Liste des chapitres : 01 - 02 - 03 - 04 - 05 - 06 - 07&08 - 09 - 10&11 - 12 - 13&14 - 15 - 16 - 17 - 18&19 - 20 - 21 - 22&23 - 24 - bonus - épilogue
Comme promis, voici le début d'une fan-fiction dans l'univers de la série TV Sherlock. Attention, je vous déconseille vivement la lecture si vous n'avez pas regardé les deux saisons :)
Le texte comptera en tout 24 chapitres et sa publication aura lieu tout les mercredi. Il est dédié à mon amie Anne avec qui je partage la frustration de devoir attendre de la troisième saison. J'ai donc décidé d'écrire une suite hypothétique, totalement personnelle, mais dans l'esprit de la série et en m'appliquant à respecter au mieux les personnages.
J'espère que vous aurez plaisir à lire cette histoire.
©Anne Jacques, tous droits réservés. |
chapitre 1
Il y a toujours ce sentiment étrange de repos, de soulagement quand on rentre chez soi après des vacances ou un déplacement professionnel. Un relâchement qui commence par une inspiration. On retrouve l'odeur de son foyer, son ambiance. Le ventre se dénoue, la fatigue du voyage s'allège. On pose ses valises, sa sacoche d'ordinateur portable. On retire sa veste. On s'assoit dans son fauteuil favori. Puis, on se prépare un thé.
Voilà plus de trois ans que ce sentiment m'a abandonné.
Pourtant j'ai fait mon deuil. J'ai essayé d'avancer, changer d'appartement, trouver un autre job. J'ai même ouvert un autre blog, avant de revenir à l'ancien. Comme pour l'appartement. Je ne suis pas fataliste. Pourtant, avec les années, j'ai fini par accepter cette triste constatation : certaines choses vous attirent, comme un aimant. Et aller contre le flot demande trop d'énergie.
Quand je reviens au 221 B Baker Street, je sais qu'un foyer m'attend. Un foyer ancré dans le passé, teinté d'une nostalgie trop vive, hors de l'emprise du temps. Il n'y a pas de soulagement ici. Pourtant, je reviens toujours. Parce que, au moins, le lieu est hanté par mes souvenirs. Et c'est, mieux que l'absolue solitude de mon passé, mieux que la pseudo-normalité dans laquelle je n'arrive pas à m'intégrer.
Je rentre d'une mission sur Paris.
La ville des amoureux. J'y ai passé dix jours sur une affaire pas spécialement difficile. Mycroft m'a dégoté ce boulot, probablement plus pour les à-côtés que pour le travail en lui-même, qui n'était pas très passionnant. Mon expertise médicale doublée de mon statut de soldat est quand même pratique. Dommage que je ne parle pas un mot de français et que l'anglais des personnes que je devais assister ait été... aléatoire.
Paris offre d'autres avantages. Et c'est une ville qui a une place particulière dans mon cœur. C'est là-bas que j'ai eu une révélation. Depuis, je suis paradoxalement plus à l'aise dans ma peau et, aussi, empli de regrets amers. Si j'avais compris avant, ma relation avec Sherlock aurait probablement été différente. Plus... complète.
Alors que je pose ma valise, je regarde le tas de courrier sur la table du salon. On pourrait croire qu'au siècle de l'e-mail et du texto le facteur n'aurait qu'à se mettre au chômage... Je parcours le paquet en séparant factures, publicités et autres en trois piles distinctes. Depuis qu'il n'est plus là, l'appartement est rangé, propre. Avec l'accord de ma logeuse, Mrs Hudson, j'ai même mis de l'argent pour refaire la déco. Le résultat n'a pas été trop concluant, à part pour la rénovation de la salle de bain à l’étage. Utiliser celle du bas, plus spacieuse, et partagée avec Sherlock, m’était devenu impossible. Trop de fantômes. Je voulais changer un peu l’atmosphère de l’appart. J'ai eu l'impression pendant quelques semaines de vivre dans la vitrine d'un magasin de meubles avant de réinstaller quelques vieilleries, remisées avec le reste, dans la chambre d’un mort. En final, je préfère les fauteuils au tissu élimé et aux coussins déformés, plus confortables. Le crâne sur la cheminée donne une touche très gothique qui intrigue les personnes que je ramène parfois.
Il est tard.
L'Eurostar a eu deux heures de retard. Un problème de grève. Les Français sont toujours en grève et après ils critiquent nos moyens de transport ; au moins, nous, on a nos sympathiques chauffeurs de taxi. Certes, parfois ils tuent des gens, font trois fois le tour du quartier avant de vous déposer presque à l'adresse indiquée. Mais n'empêche, nos véhicules ont plus de classe. Et on conduit du bon côté, nous.
Dans le frigo, je trouve un repas préparé par Mrs Hudson. Un ragoût et une assiette de crudités. Depuis que je suis revenu, elle a pris l'habitude de me faire le repas du soir. Parfois, si je rentre à une heure décente, on mange même ensemble au rez-de-chaussée, dans sa petite cuisine douillette. Pour tromper notre solitude.
Je regarde le calendrier sur le mur ; demain je suis à Barts. Je vais encore arriver à une heure tardive et Molly va rouspéter. Jamais je n'aurais cru me retrouver un jour à disséquer des cadavres. Au moins, y'a moins de risques de tuer son patient...
Après la mort de Sherlock, j'ai été assez perturbé ; j'ai suivi à la lettre les conseils de ma thérapeute qui m'a encouragé à faire mon deuil, à m'exprimer, à lui dire tout ce que je n'arrivais pas à sortir. Elle m'a fortement conseillé de quitter Baker Street. Trouver un emploi dans un cabinet. Me couper des souvenirs douloureux. Me faire de nouveaux collègues. De nouveaux amis. En quelques semaines, je me suis coupé des seules personnes qui avaient aussi connu Sherlock.
En quelques mois, j'étais au bord du gouffre. Amaigri, épuisé, j'ai commencé l'automédication. Quand le mois de juin a ravivé la douleur, le canon de mon pistolet est soudain devenu très attirant.
Et Mycroft a ressurgi, tel un diable de sa boîte, là où on ne l'attendait pas. Il m'a littéralement forcé à intervenir sur une affaire concernant un ressortissant anglais vivant à Paris. J'étais dans un état lamentable. Il m'a même collé Anthea dans les pattes. Je sais qu'elle n'était pas là pour mon charme. Une nuit mémorable. Un des pires fiascos de ma vie. Une honte si primale que je l'évite encore.
Et c'est ainsi que je me suis retrouvé dans une capitale étrangère, prétendument la plus romantique du monde.
Je n'avais plus envie de rien, à part peut-être mettre une balle dans la tête de Mycroft. Il a vendu son frère pour sauvegarder sa patrie. Je suis raisonnable. Je me suis retenu. Ce manipulateur fourbe est du même sang.
Je ne sais pas quel effet escomptait Mycroft en m'envoyant là-bas. Je me suis retrouvé dans un bar du quartier du Marais, dans le centre de Paris, là où je logeais. Après avoir passé un temps certain au bar de l'hôtel à tenter, en vain, de séduire une Américaine pas vraiment jolie, je suis sorti. Dépité, un peu éméché, je n'ai pas repéré le rainbow flag sur la porte du café. Depuis que je m'étais engueulé avec Stamford pour une broutille – liée à Sherlock – j'avais perdu l'habitude de passer des soirées arrosées à rigoler pour des bêtises, dans un pub. Ma résistance à l'alcool a diminué sans que je le réalise. Les médocs n'ont certainement pas aidé.
Alors, quand un grand type, brun, yeux clairs, m'a abordé ce soir-là, dans un anglais correct, avec un accent charmant, je n'ai pas compris. Plusieurs cocktails plus tard et beaucoup moins de vêtements sur le dos, j'ai réalisé ma situation.
Je sais que je lui ai parlé de Sherlock. Toute la soirée probablement. Pendant des heures. J'ai dit à cet étranger tout ce qui était bloqué dans mon bide depuis treize mois.
Une lente gestation qui s'est soldée par une sodomie. Je ne suis pas d'un naturel émotif, mais là... Le lendemain a été assez surréaliste. Surtout, la gentillesse, la compassion de cet homme.
De retour à Londres, j'ai décidé d'ignorer le problème. En partie.
J'ai commencé par annuler tous les rendez-vous avec ma thérapeute. C'était dans son cerveau à elle que j'ai eu soudain envie de loger une balle de gros calibre ou mieux, une balle dum-dum. Ensuite, j'ai accepté la proposition de Mycroft – bosser ponctuellement pour lui – et le poste à mi-temps que Lestrade avait réussi à me dégoter, avec recommandation probable de Mycroft. Être détaché par l'Institut médico-légal, mais employé physiquement à l'hôpital Saint-Bartholomew me laisse une certaine indépendance. Retourner à Barts m'aide aussi. Après tout, c'est là-bas que j'ai appris mon métier. Même si c’est aussi de là, du haut du toit, qu’il a sauté. Je n'avais pas vraiment la formation pour le poste. D'ailleurs j'ai dû suivre des cours du soir pendant près d'une année. Je me suis rabiboché avec Stamford. J’ai recommencé à traîner mes savates au Golden Eagle et au Lamb and Flag.
Enfin, je suis retourné à Baker Street.
Mycroft – encore lui – m'avait glissé dans la conversation que la santé de Mrs Hudson déclinait. J'ai découvert qu'elle était juste très déprimée. J'ai découvert surtout que Mycroft continuait de payer les loyers d'un logement vide, enfin, laissé dans l'état. Les affaires de Sherlock prenaient la poussière. Mrs Hudson avait amorcé une tentative de rangement, abandonné en cours de route.
J'ai pris les choses en main.
J'ai trié, nettoyé et classé le contenu de la chambre de Sherlock et surtout, le foutoir amassé dans le salon et la cuisine. Je me rappelle de longs après-midi passés dans un voile salé à mettre dans des boîtes, des cartons et des grands sacs poubelles. J'ai mis aux ordures ce qui était périssable ou trop abîmé. J'ai pris quelques objets, en souvenir. Surtout, j'ai préparé des colis à donner à des associations caritatives. Puis, j'ai tout remis dans les meubles.
Et fermé la pièce à clef.
Arrêter ma thérapie fut une résolution salutaire.
De là, en quelques semaines, tout semblait avoir retrouvé sa place. Avec, au milieu, le trou béant d'absence. Toi qui n'es plus. Moi qui ne comprends pas.
Une inspiration profonde. Dans un geste mécanique, j'ouvre les lettres, jette les enveloppes et les prospectus. Je trierai le reste demain. J'allume le gaz et mets la bouilloire sur le feu. Je me masse le cou. Deux bonnes heures assis dans un train sans bouger. Résultat, les muscles raidis me lancent désagréablement. Demain soir, j'irai à la salle de sport. Je monte la valise dans ma chambre, range sommairement le contenu. Je descends le linge sale dans l'entrée, pour que Mrs Hudson le dépose au pressing. Un sifflement strident. L'eau est chaude.
Je m'assois dans mon fauteuil, un mug de thé noir fumant sur le petit guéridon. J'allume mon portable. Demain, je dois me lever tôt, mais je n'ai pas vraiment envie de me coucher...