3 mai 2011

Les bébés de la consigne automatique

Ryu Murakami est un écrivain japonais contemporain connu pour ses explorations des sentiments humains les plus vils. Ce roman paru en 1980 au Japon anticipe sur les travers de la société en se projetant une décennie plus tard. Il raconte les destinées mouvementées de deux frères d'abandon.

Une plongée vers les grands fonds

En préambule, je vous déconseille vivement de lire la quatrième de couverture qui, en quelques lignes, dévoile la quasi-totalité de l'intrigue. Idem pour la préface qui propose une analyse intéressante sur le livre mais révèle trop d'éléments. A lire une fois le roman achevé.

Plusieurs bébés sont retrouvés enfermés dans des cellules métalliques de consignes automatiques, dans l'air brûlant et étouffant d'un été caniculaire au Japon. Seuls deux survivent à l'horreur, mais elle laisse un traumatisante indélébile.

Hashi, plutôt timide, maligne ouvre la bouche pour s'excuser. Il est toujours accompagné de Kiku, pas doué avec les mots mais toujours prêt à s'exprimer avec les poings, surtout pour défendre son "frère".

Ils grandissent dans un orphelinat, pas vraiment malheureux, mais sans jamais oublier pourquoi ils sont arrivés dans ce lieu. La tragédie du rejet plane toujours. D'ailleurs, les deux enfants développent très tôt des troubles comportementaux sérieux, une tendance à une espère d'autisme étrange. Ils servent de cobaye pour une thérapie révolutionnaire et avant-gardiste. Remis d'aplomb, ils sont déclarés aptes à être intégré dans une famille.

Mais leur adoption, les tentatives à une vie normale n'effaceront jamais vraiment les blessures. Des explosions de violences, des actions totalement impulsives et amorales ponctuent leur enfance et leur adolescence. Bientôt, il apparaît avec une triste froideur que leurs destins sont liés, l'instabilité de leur vie reflétant celle de leur condition mentale.

Apnée en eau trouble...


Le ciel enchevêtré de Tôkyô
Les rencontres qui parsement le livre sont autant de plongée dans un univers boueux, pervers où la raison se dissout. Un vagabond motard à demi-fou, une jeune top modèle qui vit avec un crocodile, un producteur homosexuel mégalomane... Les personnages oscillent tous entre folie et normalité médiocre et lâche.

Personne n'insuffle de l'espoir et de la lumière. Et si les hommes sont perdus, il suffit de regarder leur environnement pour avoir un début d'explication à cette descente aux enfers.

Il y a aussi le mot magique et mystérieux "datura", une solution espérée à l'horreur, une quête... Une vision excessivement pessimiste du Japon.

Si on replace le livre dans son époque, Murakami a signé une vision étrangement prophétique des média, du monde de la mode, de la musique et surtout de la publicité. Le superficiel règne en maître et l'individu se noie, seul, abandonné. Certains éléments sont très marquants tel que l'Ilot de la drogue, un no man's land en plein Tokyo où sévissent drogue et prostitution ; il rappelle le Bronx des années 80.
On retrouve souvent des zones de non-lieu similaires dans la culture indépendante japonaise. Un lieu sans loi, où toute les perversions sont possibles et où étrangement, la solidarité entre les habitants n'a pas disparu.

Le roman est servi par une écriture simple, très maîtrisée et toujours directe. Ryu Murakami ne fait pas dans la fioriture et sa technique est irréprochable. Il décrit sans prendre de gant scènes de violence, de sexe, un quotidien sans issue et des dialogues mentaux en déséquilibre constant, toujours à danser au bord d'un gouffre dément.

…suivie d'une asphyxie


Tôkyô dans le flou nocturne
Pourtant, malgré les qualités de l'écriture et l'originalité de l'histoire, j'ai décroché à mi-parcours. Perdu la curiosité de connaître l'avenir de Hashi et Kiku. Perdu la crainte qu'ils basculent, perdu la sensation désagréable face à ces visions sombres.

Trop de maladie mentale, une surenchère dans la bizarrerie. Plutôt que de me laisser entraîner dans ce tumulte, l'histoire m'a ennuyé, les destins tragiques des personnages m'ont fatiguée sans m'émouvoir.

Et la narration s'est dirigée comme un missile exactement vers l'objectif que j'avais deviné, sans aucun détour.
J'ai donc terminé le bouquin de plus de 500 pages avec la désagréable impression d'être passée à coté de cet ouvrage. Par contre, j'ai eu terriblement envie relire Bleu presque transparent. Tous les éléments qui m'ont séduite dans Les bébés de la consigne automatique étaient déjà présents dans ce premier roman que j'avais adoré.

Alors, je peux au moins rayer un titre de ma PAL, et de ma liste pour le défi  "In the Mood for Japan", mais un goût de regret persiste quand même : l'absence d'émotion, juste une grande lassitude. Et vous, l'avez-vous lu ? L'avez-vous aimez ?


Petit complément challenge :
Challenge Murakami : Le passage de la nuit de Haruki Murakami
In the mood for Japan : liste mise à jour

9 commentaires:

  1. Oh, je me sens beaucoup moins seule sur le coup. J'ai fini ce livre en fin d'année dernière pendant les fêtes de noël. Au départ, j'ai été prise dans une espèce de spirale infernale, j'avais du mal à poser mon bouquin, ne serait-ce que pour aller manger. Et puis, à un moment, je ne sais pas trop pourquoi, je m'en suis lassée. Je n'avais pas l'envie de le terminer. Je l'ai laissé de côté pendant une semaine, avec l'impression d'avoir manqué quelque chose. J'ai fini par le terminer, avec lenteur. Et j'ai comme toi l'impression d'être passé à côté de quelque chose. Fait qui m'étonne d'autant plus lorsque je discute avec des amis qui m'assurent que c'est LE meilleur bouquin de Murakami. Bon. Peut-être qu'en le relisant, mon regard sera différent, à voir. Mais pour l'instant, je suis déçue.
    Il faut par contre que je mette Bleu presque transparant dans ma liste, tu as l'air de l'avoir aimé!

    Oh et puis, tu feras une 'revue' sur Le passage de la nuit? J'ai simplement adoré ce livre alors j'aimerais bien connaître ton avis! :)

    Désolée pour ce roman!

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  2. Jade-jun : je partage bien ton sentiment. "Bleu presque transparent" est plus concis, plus direct et je le trouve du coup plus percutant, plus dérangeant. Là, je n'ai pas du tout été ému, le contraire même.

    Mon avis sur "le passage de la nuit" est déjà en ligne, il suffit de cliquer sur le lien ;)
    J'ai adoré. De toute façon, au niveau écriture, je préfère quand même Haruki Murakami à Ryu. Je lui trouve une poésie, une sensibilité sans égale. Et puis, ses constructions narratives sont étonnante, proche du cinéma. J'aime qu'un livre ne soit pas linéaire.

    Merci d'être passée par ici :)

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  3. Oui, je l'ai lu et j'ai d'abord été captivée par un début original et entraînant mais le dernier tiers était trop violent et incohérent.

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  4. Alors soyons claire, "j'aime" ton article, pas le bouquin. Les deux Murakami sont aux antipodes l'un de l'autre. Haruki est de loin le plus talentueux et le plus subtil tant sur le fond que sur la forme. Y a quelque chose de racoleur chez R...yû qui me gonfle. Et je l'ai définitivement rayé de ma liste quand j'ai vu un de ses films, juste glauque pour glauque, provoquant pour provoquant... Gochisou ! Je suis étonnée que tu l'ai terminé et je te félicite pour ton chemin de croix ! 500 pages ça a du être long... ^^ Par contre 1Q84 est sur ma liste... Haruki oblige !!! ;)

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  5. Je l'ai commencé, mais jamais terminé, trop lassée par tout cet étalement de noirceur

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  6. Bon, je crois qu'il faut vraiment que j'en lise d'autres de lui pour avoir des points de comparaison et pouvoir mieux juger. Tu me donnes très envie de lire Bleu presque transparent!

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  7. Je l'ai commencé au mois de juin, et si j'ai beaucoup aimé l'enfance des deux gosses, depuis qu'ils sont adultes (j'en suis quand ils se retrouvent à Tokyo, dans l'"îlot de la drogue") et je dois avouer que je m'emmerde de plus en plus...

    L'univers décrit est très intéressant pour les raisons que tu invoques, mais je sais pas, les personnages ne m'intéressent pas plus que ça, l'intrigue encore moins.

    Si bien que je sens que je vais le laisser tomber (en fait, c'est pratiquement déjà fait, je viens de me remettre à lire The Hobbit (que je n'avais pas lu depuis mes 12 ans), et vu que 19Q4 vient de sortir, j'ai peur de ne pas reprendre les Bébés avant un bon moment si je le reprends un jour.

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  8. Je ne peux pas vraiment vous encourager à finir ce bouquin...

    Ca était assez laborieux pour moi. Comme je suis assez têtue et surtout, que j'aime le style d'écriture, j'ai quand même réussi à le terminer.

    David : j'ai eu aussi le même sentiment de "décrochage". Au bout d'un moment, je me suis demandé "pourquoi je continue ?"...
    Je suis curieuse d'avoir ton avis sur 19Q4 !

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  9. J'ai acheté le premier tome de 1Q84 (typo au-dessus ;-) ), mais je pense que je ne vais pas avoir le temps de le commencer avant quelques semaines (je ne lis vraiment pas assez - de bouquins - et/ou trop de trucs sur l'ordinateur ces temps-ci)

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Merci beaucoup d'avoir laisser un commentaire ici !

Il s'affichera un peu plus tard, après sa validation.

Marianne