif de la jeune femme, ajoute même :
— Ça aurait été couillon en effet. Sitôt réapparu et déjà à la morgue. Je n'ose même pas imaginer la paperasse administrative... Enfin, vous êtes un docteur, pas un tueur !
S'il savait...
La discussion se prolonge, non sur le sujet de Sherlock, mais sur des cas célèbres de personnes ayant simulé leur mort, que ce soit pour des arnaques diverses, des tentatives d'échapper à des créanciers peu regardant sur les moyens de collecter leur dettes ou alors, plus cocasse, un mari terrorisé par son épouse qui pensait être tranquille si la tortionnaire empochait l'assurance vie... Cette camaraderie me rappelle celle de l'armée. Je me sens toujours assez à l'aise dans les locaux, tant que je ne croise pas un des supérieurs à qui j'ai cassé le nez.

Un jour, Sally m'a dit : « Même si mon opinion sur Holmes et la tienne sont incompatibles, il faut que tu saches que ta présence a quand même adouci les relations. » À l'époque, Sherlock était bien vivant. C'est le jour où j'ai appris qu'il collaborait avec la police depuis plus de cinq ans avant de notre rencontre. Qu'il vivait déjà à Baker Street. Il m'a fallu plus du temps pour découvrir qu'il n'avait aucun souci pécuniaire. Qu'il n'avait absolument pas besoin d'être en collocation. Enfin, si, mais pas pour les raisons matérielles qu'il m'avait laissé croire.
La première fois que Mycroft m'a recontacté, après sa mort, il m'a expliqué que j'étais mentionné dans le testament. Il y avait assez pour que je passe le restant de ma vie sans bosser. Je me doutais depuis un moment que Sherlock était aisé, mais à ce point... J'ai continué mon existence, parce que je ne voulais pas de cet argent. Je voulais qu'il ne soit pas mort.
Je le voulais en vie... Juste en vie.

Les hurlements de Lestrade traversent tout l'open space, aussi dévastateurs qu'une rafale de semi-automatique. Ils sont suivis de près par ceux, plus habituels, de Sherlock. Depuis que je connais Greg, jamais, jamais je ne l'ai vu perdre son calme. Et certainement pas ici, dans l'enceinte même de Scotland Yard.
La tension est immédiate.
Palpable.
Les conversations se taisent. Les regards s'évitent avant de converger vers la porte en bois. Par la vitre en partie dépolie du bureau de l'inspecteur, je vois Sherlock qui s'agite. Et la tension monte encore d'un cran. Les paroles sont assez fortes pour être intelligibles, l'échange tourne aux insultes.
Mauvaise idée. Très mauvaise idée avec des flics partout, armés. Des hommes sur leur terrain, loyaux à leur chef. Leur chef qui a perdu toute contenance, par la faute d'un ex-mort et ex-suspect prompt à semer la zizanie.
— Je crois qu'il est l'heure de jouer à la secrétaire et d'apporter du café au patron et à mon imbécile de coloc...
Sally, les yeux toujours rivés là où se déroule le drame, hoche la tête sans me regarder.
— Ouais. T'as cinq minutes.
Et elle ne veut pas dire cinq minutes pour aller chercher les boissons. Cinq minutes, c'est le temps pour calmer l'ouragan. Cinq minutes d'accordées avant que les patiences ne soient usées et que Sherlock se retrouve dans une position délicate. Comme finir sa journée dans une cellule. J'ai d'autre plan pour la soirée.

Un crochet éclair par le distributeur. J'arrive devant le bureau de Lestrade avec une escorte qui tape à la porte, en vain, et gentiment, tourne la poignée. J'ai une tasse dans chaque main. L'ouverture du bureau opère comme un interrupteur pour le son. Je rentre dans la pièce. Un silence de mort. Derrière moi, un des policiers referme la porte et me voilà dans la cage aux lions.
Greg est debout, campé derrière sa grosse chaise confortable en simili cuir noir. Il a les mains serrées sur le dossier. Ses jointures sont blanchies par l'effort. Son visage rouge de colère. Jamais je ne l'ai vu dans un état pareil.
— Café au lait, inspecteur ?
Je pose la tasse avec douceur sur la surface du bureau. La pièce est relativement ordonnée. Elle est assez exiguë. Devant la fenêtre, je remarque qu'il y a une recrudescence de boites à archives en carton soigneusement étiquetées et datées. Je reconnais certains noms. Plusieurs sont liés à différents dossiers sur lesquels nous étions intervenus. Il a dû se mettre au travail dès que les premières rumeurs ont circulé...
— Merci John. Je devrais t'engager comme factotum.
Il y a dans sa voix une note d'espièglerie totalement absente de son visage. Un moyen de me signifier qu'il n'est pas en pétard contre moi.

Sherlock est toujours adossé à la vitre. Livide. Son visage est un masque pâle de fureur. Ses yeux trop brillants glissent sur mon regard, comme aveugles. J'y décèle une émotion si vive que je sens un frisson me parcourir l'échine. Le bureau devient une arène fétide où s'affrontent des animaux sauvages prêts à tous les coups bas. Soudain, j'oublie la colère de Lestrade. J'oublie mon inquiétude pour l'inspecteur. Seule compte la douleur contenue dans le gris-vert. Prête à le submerger.
Ses mains tremblent. Il se tient trop droit, comme tétanisé. Rien à voir avec la posture nonchalante qu'il affectait tout à l'heure. Son corps trahit un tumulte profond. Je ne sais pas ce que Lestrade lui a dit, mais il a touché juste. Il a touché au cœur. Je m'approche, face à lui, bien dans son champs de vision, comme pour amadouer un animal meurtri. Je lui tends la tasse de liquide fumant. Il n'esquisse même pas un mouvement. Alors, de la main gauche je lui effleure le poignet, le guide d'une caresse et place contre sa paume moite le plastique bien chaud. Cette fois, il me regarde enfin, se saisit de la tasse dans un hoquet de surprise.
— Ça va ? Ma voix n'est qu'un souffle, juste un murmure que pour lui.
— Hum.
Un son à peine audible. Sa main tremble toujours et le café menace de passer par dessus bord. Du coin de l’œil, je vois Lestrade qui tire sa chaise, s'assoit avec une lenteur étudiée. Je me décale un peu pour bloquer la vue à l'inspecteur. Ce que je m'apprête à faire est strictement privé.
Je prend la main de Sherlock, l'enserre fermement dans les miennes, sèches.
Un mouvement sous contrôle, précis. Je le caresse juste avec les pouces, brièvement. Son regard s'éclaircit, de la surprise peut-être ? Il prend une respiration franche, soupire. Un sourire timide. J'ai l'impression étrange de sentir les émotions refluer de sa personne, comme si la vanne momentanément ouverte à fond venait de refermer, laissant les dégâts de l'inondation à réparer.
Watson, t'as gagné le droit d'écoper...

Je recule et prend place juste à gauche de Sherlock. Pas trop proche. Une distance... amicale. Il boit le café d'une traite.
— Donne-moi le dossier rouge qui est dans ton sac.
Pas de doute. Il va mieux. Je regarde ma serviette en cuir qu'il m'a emprunté au moment de quitter la maison. Elle est à sa droite, juste à porter de main. Je me tais, avance de deux pas, me baisse et la saisis ; dedans il n'y a qu'une chemise en plastique rouge. Pas d'erreur possible. Je la sors et lui tends sans rien dire. De l'autre côté de son bureau, Greg observe l'échange avec un intérêt un peu trop marqué.
Sherlock m'échange la tasse vide contre le mystérieux dossier. Quand il l'ouvre, je reconnais immédiatement la liasse de papier. La version imprimée et annotée par mes soins de ses exploits. Et tâchée de café et de ketchup... Le document pour la police. Sidéré, je le regarde déposer les papiers sur le sous-mains en cuir sombre, juste sous le pif de Lestrade. Immédiatement, l'inspecteur feuillette la pile, d'abord distraitement, puis avec une attention croissante.
— Tes corrections John, j'imagine ?
— Oui, tu imagines bien.
— C'est vrai que ton écriture est quand même largement plus fluide et agréable.
Il me jette un regard complice. Je me demande où est passée toute la colère. Dans l'open space, par la vitre, je vois l'équipe qui regagne ses pénates respectives. Sally, qui occupe habituellement le poste installé juste en face du bureau de son supérieur, me fait un signe et part avec une collège. La tempête est passée.
— Si je préfère la langue de l'autre version, celle que j'ai eu par mail, l'original est proprement fascinant, le policier fronce les sourcils et et dévisage sans vergogne un Sherlock qui reste de marbre. Il aura le mérite de m'éclairer un peu plus sur les circonstances du non-suicide de Holmes et du vrai suicide de Moriarty... lâche Lestrade d'un ton résigné.
— Je suis à ta disposition si tu as besoin d'éclaircissements, mais les ajouts de John devraient te suffire. Est-ce qu'on peut partir ? Je voudrais finir mon annonce officielle pour la presse.
La politesse dans le ton de Sherlock ne suffit pas à effacer totalement une certaine froideur dans sa voix. Nous attendons quand même que Greg parcourt le document. Je crois que la politesse est de rigueur après l'échange de hurlements pas très courtois. Quand je reçois un message du labo sur mon smartphone, je profite de l'excuse et prends congé.

À peine le temps de régler un petit souci à Barts que Sherlock sort du bureau et cette fois, la porte reste grand ouverte, comme à l'inaccoutumée. Je laisse Sherlock prendre un peu d'avance – il salue deux détectives et je vois Donovan se presser dans le couloir – et retourne voir Greg. Je veux juste clarifier un truc.
— Oui ? Le sérieux de son regard tranche avec le ton enjoué. Encore une surprise ? J'ai eu ma dose pour la semaine là.
Il me fait signe d'entrer et de pousser la porte. Sherlock a remarqué mon absence et me regarde, les sourcils froncés. Je lui dis d'attendre deux minutes sans déclencher de catastrophe et me tourne vers le policier :
— Ce document, je l'ai corrigé pour éviter tout mal entendu.
— Je crois que le dossier de Holmes est déjà bien épais. Pas la peine en effet d'ajouter encore une suspicion de meurtre. Et puis, cette affaire est hors de ma juridiction.
— Il n'y pas d'autre copie du document.
— J'ai compris John. Sa voix s'anime d'un vague énervement. Je sais que c'est difficile pour toi et encore plus pour lui de me faire confiance. Mais, que je sache, je n'ai jamais rien fait qui puisse justifier ta méfiance...
Je l'interromps :
— Je sais ! On te doit même une fière chandelle !
Je n'ai jamais oublié son coup de téléphone quand le vent à tourner. Ni son aide et sa présence après, quand Sherlock n'était plus là...
— Alors, faites-moi un peu confiance bon sang ! Je sais quand je dois éviter de creuser si le résultat me déplaît. Tu n'a jamais été interpellé dans l'affaire des suicides en série. Si je ne m'abuse, tu as bien un permis pour un Sig Sauer...
Un sujet que je pensais, à tord, enterré. Définitivement. Pourtant, je sais qu'il n'en reparlera plus. À moins que je sois particulièrement stupide. Et, quoi qu'en dise Sherlock, je ne suis pas stupide. Lestrade poursuit :
— Je te ramène l'enveloppe ce soir. Ta version me paraît bien suffisante. Remercie Holmes pour moi, s'il te plaît. Je sens que je vais passer une après-midi de lecture assez édifiante.
Je hoche la tête.
— Pas besoin de ramener les papiers. Il y a toujours l'incinérateur au sous-sol non ?
— Oui.
Je pose la main sur la poignée de la porte.
— John, attends.
Je le vois qui hésite, il scrute Sherlock qui se chamaille avec Donovan et une autre détective qui n'a pas la langue dans sa poche.
— J'ai l'impression que ce n'était pas non plus des vacances pour lui. Il est très maigre. C'est de toi, la déco sur sa mâchoire ?
Je secoue la tête en signe de dénégation.
— Laisse moi le temps de régler tout ça, il désigne d'un geste vague la pile de feuilles annotées. Et si je patauge, je te demanderai peut-être une intervention divine.
Traduire : téléphone à Mycroft pour que tout ce foutoir soit bouclé au plus vite car j'ai autre chose à faire comme de m'occuper de la sécurité des citoyens lambda de Londres.
— C'était prévu. Sherlock n'aspire qu'à une chose, un retour à la normale. Enfin, à « sa » normale. Il tient vraiment à rebosser pour toi.
— Et toi John ? Qu'est-ce que tu veux ? Si tu as besoin de discuter...
Je le regarde, s'agiter par delà la vitre. Songer qu'il est possible de revenir à ce quotidien qui m'a tant manqué me grise... De nouveau, partager ma vie, ce besoin d'action. Cette soif d'adrénaline. Et se sentir vivant, utile. Avec lui à mes côtés... Même si je suis incapable de répondre à la question de Greg, je sais que j'ai ce que je veux, même si je ne sais pas le définir avec exactitude.
— Merci... Ne t'inquiète pas pour moi. Ni pour lui. Il me faut un peu de temps pour me réajuster. Je pense que d'ici quelques jours, je serai partant pour une virée au Golden Eagle !

Je m'approche pour récupérer Sherlock en pleine discussion au sujet d'une affaire récente Donovan s'est remise à bosser à son bureau. Elle me regarde intensément et l'interpelle :
— Je n'oublie rien hein, Holmes.
Elle le menace à demi-mot. Je comprends qu'elle revient à la charge sur la conversation que j'ai raté. J'ignore ce qu'elle lui a raconté, mais visiblement, je suis concerné.
— Peut-être que tu es innocent, mais moi, je n'oublie pas ce que tu as fait à quelqu'un que tu disait être ton ami. Je serai toujours là pour te juger.
— Souhaites-tu que j'explique pourquoi ton jugement n'a aucune valeur ?
L'attention de Sherlock est tout entière focalisée sur la jeune femme. Et je redoute la suite. Je l'attrape par le bras :
— Allez, ouste, champion. Tu en as assez fait pour aujourd'hui.
Sally me fixe, et je la trouve relativement calme. Sherlock n'a pas encore sorti le grand jeu.
— Je ne peux pas lui laisser impliquer que je t'ai fait du mal sciemment, John. Que j'aurais tout instigué... Son regard se durcit et il s'adresse à la détective d'un ton dur :
— Tu penses que, je cite, « j'ai pris mon pieds » à jouer la comédie ?! Que ça m'a plu d'infliger ça à mon ami ?
Son regard balaye l'open space. Dans son bocal, Lestrade se lève et s'approche de la vitre, un air franchement blasé. Il est temps de faire prendre l'air au génial consultant :
— Sherlock...
Je pose ma main sur son épaule et tente de le guider gentiment mais avec fermeté vers l'escalier, plus proche que l'ascenseur. Irrité, il se retourne, visiblement je vais aussi me faire allumer dans la tournée générale.
Il change d'avis, effleure ma joue du bout des doigts et m'embrasse. À pleine bouche. Une pelle. Sherlock me roule une pelle dans les locaux de Scotland Yard ! Avec Lestrade et son équipe comme spectateurs. Avec tout l'étage comme spectateur.
Moi qui voulait être discret...
Il a rapidement pris le pli et son baiser me laisse le souffle coupé. Il file un coup de langue sur la commissure de mes lèvres et je sens mon agacement s'envoler dans un sourire. Tout le monde s'est tu. Dont Sherlock. Il a cessé sa querelle. Je n'y aurai pas pensé... Après tout...
Cette fois, c'est lui qui m'attrape par le bras et d'un pas énergique, nous traversons les bureaux jusqu'à l'ascenseur. Personne ne moufte. Et je ne vais surtout pas me retourner. Je vois à la périphérie de mon champs de vision le sourire fier de Sherlock. Le reste, je m'en fous.

suite chapitre 18 & 19

Like two peas in a pod - Illustration d'Anne Jacques



26 novembre 2012

Japonisme : 雫 - shizuku - gouttes d'eau





Voilà, novembre pour mes projets photos est devenu un grand foutoir !


J'ai pourtant un planning avec chaque thème bien noté... Mais la grenouille s'est transformée en lapin d'Alice. Alors, je pioche un peu au hasard, pour tenter de rattraper mon retard.


雫, shizuku, gouttes d'eau, gouttelettes, est un mot que j'adore.

Pour moi, il sonne comme l'essence même de la contemplation.




Une goutte circonscrit l'infini.

Un cercle, sans fin ni début, une sphère parfaite.
Et dedans, un monde éphémère et sans fin s'y reflète, grandit.

Quand je photographie des gouttes d'eau, le monde change.
Les bruits s'étouffent.
Il ne reste que le chant des étoiles, la mélodie des arbres et des herbes, la parole de la lumière qui joue à cache-cache dans un univers de poche.



J'entre dans un ailleurs vide d'humain plein de magie.

Un ailleurs d'équilibre entre le minéral et le végétal ou l'organique qui tient prisonnier cette goutte, lui donne un sens, une individualité. Il suffit d'un sursaut de la brise, l'univers bascule.
La goutte vacille, tombe ou glisse et rejoint les autres milliards de gouttes. Ces gouttes d'eau qui sont là, depuis des milliards d'années.

Parce que l'eau ne vieillit pas.
Elle est là, depuis la formation de notre planète
Éternelle.

Quand je la contemple ainsi, réduite, petite, je mesure l'impossible de l'infini, dans l'espace et le temps.
Je mesure le minuscule de cette sphère, de mon existence. Je mesure aussi le lien, entre cette goutte et toutes ses sœurs.

Toute cette eau.
Toujours la même, salie, purifié, depuis des milliards d'années.




Et, par capillarité, cette goutte me purifie aussi.
Me vide.
Me nettoie.
Me transmet une énergie trop ancienne et trop précieuse pour que je puisse vraiment l'appréhender.

Voilà pourquoi, quand je croise une goutte, je m’arrête. En ville, en campagne, en forêt. Seule ou avec d'autres.
Je m'arrête.
L'envie et le besoin trop grand, impérieux.
Il faut que je photographie...


Contempler pour ne jamais dévisser de la vie
Seul le cercle est parfait, et la vie est parfaite ainsi !
Japonisme est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

24 novembre 2012

Le thé s'expose au musée Guimet



Voici une expo que j'avais très envie de visiter, malgré plusieurs retours assez mitigés de mes amies. Novembre étant, cette année, consacré à l'écriture de mon roman qui se passe dans l'univers du thé, j'avais une excuse supplémentaire pour m'échapper et respirer un peu des parfums terreux, fruités et surprenants de mon breuvage favori.


Découverte de la seconde boisson du monde


Pourquoi une exposition sur le thé ?
Pour les amateurs, c'est une évidence. Le thé appartient à un monde aussi riche et complexe que le vin, ou les parfums.
La profession de tea-taster est l'équivalent du sommelier. Si le thé est une boisson originaire de Chine, elle s'est implantée dans de nombreux pays avec des traditions particulières. Cette exposition propose une entrée dans ce vaste univers par le biais de la vaisselle et des accessoires qui permettent la préparation du thé.

Si vous pensez que le thé est cette espèce de poussière de feuille noire prisonnière d'un sachet de mousseline, vous allez être surpris ! D'abord, il n'existe qu'une seule plante, le théier, un cousin du camélia. Ses feuilles peuvent être cueillies à différent stade et traitée de façon très différente. C'est là que réside le mystère du thé, et sa couleur qui varie du blanc au noir, en passant par des teintes qui oscillent avec des tons de verts, bleus et jaunes.

Au fil des siècle la conservation, le traitement et la consommation du thé ont évolué, se sont affinés. L'exposition suit cette chronologie qui passe du thé bouilli, puis battu au thé infusé.


Une exposition pour les curieux et les amateurs éclairés

Attention, si pour vous, thé signifie sachet Lipton, la marche est haute ! Mon grief principal pour cette expo est son manque de pédagogie et son élitisme.
Un souci de scénographie nous oblige, dès notre arrivée, à revenir sur nos pas pour lire dans le bon ordre les panneaux explicatifs faits par la boutique « Le palais des thé » au demeurant, très bien rédigés. Une excellente introduction pour ceux qui ne connaissent pas ou peu ce monde, à lire avec attention.
L'exposition commence par un dépliant sur la culture du thé, avec des illustrations qui racontent toutes les phases de la culture. C'est ensuite que cela se gâte avec la projection d'un magnifique court métrage de Tran AnH Hung (La ballade de l'impossible) qui nous montre une maître de thé en pleine dégustation.

Thé Pu'er, thé compressé en forme de toupie

Ambiance feutrée

L'esthétique est sublime, par contre, si vous n'avez ni une âme contemplative ni bu, au moins une fois dans votre vie, du thé selon la tradition chinoise, vous risquez d'être dubitatif. Regarder une femme faire déborder sa théière volontairement, renifler une tasse vide et des fruits pendant 5 minutes n'est, à mon avis, pas la meilleur approche du thé pour un novice !
Le thé est un monde à part, immense, on peut passer sa vie à l'étudier. Mais il est aussi possible de l'appréhender simplement, doucement ! Pas besoin d'être un nez ou d'avoir un palais fin pour l'apprécier !

Bourse à thé japonaise "shifuku", époque Edo

Bol japonais à thé, époque Momoyama

Nous voyageons ensuite dans le temps, avec des vitrines proposant des théières, bouilloires, tasses et accessoires d'une grande beauté. Pour profiter vraiment de l'exposition il est nécessaire de conserver à la main le petit livret où sont consignés chaque pièce. Et si vous n'appréciez pas la vaisselle, passez-votre chemin, elle constitue le cœur de l'exposition. J'ai été très touchée par l'âge de nombreuses pièces, des antiquités en très bon état de conservation. Surtout, on se rend compte à quel point elles influencent les design contemporains.

Chine et Japon sont les deux pays les plus représentés, même si on trouve aussi des pièces venant du monde russe et arable. Le nombre de salles est assez réduit et une heure suffi amplement à effectuer une visite attentive.

Enfin, le Palais des Thés propose une zone pour sentir leur produit, très bien agencé, par typologie de parfum. Je regrette quand même que l'écrasante majorité des thés soit parfumé. Même si cela constitue un point d'entrée pour ensuite découvrir le goût du thé, moins altéré par des essences et des épices.

Femme préparant le thé, terre cuite, Chine, VII ème siècle


Petits conseils pour profiter de l'expo !


En conclusion, je vous encourage surtout à prendre le billet qui permet d’accéder au Musée (à 9,5 euro, au lieu de 8 pour l'expo seule). Je vous recommande aussi, si vous ne connaissez rien, de vous rendre avant sur le site :
Vous pourrez ainsi télécharger en avance le livret et écouter les commentaires de la visite (merci à Marie pour l'info).

Alors, j'avoue, j'ai été un peu déçue.
Le thé a tant de subtilité, tant de richesse que de le voir ainsi réduit à des objets précieux me semble dommage. J'aurai aimé une scénographie plus vivante, moins solennelle peut-être, plus accessible. Il y a beaucoup de sortes de thé, beaucoup de traditions, mais le dénominateur commun reste une certaine convivialité, un partage. Cette dimension est cruellement absente, à mon avis, de l'exposition.
Pourtant, j'ai appris, vu des choses splendides. Je ne regrette pas ma visite. Il me reste juste un arrière goût un peu amer, mais après tout, c'est pour cette amertume que j'apprécie le thé !

Un avant-goût grâce au diaporama du monde :
http://www.lemonde.fr/culture/portfolio/2012/10/01/le-musee-guimet-a-l-heure-du-the_1768377_3246.html

À écouter (merci à Ionah) :
http://www.franceculture.fr/emission-le-salon-noir-archeologie-du-the-2012-10-03

Du thé dans l'étang :
- Le livre du thé, d'Okakura
- Poèmes du thé

Bonne dégustation !

21 novembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 16 / 24



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Si vous ne connaissez pas Sherlock, voici un article pour commencer.


Chapitre 16

Je me réveille en sursaut.

Les images du cauchemar dansent dans la pénombre, prégnantes, insidieuses. Il y a un corps inanimé contre moi.

Je me souviens de son visage. C'était une mission de nuit qui a mal tourné. Nous sommes pris entre deux feux, à attendre l'extraction. Juste notre bataillon. Quelqu'un aux renseignements a putain de merdé. La nuit va être longue.
Quand on se fait pilonner la tronche par l'artillerie lourde, je regrette presque la ville et ses snipers. Avant l'aube, il est touché.
Salement.
Je ne me souviens plus de son nom, juste que je ne l'appréciais pas trop. Bruyant, potache, grande gueule. Et moi, totalement impuissant. Impossible de l'aider dans ces conditions, je sais qu'il ne tiendra pas jusqu'à l'arrivée du reste du régiment. Alors, je fais avec les moyens du bord. L'injection ne se remarquera pas, pas d'autopsie.
On n'autopsie pas la chaire à saucisse.
Je reste avec lui jusqu'au bout. Même quand c'est fini, que ses sphincters se relâchent et ajoutent à la puanteur âcre de l'air nocturne saturé de poussière.

Il y a un bras nu en travers de ma poitrine. Un bras attaché à une épaule, à un torse. Nu. Masculin. Indéniablement. Je me tourne et découvre le reste de l'anatomie de l'intrus. Définitivement nu. Les souvenirs de la veille m'assaillent.
Et le visage de Sherlock, sérieux jusque dans l'extase remplace celui d'un soldat mort. Dans son sommeil, il est venu contre moi, étalé en diagonale, il arrive à occuper la majeure partie du matelas. Il sait que je préfère dormir seul. Je ne dérange personne. Et une présence à mes côtés tend à raviver les mauvais rêves.

Mais hier soir, après la douche – se laver ensemble n'a pas permis de gagner en productivité, au contraire – je n'avais vraiment pas le cœur à le laisser dans sa chambre. Surtout que je ne l'ai toujours pas aidé à faire du ménage. En plus, maintenant qu'il l'a réinvesti, et sorti le contenu des cartons, vidé en vrac, sur le sol et les meubles, elle a aussi besoin d'être rangée... Et je sais qu’il déteste dormir dans un endroit qui n’est pas impeccable.
Je tente de le pousser un peu, mais il se tourne et manque de me mettre son bras dans la figure. J'abandonne.
Je n'aime pas dormir avec quelqu'un.
Encore un soucis de plus pour installer une relation durable. J'ai fini un nombre incalculable de fois dans le sofa, avec des excuses bidons du « je me suis levée pour boire – aller aux toilettes – prendre l'air – faire pisser le chien (véridique) – noter une idée pour mon blog... » qui s'achèvent invariablement par « et je me suis assis, et rendormi ». Je tire sur mon t-shirt, adapte ma position, et caresse d'une main distraite le dos musclé du gêneur, juste le long de sa colonne vertébrale. Il marmonne un truc inintelligible et cale sa tête dans le creux de mon aisselle. Il s'agite encore, remonte son visage. Le pif dans les poils. Il se met à ronfler doucement.
J'ai des munitions pour le taquiner pendant au moins des semaines là. Des mois même. Ça compense mon malaise.

Je ferme les yeux.

Collision  - Illustration d'Anne Jacques


Cette fois, quand je me réveille, il fait jour. Je sais qu'il est plus tard que d'habitude. Le jour est déjà clair. Au moins 7h. Je plisse les yeux encore embrumés de sommeil. 7H45 ! C'est presque une grâce mat ! Je suis de nouveau seul dans mon lit, et à côté de moi, les draps froids portent encore l'odeur de Sherlock. Je renifle profondément. De longues minutes s'écoulent, moi, à plat ventre, dans son odeur. Ça tourne dans mon cerveau mais aucune pensée précise ne daigne s'arrêter assez longtemps pour que je puisse la saisir. Je me lève, baille, et vais à la douche.

Dans la cuisine, aimantée sur la porte du frigo, il y a une liste. Je la fixe plusieurs secondes, interdit. Ce n'est pas une liste de courses... Je secoue la tête, partagé entre l'envie de rire et un certain désespoir. Il est irrécupérable. J'entends le cliquetis régulier du clavier qui vient du salon.
— Bonjour Sherlock. Bien dormi ?!
Un son qui pourrait s'apparenter à une voix humaine me répond. Quel accueil. Je suis habitué à un silence suivi, éventuellement d'une demande péremptoire masquée, en général « je veux du thé » traduisible par « fais moi du thé ». « S'il te plaît » est absent de son vocabulaire. Tant qu'il dit merci, cela me convient.

Je sors le pain de mie et fouille dans les placards. J'ai les crocs. Il reste des œufs, des tomates aussi. Je remarque alors la théière sur la table, bien au chaud dans son tea-cosy à carreaux vichy vert. Elle est pleine ?! Je prépare un petit déjeuner copieux. Quand je dépose le tout sur la table base, Sherlock lève enfin le nez de son écran. Il est déjà habillé et semble relativement reposé.
— J'ai fait du thé.
— Oui, j'ai vu. Merci. Tu as dormi un peu ? Plus que deux heures ?
— Ho oui, au moins... trois ou quatre, me précise-t-il avec une fierté enfantine.
— Si tu veux manger, viens ici. Mon ordinateur n'a pas besoin d'être nourri, contrairement à toi.
Une moue boudeuse.
Je remarque alors les deux piles de papiers imprimés sur le bureau. Une petite, quelques feuilles reliées par un trombone, et l'autre plus épaisse avec le crâne posé par-dessus.
— Tu as terminé ? Tu veux que je relise ?
— Oui. J'ai imprimé à cet effet.
— Je pensais qu'il serait plus rapide de corriger directement sur écran, si tu daignes me laisser l'accès à ma machine.
— Pour l'article pour ta copine, oui. Mais ce n'est pas le plus urgent. Je voudrais que tu me donnes ton avis d'abord sur ce paquet – il désigne le plus gros – car c'est pour Lestrade. Un compte-rendu des faits qui ont conduit à la mort de Moriarty et l'explication de mon suicide factice. Je lui ai aussi donné tous les éléments de l'enquête personnelle sur le réseau mis en place par Moriarty jusqu'à la découverte du cadavre de Sebastian Moran, qui clôt l'affaire.
— Tu avoues son meurtre ?
— Voyons John, je viens juste de rentrer. Je n'ai aucune intention de me retrouver en prison, entouré de crétins, alors que je peux être avec toi, et manger des œufs.
— Qui refroidissent....
Il se lève et m'apporte les documents ainsi que mon stylo. Celui auquel je tiens particulièrement et que je pensais rangé dans son étui, dans ma chambre. Je vois qu'il a sorti le texte avec un interligne double pour laisser l'espace nécessaire aux annotations.
— Surtout, n'hésite pas à reformuler à ta guise. Je te fais confiance. J'ai peur que mon rapport soit considéré comme une démonstration orgueilleuse. Je me contenterai de brillant. Tu peux retirer ce qui te paraît trop astucieux.
Alors qu'il s'assoit, je lui file un coup sur la tête avec le paquet de feuilles. Je me sens d'humeur taquine. Un état assez exceptionnel pour moi, d'habitude plus placide.
— J'accepte le défi !
Je m'attelle à la tâche tout en déjeunant ; je ne me préoccupe pas vraiment de salir les feuilles. Elles finiront à la poubelle.

C'est un travail de longue haleine. Je suis obligé de revenir en arrière pour vérifier la cohésion du récit. Sherlock tend à s'attarder sur des détails annexes qui nuisent à la compréhension globale. Par contre, il reste factuel, sans interprétation des intentions de Moriarty. D'ailleurs, je crois que le plus étrange et qu'il passe sous silence la dérive obsessionnelle de cette affaire. Il y a aussi des trous en ce qui concerne le rôle de Mycroft. C'est lui, qui a vendu son frère. Lui qui a donné, à ce taré de Moriarty, l'artillerie nécessaire pour s'en prendre à Sherlock. Je ne l'épargne pas. Je remplis les vides avec minutie.
À un moment, Sherlock a quitté l'ordinateur et s'est mis à jouer du violon. Une mélodie douce, lancinante, agréable. Je le contemple quelques minutes. Concentré, devant la fenêtre, il est tout entier absorbé dans la musique. Son visage ne reflète que son absolue patience. Focalisé sur le son, les mouvements gracieux de ses mains. Je me rappelle un jour avoir assisté à un concert dans un pub d'une violoniste de folk irlandaise d'une grande sensibilité. Elle respirait tour à tour la joie et la peine de ses morceaux. Je suis sorti de là épuisé émotionnellement. Quand Sherlock joue, il y a comme une distance, une tranquillité. Parfois, il s'agite, joyeux, mais cela ne dure jamais trop longtemps. Certains trouve son jeu froid, moi, il me repose. Et puis, son jeu lui correspond si bien... Détourner mon regard de sa silhouette me demande un effort. Il compte sur moi.
Je me replonge dans la lecture. Il y a vraiment des oublis.
J'ajoute aussi, au dos d'une page, une proposition de diagnostique clinique sur l'état mental de Moriarty et la perversion de la relation qu'il a eu avec Sherlock. Ce dernier a servi de catalyseur aux déséquilibres d'un individu d'une intelligence supérieure mais clairement dénué de toute empathie. Un vrai sociopathe. Sherlock s'en octroie le qualificatif. Pourtant, je le soupçonne de se ranger dans cette case-là parce que ça l'arrange. Le vrai dingue, manipulateur, pervers, c'était Moriarty.
Je ne suis pas un expert dans le domaine. Mon analyse provient d'échanges avec Molly et, surtout, des avis de plusieurs psychiatres renommés de Barts qui ont eu la gentillesse de m'écouter et m'éclairer sur le sujet.

Il est 11h passées quand je lève le nez du tas de feuilles. Sherlock a refait du thé. Il m'a même servi. Je me masse les tempes, j'ai un peu mal au crâne. Entre la discussion épuisante d'hier soir et cette lecture, tout un tas de souvenirs et d'émotions resurgissent. J'essaye de garder le contrôle mais, pour être tout à fait honnête, je me sens tourmenté. Et puis, courbatu.
Sherlock a cessé de jouer.
Il a commencé à reporter une partie des modifications sans me poser aucune question. Je suis surpris et songe qu'il ne doit intégrer que ce qu'il l'arrange. J'ai beau être méthodique, là, j'ai fait tellement d'aller-retours dans la lecture qu'il y a des feuilles partout sur la table basse. Heureusement qu'elles sont numérotées.
Quand j'en arrive à la partie finale, sur la poursuite de Moran, le texte devient soudain plus animé. Le ton professionnel, neutre tend à devenir plus subjectif.
Acide.
Et bientôt, je vois apparaître, horrifié, très clairement en filigrane, un désir latent de vengeance qui suinte comme une odeur nauséabonde. Personne, en possession de ses moyens, peut lire le texte et croire à l'innocence de Sherlock dans la mort de Moran. Il décrit ses angoisses, le regret de s'être trompé, de s'être retrouvé dans une position si absurde et dangereuse qu'il a dû maquiller sa mort pour protéger ses proches. Mon cœur se serre. Je récris, patiemment, sous les lignes imprimées, une version expurgée, plus conforme aux stricts faits et surtout qui laisse planer le doute sur la fin de Moran. J'y ajoute même quelques hypothèses de mon cru (règlement de compte local, mercenaire payé par un ancien de l'armée...). Moran avait beaucoup d'ennemis.

Une fois achevées relecture et correction, je sors.
J'ai besoin de prendre l'air. Je marche jusqu'au traiteur asiatique à quelques encablures de Baker Street. Une heure qui me rend mon calme. Et, quand je reviens dans l'appartement, Sherlock piaffe. Il a terminé, il m'attend, il a faim – improbable non ? – et il veut passer voir Lestrade en début d'après-midi.
Alors que je décide de lui téléphoner, je réalise que mon smartphone est resté dans ma veste, sur vibreur depuis la veille. Avec ce qui s'est passé, j'ai totalement oublié de consulter les messages. Plus de quinze appels en absence, tous de Lestrade. Et six textos.
À priori, la visite de Sherlock à Barts l'a fait sortir de son anonymat et la rumeur est déjà arrivée aux oreilles de l'inspecteur. Les messages sont succincts et de plus en plus fébriles. Le dernier je l'ai raté de peu, et Greg est prêt à envoyer une patrouille à Baker Street si je ne le contacte pas immédiatement ; ce que je fais dans la foulée. La conversation est courte, et l'angoisse dans la voie du policier m'évite de me mettre en colère face aux flots de remontrances et de menaces ; Sherlock redevient un suspect dans l'affaire du kidnapping des gosses de l'ambassadeur. Son suicide avait réglé l'affaire. L'échange se conclut sur la promesse de venir à Scotland Yard avant 15h.

Sherlock lui, s'est attablé et attend que je raccroche avec un air exaspéré. Il a ouvert les barquettes et commence à picorer dedans. À croire qu'il ne réalise pas ce qu'il risque. Ou, plutôt, qu'il est absolument sûr que son rapport va l'innocenter. Je l'espère. S'il se retrouve au centre d'une bataille juridique, ma volonté de rester dans l'ombre des médias pourrait être malmenée. Je ne veux plus voir sa photo faire la une du Sun ou autre torchon avec des titres aguicheurs.
— C'est bon ? Tu as fini avec l'autre imbécile. On peut manger ?!
Comme s'il avait faim après le petit déjeuner. Je connais son appétit de piaf.
— Greg est un excellent flic. Et ta mort l'a mis dans une mouise qui a failli lui coûter sa place. Alors tâche de rester à peu près poli avec lui. Tu as fini de reporter toutes les modifs ? Tu peux lui envoyer le rapport par mail ?
— Tu l'appelles Greg ? Depuis quand tu l'appelles par son prénom ?
Je soupire et vais me chercher une fourchette dans la cuisine. Ma dextérité s'arrête quand il faut manger avec des baguettes. Sherlock lui, les manie avec une facilité déconcertante.
— Depuis quand ? Insiste-t-il. Puis il ajoute : j'ai envoyé le rapport, et j'ai mis Mycroft en copie.
Il est donc très motivé à retrouver sa réputation et probablement, les opportunités de travail comme « détective consultant ».
— Je ne sais pas trop, un an, un an et demi peut-être. On va au pub de temps en temps ensemble.
Sa réprobation évidente me fait sourire.
— La prochaine fois, tu pourras venir si tu veux.
— Non merci. La prochaine fois on ira au pub tous les deux. Juste tous les deux. Ou mieux, on restera à la maison. Le pub est bruyant.
— Tu mélanges deux trucs différents...
Et je me retrouve à lui caresser la joue. Il mâchonne la pointe de ses baguettes. Ses lèvres sont légèrement luisantes de l'huile des nouilles sautées.
Sa mine contrariée me donne très envie de l'embrasser.
J'en tiens une bonne...


Suite : chapitre 17

19 novembre 2012

V comme volatil



Volatil, e. adj (lat. volatilis léger) : 1. Qui se vaporise, s'évapore facilement. Essence volatile. 2 Fig. Très mobile, très fluctuant ; instable. Un électorat volatil.

La vie est volatile.

Momiji
Susume

De l'eau froide sous un robinet rouge

Elle est faite pour s'écouler. S'envoler.

La vie est volatile.

Alors si on la laisse, stagnante, comme une pauvre flaque d'eau au soleil, elle s'évapore. Parfois elle gèle, se fige et meurt. Les émotions, les sensations, les amours les amitiés sont volatiles.
Vivants.

C'est de ce changement que naissent les rencontres, les évolutions, les remises en cause. L'élévation.


Abris de fortune

J'aime la volatilité.
L'éphémère.
Vivre constamment pour consolider ses acquis, vivre dans du solide, du matériel, du concret me plonge dans une tristesse abyssale. J'aime être bousculer. Choquer.

J'aime le bonheur parce qu'il est fugace.
Par ce qu'il faut se battre. Parce qu'il faut accepter de le laisser s'envoler.

Depuis que j'ai compris que tout était volatil, étrangement, la vie me paraît plus sûre.
Plus belle.

À chaque saison, je redécouvre les couleurs, les parfums, les paysages.

Je suis une fille de l'automne.
Une fille de feuilles rouge et or, de verts coupés presque violents, avant la pluie. Une fille des bois pourrissants, de l'humus sous les tapis humides et des têtes rondes qui champignonnent.
Une fille des jours trop courts et de la nuit humide qui envahit les rues.


Fantôme

Mais il n'y a pas que la vie qui soit volatile...


Certaines choses invisibles et toxiques le sont aussi.
 Il est alors facile de les oublier, pire de les ignorer.

C'est l'automne.
Chaque érable que je croise m'évoque le Japon et l'absurdité des mensonges des puissants. Je ne peux plus me promener dans un parc, dans une forêt sans penser à ces milliersd'arbres condamnés par les activités humaines.

Les particules radio-actives sont la pire des volatilités.
Mortifère.


J'apprends à révérer l'éphémère et à combattre ce que d'autres hommes infligent à notre Terre. 


One in a million

Orpailleur des pelouses

Trésor

Je souhaiterais terminer ce message par une note plus optimiste.
Je souhaiterais tant que nous apprenions à regarder, à respecter, à aimer.

Certains, parmi vous, prennent le temps mes petites réflexions de grenouille, parfois égocentriques, souvent simplistes.

En ce mois de novembre très agité pour moi, entre écriture pour mon roman, manif anti-nucléaire, collaboration sur un disque rendue laborieuse par l'incompétence d'un imprimeur, je délaisse un peu mon étang.

Je vous abandonne donc encore, avec un un peu de magie suspendue dans un érable du Parc Monceau, par une après-midi fraiche. 




Abécédaire est une projet réalisé en collaboration avec Anne (trouveuse de mots magiques) et Virginie

14 novembre 2012

Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 15 / 24


Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue

C'est mercredi ! Et même si je pars à Lyon pour quelques jour, voici quand même votre lecture hebdomadaire.
Si vous ne connaissez pas Sherlock, voici un article pour commencer.




Chapitre 15


Quand sa cage thoracique rentre en collision avec la mienne, il émet un grognement qui n'a rien d'érotique. Je lâche une insanité.
— Tes côtes ?!
Je le ceinture avec précaution et l'aide à se redresser. Parfois, c'est utile d'avoir des abdos. Même si là, je ressens quand même la fatigue de la séance de boxe. Sherlock a la tête baissée, il se mord la lèvre inférieure. Impossible de voire ses yeux, de voir l'expression de son visage. On dirait un môme prit en flagrant délit avec la main dans la boîte à biscuits, ou peut-être plus en train de planquer un Hustler sous son lit. Même si je doute qu'il ait déjà eu ce type de lecture.
— Sherlock, tes côtes ?! Ça va ?
— Quoi ?! Explose-t-il, révélant ainsi son humeur charmante.
J'hésite un instant, déstabilisé par son accès d'agressivité. Et j'y peux rien, mais une irrépressible envie de rire s'installe dans mon ventre. Pas moyen de la masquer. Le son se déploie et s'échappe de ma gorge.
Il est vexé comme un poux. J'arrive à articuler difficilement :
— C'est rassurant de savoir que tu n'es pas parfait dans tous les domaines.

Je me laisse aller contre lui, en prenant garde de ne pas appuyer sur ses ecchymoses. Je me demande vraiment qui l'a mis dans cet état. Je crois que c'est le mauvais moment pour l'interroger sur ce sujet. Il se tient assis, le dos bien raide, et contemple les rideaux. Ou la rue, perdue dans les ténèbres. Un spectacle fascinant...
Il n'y pas de bruit.
Si, en fond, le ronronnement du frigo. Ma main effleure sa nuque et se perd dans ses boucles emmêlées. Il est tendu comme un arc. J'ai la sensation de dégoupiller une grenade et d'espérer, d'un vœux pieux, qu'elle ne m'éclatera pas à la tronche.
J'ai une certitude : ce n'était pas hasard ni par une inspiration providentielle qu'il m'avait embrassé, tout à l'heure, au pied de l'escalier. Il a agi avec préméditation, détermination. Il est temps que je lui file un coup de main.
J'augmente la pression sur ses muscles et transforme la caresse en un massage plus franc. Après de longues minutes il daigne abandonner son examen méticuleux et totalement feint.
— Viens là.
Il se tourne enfin vers moi, un océan d'incertitude. Encore une fois, je retrouve cette sensation nouvelle. J'ai l'impression qu'il y a de la panique, au moins, une grande frayeur, tapie dans le vert d'eau de son regard. Une urgence impérieuse de le rassurer. Lui, si brillant, si lumineux. Si solitaire. Mais je sais que c'est du flan. Il est le premier à chercher ma présence. Bien sûr, il me plante, se barre pour suivre une idée, est totalement égocentrique... Pourtant...

Je laisse une main sur sa nuque, et pose l'autre fermement sur sa joue avec juste assez de latitude pour se dégager, à condition d'y mettre de la volonté. Et cette fois, je mène la danse. Je l'embrasse.
J'embrasse Sherlock.
Avec plus de craintes et plus de retenue que toutes les autres et tous les autres. Parce qu'il m'est infiniment plus précieux que toutes les autres et que tous les autres.
Je ne suis pas certain qu'il comprenne vraiment. Théoriquement oui. Avec son foutu QI de prix Nobel. Mais avec ses tripes, son intuition. Non. Il ne comprend pas.
Sherlock est un idiot génial. À moins que ce soit un génial idiot.
Ses lèvres sont tendres, chaudes de vie. Je m'agenouille dans une position bâtarde, prenant toujours garde de ne pas m'appuyer sur son torse. Ni sa cuisse marquée d'ecchymoses. Ça complique la donne.

Il garde les yeux grands ouverts, fixes. Je ne sais s'il est aveugle, perdu à regarder un monde que je ne vois pas, ou simplement trop concentré à mémoriser chaque ride de mon visage. Chaque imperfection de ma peau. Un son retenu. Un gémissement. Je le conduis sur mon territoire jusqu'à ce que ses mâchoires se détendent. Sa bouche s'entrouvre. Une exploration lente, curieuse.
Toujours retenue.
Toujours attentive. Surtout, ne pas le brusquer. Même s'il a initié. C'est la seule pensée cohérente qui me reste. Je m'y accroche. Faire attention. Parce qu'il m'est précieux.
Sa respiration, le sang qui palpite à mes tempes, une pulsation beaucoup plus bas.
Ok.
Juste l'embrasser me file la gaule. Ça promet pour la suite.
Ralentir encore. Encore. Enfin, je sens ses bras se nouer autour de mon cou. Se resserrer. Sa langue vient me rencontrer. Un dialogue de silence. Cette fois, ce silence, je le déguste. Je lui laisse prendre le contrôle. Un transfert suave.
Toujours, ses yeux grands ouverts me regardent. Il louche un peu. Je trouve cela très séduisant.

Il s'est installé contre moi. Vraiment. Son dos contre ma poitrine. Dans le berceau de mes bras. Il ne dit rien, me regarde dubitatif par-dessus son épaule.
— Tu veux bien oublier ma première tentative. Et ne jamais plus la mentionner. J'en suis mortifié...
Je pouffe. C'est ridicule. Je ne peux pas m'en empêcher.
— Je te promets que ça ne dépassera pas les limites de l'Internet.
Un regard à fusiller un T. rex d'un coup sans recharger. Et puis, il pouffe aussi. Avec beaucoup plus de charme et de dignité que moi, je suis obligé de l'admettre.
— C'est oublié.
— Ce n'est pas ma pr... J'ai déjà de l'expérience hein. Quoi que certains aient dit, je ne suis pas...
La fébrilité de sa voix se répand comme une traînée de poudre, et je le sens se contracter.
— Sherlock. Si tu ne te calmes pas, je te colle un patch de nicotine.
— Je me calme si tu retires les deux conditions sur ta vie privée et tes relations. Si tu m'autorises à dégager toute personne qui envahit ton intimité, toute personne qui s'arroge le droit de te mener par le bout du nez. C'est mon boulot.
— Ça dépend, tu veux utiliser ta verve cordiale ou tu songes plus au pistolet ?
Encore un autre regard furieux. Il propose, d'un ton qu'il croit raisonnable :
— On peut établir une liste de personnes qui font partie de tes relations que je tolère.
Il commence à énumérer, en levant d'abord le pouce puis l'index.
— Il y a Molly, Lestrade, Stamford, Mycroft— l'acidité gagne sa voix— je peux aussi ajouter dans une catégorie fourre-tout les autres policiers sauf Donovan et l'autre abruti, et tes collèges aussi à condition qu'une certaine retenue... bien sûr, Mrs Hudson, mais elle c'est différent...
Je l'interromps :
— Et ma sœur ?
— Elle est toujours sobre ?
— Non.
— Alors, pas ta sœur...
Le surréalisme de la discussion ne tarde pas à me filer le tournis.
— Continue de préparer ta liste, mais en silence, s'il te plaît. J'ai besoin de paix.
J'ai piqué sa curiosité. Il bascule la tête en arrière. Parfait. Je l'embrasse de plus belle. Cette fois, les mouvements sont fluides, accordés. Je largue les amarres, et garde juste un coin de cerveau actif pour recenser les zones meurtries et éviter de lui faire mal bêtement. Cette fois, je ne ralentis plus.

À un moment, j'ai fini par le plaquer sur le sofa pour être certain qu'il arrête de gigoter. Pour être certain que son torse ne morflerait pas. Je suis assis sur ses cuisses, à califourchon. Ses mains dans mon dos. Agrippées.
Juste lui. Sa salive dans ma bouche. Il a le goût du gin, des épices du repas, et autre chose, plus acide.
Sa robe de chambre gît, en un tas bleuté légèrement irisé sous la lumière du lampadaire, oubliée. À un moment, elle s'est trouvée sur le chemin et je sais à quel point Sherlock l'apprécie. J'ai les mains qui se faufilent sous le t-shirt déformé. Il grogne son approbation quand je lui caresse le ventre. Rien à voir avec le contact de la veille, pratique, hygiénique.
Pas de culpabilité.
Sa peau est si douce...

Dans ma tête, les turbulences s'estompent.
J'ai envie de lui, à en avoir mal. Ça fait des mois, des années même, que je n'ai pas une érection aussi violente, à en être douloureuse. Après, plus tard, demain, je réfléchirai. Là, je profite. L'incongruité de la situation se dissout au contact de sa langue, vive et tiède. Mes mains rencontrent son nombril, descendent un peu plus bas. Posées presque sagement sur le tissu du pantalon de pyjama, je le sens durcir. Sa respiration s'accélère et bientôt, il inspire par saccade, au rythme de mes doigts qui le masse, toujours avec cette mince frontière de coton trop épaisse entre nos peaux.
Un autre baiser. Profond. J'inspire lentement, par le nez, conscient que, si je ne me calme pas, tout va prendre fin très vite. Trop vite. Inspirer encore.
Cette fois, abandonner ses lèvres, descendre sur sa mâchoire, embrasser la peau tendre juste à côté du lobe de son oreille. Sur mes joues, la barbe repousse déjà. Les siennes sont encore bien lisses. Descendre dans son cou. Toucher son torse presque imberbe de la pulpe des doigts, pour ne pas faire mal, même sans le vouloir. Un fin duvet de poils blonds. Il halète et murmure d'une voie incertaine :
— John ?
— Hum ?
— Je voudrais te demander une faveur ?
Maintenant ?! Je fronce les sourcils, et m'attends au pire. La tournure ne me rassure pas.
— J'aimerais – sa voix gagne en assurance – je voudrais ou plutôt je ne veux pas qu'on utilise de préservatif.
Un blanc.
Ok. J'émets peut-être une réponse évasive avec un « heu » allongé à l'expressivité bovine. Ça me paraît précipité. Certes, j'ai envie de terminer au lit avec lui, mais pas ce soir. Pas avant d'être certain. Parce que, dans un coin de ma tête, je ne comprends pas vraiment ce qui a pu changer entre nous.
Trois ans et trois mois.
Je mesure le temps, j'ai eu tout le temps de le mesurer, de le compter, ce temps qui séparait un peu plus chaque jour mon présent vivant de sa vie, interrompue. J'ai l'impression que là, tout s'est remis en place, comme avant.
Ou presque. Ou mieux.
Je veux profiter, mais pas si c'est pour payer mon accès de passion d'une rétroaction explosive. Je suis un type patient.
— On a le temps. Te prends pas la tête...
— Non !
Je le regarde soudain inquiet. Inconsciemment, mes mains glissent sur sa taille et je l'enserre. L'idée qu'il reparte, qu'il disparaisse encore...
Il ajoute, d'un ton tranquille quoi qu'assez péremptoire :
— Je ne me prends pas la tête. Je sais ce que je veux. Tu as toujours des rapports sexuels avec préservatif. Avec les hommes, le danger d'attraper le Sida ou une autre MST dans la communauté homosexuelle demeure plus élevé qu'entre partenaires hétéros, dans les pays industrialisées d'après la dernière étude de l'OMS. En plus ces dernières années, l'usage du préservatif a régressé. Avec les femmes, cela t'apporte comme avantage supplémentaire la maîtrise certaine d'un moyen de contraception fiable.
Je l'écoute, abasourdi, faire une démonstration sur mes pratiques sexuelles.
— L'emploi du préservatif est donc systématique pour toi, sans aucune exception. Tu n'as pas eu de relations qui ont duré assez longtemps pour que la question de l'arrêt de son utilisation soit abordée – il me regarde avec cette distance analytique qui me rend à la fois admiratif et amusé – tu n'as donc jamais enfreint cette règle. De plus, en tant que militaire, affecté dans des zones à risques, la hiérarchie encourage aussi très ouvertement et fermement l'usa...
— Stop ! En conclusion, je sors toujours couvert.
— Oui. J'ajouterai quand même qu'étant médecin et plus conscient de la menace, tu dois faire un dépistage régulier. Une fois par trimestre. Comme tu es très prudent, tu fais même faire tes dépistages à Barts, par des personnes avec des compétences indéniables. Vu le nombre de tes partenaires et tes pratiques, tu rentres dans les catégories de population plus sensible, même si toi, tu ne fais jamais d'écarts. Tu mets toujours un préservatif. C'est pour cela que je n'en veux pas.
— C'est une question de conscience surtout et...
Je m'arrête. Je relâche la pression sur son corps, certainement douloureuse. Je comprends sa demande. Une vague d'émotions contradictoires m'envahit. Je la laisse passer.
— Ok. Ok Sherlock. Pas de capote. Mais on aurait pu avoir cette discussion plus tard.
Son regard s'adoucit, il me saisit le visage et m'embrasse.
— C'était important pour moi. Désolé d'avoir saper l'ambiance.

Mon érection n'a pas survécu à son discours. Mais, sa langue fripouille et ses mains baladeuses se chargent de rectifier l'affaire. Et dans les minutes qui suivent, je me retrouve incapable de faire autre chose que grogner mon approbation dans ses oreilles alors qu'il entreprend de déboutonner ma chemise. Mes mains dans son pantalon ne lui donnent pas le loisir de continuer. Bientôt, mon univers se réduit à lui, ses gémissements retenus, sa peau, son odeur, son goût. Je prends ce que je désire, agenouillé devant lui. Il lutte pour garder les yeux ouverts.
Dieu qu'il est sexy...
Ses longs doigts dans mes cheveux courts. Je me masturbe rapidement, et quand il frémit et trésaille dans ma bouche, j'éjacule contre ma paume. Une série de spasmes rapides, une réponse aux siens, plus souples, félins. Enfin, les yeux clos, son corps se détend. Il a le tee-shirt remonté sur les pectoraux, le pantalon de pyjama légèrement baissé, juste assez pour exposer ses parties sous la lumière tamisé du salon. Il a l'air tellement à sa place, tellement naturel...
Il entrouvre un œil, satisfait, un sourire fatigué au coin des lèvres rougies. Son habituel manque de pudeur s'accommode très bien de la situation. Il me toise, fier et assouvi.

Je me sens totalement dépassé...

Le fond de l'évier en alu reflète le plafonnier de la cuisine.
Je voulais prendre mon temps.
Vraiment.
Je secoue la tête. Je me suis rhabillé à la va-vite. Réajuster le plus important dans le pantalon. Les pans de ma chemise ouverte pendouillent et je n'ai pas le courage de la reboutonner. Je contemple le frigo. Les mains propres, un verre d'eau à la main. L'énormité de l'acte que je viens d'accomplir dans une fougue toute adolescente menace de se révéler à moi. Je n'ai pas envie de réfléchir. Pas encore.
Sherlock râle et je lui apporte son verre d'eau. Je lis dans son regard une soif inextinguible qui n'a pas grand rapport avec ce que j'ai dans la main droite. Pour un type qui s'affirmait marié à son boulot et que j'avais fini par classifier comme « asexué » il a une libido bien débridée... Mon regard s'arrête sur son entrejambe.
— Contrairement à toi, John, je n'ai eu personne dans ma vie depuis ces trois dernières années.
— Il n'y avait personne avant...
— Bien sûr que si, tu étais là. Trop occupé à courir la gueuse.
Je secoue la tête. Je sais que c'est faux. Il n'y avait aucune tension de cet ordre-là entre nous, quoi que certains pouvaient insinuer, ou franchement affirmer d'ailleurs. Juste une collocation avec des hauts et des bas. Les paroles de Molly mais aussi d'une de mes ex dont j'ai oublié le prénom surgissent avec une clarté désarmante... J'ai peut-être raté certaines choses. J'avais peut-être déjà une attirance pour lui. Si c'est le cas, elle est née subrepticement, de mon admiration, de mon amitié, sans que j'y prenne garde. Quant aux faits surprenant de lui avoir accordé ma confiance dès notre première entrevue, et d'avoir tué, froidement, sans réfléchir, pour sauver sa vie que je croyais menacée... et bien je préfère ne pas trop m'y attarder.
— Je ne t'intéressais pas à l'époque. Pas comme ça en tout cas.
Je me désigne, moi, débraillé, lui dans une position dont la lascivité ferait rougir un inspecteur chevronné de la police des mœurs. Et quand mon regard coule sur son torse à demi dénudé, je sens une chaleur inespérée croître dans mon bas-ventre. Décidément, Sherlock m'offre une nouvelle jeunesse...

Plus tard, alors que son corps brûlant se love contre le mien, encore étourdi par la force de la jouissance et que je l'embrasse avec une tendresse nouvelle, je songe que parfois, la vie réserve des surprises miraculeuses. Je lui enlève son t-shirt qui a résisté à l'étreinte, d'ailleurs nous sommes toujours dans nos pantalons respectifs, et essuie le sperme sur son ventre avant d'essayer de me nettoyer. Avec les poils, c'est peine perdue...
— John ? Je crois qu'il faut que tu remettes de la crème sur mes côtes. J'ai un peu mal.
— Si tu veux...
— On va se laver ?
— Oui. Mais il faut que tu te lèves là.
Cette fois, c'est lui qui est installé sur mes jambes.
— Fais bosser tes abdos.
J'attrape ses mains avant qu'il n'étale le bazar collant que j'ai sur l'abdomen.
— Tu me laisses utiliser ta salle de bain ?
— Oui. À condition que tu ne la ruines pas.
— Je ne ruine jamais rien. J'oublie volontairement certaines contingences matérielles annexes quand je me concentre sur un problème important. Tu me laves ?
— Flemmard.

Suite : chapitre 16


 Pas de dessin cette semaine, mais une petite vidéo (débile) pour vous faire patienter...