21 octobre 2011

La Horde du contre-vent : roman de rage et courage

Une langue de terre ravagée par les vents. A l'aval, au calme : des hommes, une structure sociale, des villes, une civilisation. A l'amont, les contrées sont balayées pas des vents de plus en plus dévastateurs à mesure que l'on s'éloigne de la tranquillité bienveillante des lieux de l'aval. Ils deviennent si fort qu'ils peuvent raser des maisons, raser toutes traces d'implantation humaine. Un groupe d'hommes, une horde soudée tel un bloc arpente ce monde hostile pour percer le mystère de la source du vent, à l'extrême-amont.


Immersion en zone de tempête


Roman épique et haletant, La horde du contrevent est l'oeuvre magistrale d'un auteur français au talent rare, Alain Damasio. Depuis longtemps, je n'avais pas lu un tel bouquin de fantasy si puissant, si féroce. La horde du contrevent est aussi un livre exclusif. Il demande un peu de courage pour s'attaquer à sa falaise raide de 700 pages et son alternance de points de vue entre 23 personnages.
Moi qui jongle toujours avec au moins trois ou quatre bouquins en cours, j'ai dû tout mettre en pause pour me consacrer uniquement à la lecture de la Horde.

Les débuts ont été laborieux : l'auteur a choisit de paginer à rebours son ouvrage et de signifier l'alternance de points de vue par des signes typographiques au lieu des noms. Si cette gymnastique m'a agacée – j'ai trouvé le choix pédant et volontairement compliqué – rapidement pourtant je me suis faite happée, aspirée dans ce monde où l'environnement impitoyable modèle les hommes dans leur chaire, endurcit leur caractère et leur volonté.
Je vous conseille vraiment d'attaquer la lecture avec au moins deux heures tranquilles devant vous. Sinon, vous risquez de décrocher et passer à coté d'un livre qui a sa place à coté de cycle comme Dune, Le seigneur des Anneaux, Hypérion...


Voyage vers l'inconnu

Le début de l'histoire est simple : la horde fait face à une tempête si terrible qu'elle risque bien d'être balayée. On les rencontre pour la première fois, ces vingt-trois héros, dans des conditions terrible, face à la mort, face aux risques imminents de lapidation par un vent si violent qu'il est solide. Une entrée en matière à la Zelzany, directement dans l'action. Peu à peu, le monde se met en place, on apprend à connaître les aspérités et les failles de chacun.
L'objectif annoncé est simple : atteindre l'extrême-amont en marchant car seul la confrontation avec les formes successives du vent permet de s'endurcir assez pour réussir. Cette horde est la 34ème. Toutes les autres ont échoué. Et le vent chuchotte qu'elle pourrait bien être la dernière, l'ultime horde...
Conteur merveilleux de la trempe d'un Gaiman, Damasio fait vivre son monde, nous le présente avec habilité. Avec patience, il construit son récit sans nous assommer d'éléments, il préfère nous plonger dans le bain, nous laisser boire un peu la tasse, tousser. Et quand on respire enfin, on est totalement accroc !


Attention chef d'oeuvre qui décoiffe !

Je ne vous dévoierait rien de plus sur l'histoire de La horde du contrevent. Elle allie la simplicité d'une quête linéaire et fanatique à la complexité de la vie, le désir de comprendre pourquoi et comment le monde fonctionne, d'un point de vue scientifique mais aussi philosophique.
Damasio ne contente pas de raconter, il transcende le romanesque et propose des théories, échafaude une réflexion sur la nature humaine. Il explore des sujets connexes, étend sa trame, et l'histoire gonfle pour devenir protéiforme, mouvante. La force de Damasio et de ne jamais perdre son récit. Les digressions ne sont pas un étalage de connaissances, les anecdotes sur le vécu des personnages ne sont pas de la poudre au yeux.
 Chaque ligne, chaque mots est réfléchi, utile, nécessaire. Au centre de ce maelström de vie et d'aventure, il y a le vent. Le vent qui façonne la planète et les hommes. Le vent qui écourte leur vie mais qui lui donne aussi son sens, sa beauté, sa magie.

Difficile de synthétiser en un article court mes impressions et analyse sur ce bouquin, tellement il m'impressionne. J'emploie avec conscience le terme de chef d'oeuvre. J'ajouterai aussi que la langue est délicieuse. L'auteur a accompli un travail remarquable sur l'étymologie des mots afin de créer des néologismes notamment pour termes techniques propres à son monde.
Géographe de formation, j'ai été très sensible à la précision et à l'exactitude de ses extrapolations sur la conception de son univers. Par le choix des mots qu'il tord et déforme pour adapter à cette terre, Damasio donne vie à son livre.

Damasio est un grand écrivain. Il réussit à faire de la littérature sublime avec de la fantasy ; ce genre où les auteurs délaissent trop souvent le style au profit de l'histoire, oubliant que la lecture c'est aussi savourer des mots, des phrases, des rythmes.
Comme écouter le vent...

5 commentaires:

  1. ce livre est un monument . c'est clair. je l'ai lu il y a quelques temps ( années ? ) et j'avais été un peu trop écrasée par le poids de cette oeuvre , mais je reconnais tout de même que c'est un livre qui vaut le détour, ne serait-ce que par curiosité ( car c'est vraiment un truc assez unique )

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  2. Merci pour cette présentation plus que complète qu'un roman qui je pense va vite rejoindre l'étagère de ma bibliothèque réservée à mes livres préférés: Un gros roman bien écrit, dans un monde de fantasy où l'élément central est le vent (mon préféré), ça a tout pour me plaire.
    Et en plus ça faisait un moment que je stagnais sans vraiment savoir dans quelle lecture me lancer...

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  3. Boréale : j'avais lu ta critique mitigée. C'est vrai que ce bouquin est lourd, au propre et au figuré. J'espère que l'adaptation cinéma prévue aura bien lieu !!

    Paulo-chon : *__* j'espère qu'il te plaira. En plus, l'auteur est français. Vu le travail sur la langue, je crois que nous avons de la chance de pouvoir le découvrir dans sa version originale. Je n'ose même pas imaginer le boulot de traduction...

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  4. Bonjour,

    Merci pour ta critique qui m'a donné envie de lire le livre.

    C'est un livre monde :
    On plonge littérallement dans un autre monde avec d'autres buts, d'autres
    façons de vivre, une autre façon d'écrire.
    De ce côté c'est beaucoup plus puissant que Dune ou le Seigneur des
    Anneaux dans la reconstitution d'un univers cohérent.

    Ceci rend la lecture peu aisée : tout le vocabulaire tourne autour du
    vent, y compris des nouveaux mots fabriqués pour l'occasion

    23 personnages très attachants et fascinants mais...je dirais que le
    personnage central du livre est le vent.

    C'est souvent la force du livre quand le groupe se bat mais aussi sa
    faiblesse quand l'histoire se perd en circonvolutions inutiles (je me
    rappelle d'un combat durant des pages et des pages, joute oratoire aussi
    longue).

    Je dois avouer que pour cette raison on doit telle la horde "contrer" le
    livre et remonter à la source (i.e. la fin).

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  5. J'aime ton avis avec le vent comme personnage central.

    C'est vrai que la lecture du bouquin n'est pas aisée... On peut se demander en effet dans quelle mesure l'auteur a volontairement rendu difficile l'accès pour qu'on se sente plus proche de la horde, dans l'effort déployé !

    Merci pour ce commentaire constructif qui m'a fait me replonger un instant dans ce tourment de mots et de personnages :)

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Marianne