16 mai 2014

Ouvrir la cage au flamant rose


Illustration de Esclarmonde : http://www.esclarmonde.fr/



Quatre mois. Quatre mois interminables avec un corps verrouillé, tout puissant, bloqué. Quatre mois à vivre la douleur, la respirer, la consommer, la boire. Quatre mois d'angoisse à se demander quand vais-je enfin me mouvoir sans risque, me mouvoir sans que la douleur ne m'expédie dans les étoiles et surtout, à l'hosto.

Début d'année comprimé


J'ai joyeusement déclenché une crise de sciatique le 5 janvier.
Mécaniquement, c'est simple, c'est la faute à César, ma fabuleuse et encombrante hernie discale qui squatte le tuyau dédié au passage des nerfs. César est du genre à faire son intéressant, à prendre toute la place, y compris celle des autres. Normalement, je vis avec. Plutôt bien. Sauf quand les émotions déconnent, quand mon cerveau de grenouille s'emballe, le reste du corps tend à partir en vrille. Les joies de la somatisation, et paf, César s'exprime.
Il pique une crise, un groooos caprice comme un gosse de trois ans et monopolise toute l'attention. Il hurle, et rouge de colère s'enflamme avec fracas. Bilan : mon nerf sciatique habituellement comprimé par la hernie (mais, blasé, relativement zen) n'apprécie pas le comportement de se voisin intrusif. La douleur commence.

Ce n'est pas la première fois. Mon dos est ma croix depuis que je suis adolescente. Ce n'est pas non plus un problème de santé dramatique, ni une saloperie incurable et invalidante en permanence ; pourtant, cette fois, j'ai eu peur. D'abord parce que la crise a commencé en fanfare. Au bout de quelques jours, j'ai fait une syncope et en tombant, je me suis assommée. Quitte à m'évanouir autant le faire là où je peux me taper, au choix, sur le radiateur en métal, ou la porte d'entrée renforcée d'un plaque de métal.
Ensuite, j'ai fait des convulsions. Pas longtemps, quelques secondes. La moustache, témoin impuissante, a eu droit à une belle frayeur. Heureusement, j'ai la tête dure.
Ne pouvant plus ignorer le problème - ma façon préférée de gérer une crise - j'ai été voir le toubib et fait une batterie d'examen. Rien. Rien. Juste de l'angoisse pendant un mois et demi en attendant de comprendre. Pendant ce temps, César a décidé que non, il n'aimait pas le kiné et que non, je ne m'occupait pas bien de lui. La douleur est devenu progressivement insupportable jusqu'à ne plus pouvoir marcher. 5 minutes d'autonomie avant de hurler. 50 mètres avant de s'accroupir. La joie de pleurer de douleur dans la rue, de connaître intimement tout les bancs du quartier, de constater que chaque sortie a une raison médicale, et que la vie rétrécit à sa grotte.


Illustration de Virginie Blancher : http://virgoandviny.tumblr.com/

Le complexe du flamant-rose


Peu à peu, je me suis retrouvée totalement bloquée. Physiquement incapable de tenir debout sans grimacer. Incapable de me reposer. Parce que la souffrance se loge dans ma jambe devenu un poids mort, un machin raide et encombrant qui n'a qu'une fonction : me pourrir la vie. Le simple fait de poser le pied par terre est devenu une torture. Alors j'ai pris l'habitude de me tenir comme les flamants roses. Heureusement, César, dans son immense bonté, comprime le nerf à droite et mon pied d'appui est le gauche. Au moins, je ne me suis pas trop cassée la binette.
Avec les effets magiques des médoc anti-douleur qui détraquent le bide et embrouillent les neurones, je me suis transformée en flamand rose zombi.

Le pire, c'est l'angoisse.
Quand les médecins n'ont que des solutions qui te paraissent pire que le mal, quand tu ne vois pas d'issue. Tu sais, rationnellement, qu'il y a quelques mois, tu crapahutais en montagne et que César était là. Silencieux et tranquille. Tu sais que dans quelques mois, tu retrouveras ta mobilité. Mais là, tu es en plein dedans. Dans une tempête calme et blanche où le moindre mouvement a le potentiel de tout faire disjoncter. Coincée au milieu de la route, incapable d'avancer ou de retourner en arrière, juste à prier pour que le bitume reste désert et qu'un 38 tonnes ne déboule pas.
L'angoisse nourrit la douleur. Elle fait glisser les certitudes de convalescence, elle jette le doute et rend l'air lourd, pâteux. Tu te dis que ce n'est pas si grave. Tu te dis que c'est horrible. Tu te dis que ça va aller mieux. Tu te dis que ton nerfs va être endommagé. Que tu vas perdre de la mobilité, de la souplesse définitivement. Sans compter, une pointe de culpabilité à se sentir aussi mal, parce que, bordel, il y a des situations vraiment plus dramatiques.

Les émotions débordent, les larmes n'apportent ni réconfort ni nettoyage. La douleur noie tout. Le moindre déplacement est insupportable, tant par la souffrance qu'il engendre que la peur d'endommager encore plus le corps.
De façon irrémédiable.
Des heures alitées avec un casque sur les oreilles en écoutant un bouquin pour tenter de s'extraire. Même le sommeil n'apporte pas le repos. Je vois La Moustache qui s'active dans la maison, se coltine toutes les courses et les taches ménagères et, en plus de mes craintes s'ajoute la culpabilité croissante d'être une invalide.

Des mois en dent de scie à vouloir très fort se sentir mieux, à faire souvent semblant d'avoir le moral histoire qu'à force, la bonne humeur devienne sincère. À espérer l'amélioration, à redouter le pire, à refuser les recommandations des médecins. Non je ne veux pas passer sur la table d'opération pour me faire charcuter César. Je veux juste retrouver mon équilibre qui me permet de marcher, de faire de la randonnée tout en continuant d'être attentive et en prenant en compte mes limitations et mes faiblesses.

Illustration de Virginie Blancher : http://virgoandviny.tumblr.com/

Réapprendre à voler


La solution est venue en douceur, tout à côté de chez moi. Un copain m'a recommandé une ostéopathe et cette dernière m'a donné l'adresse d'un naturopathe un peu rebouteux ; j'ai refusé les infiltrations, abandonné ma thérapie chez le toubib des boyaux de la tête qui ne comprenait pas que chaque déplacement était une torture. Je suis restée dans mon quartier. Je me suis reposée. Un repos total sans sortie à plus de 100 mètres de chez mois durant un mois. Petit à petit, la douleur a reflué et César a cessé ses hurlements hystériques. J'ai diminué les médoc jusqu'à les prendre juste de temps en temps.

Depuis début mai, je remarche avec mes deux jambes. Une révolution !
Je me tiens sur mes deux jambes. Même si parfois, je fais encore le flamant-rose - piétiner reste pénible - je retrouve un équilibre, je me réapproprie la totalité de mon corps. Je suis toujours en convalescence, César reste bavard, ce coquin est avide d'attention. Être raisonnable, ne pas trop s'agiter, gérer son activité. Voilà mon défi quotidien.

Je n'ai pas vu la fin de l'hiver ni l'arrivée du printemps. Je n'ai pas vu d'arbres en fleurs ni les premiers bourgeons verdir. Pourtant, malgré la frustration d'avoir « perdu » ces mois de vie, j'ai la certitude que c'est la dernière fois. Je connais les causes du maëltrom émotionnel qui a donné à César le loisir de me pourrir la vie. Ça suffit. Aujourd'hui, j'ai non seulement l'envie de faire, mais j'ai surtout l'énergie et la possibilité.

L'étang devrait (enfin) retrouver une activité normale.


Un flamand du Parc Phénix à Nice

9 commentaires:

  1. Wow. Quelle histoire. Ça a dû être une véritable torture. Et une pression émotionnelle forte : ne pas savoir quand et comment ça va s'arrêter, y penser constamment... Je suis contente de savoir que ça va mieux en tout cas.
    Finalement, je me rends compte que c'est souvent en allant voir des thérapeutes non conventionnels que les choses rentrent dans l'ordre. Je ne sais pas si c'est parce que leur médecine est plus efficace ou simplement parce qu'ils sont davantage passionnés par leur métier... Combien de médecins se préoccupent réellement de ta santé ?
    Bref, tout ça pour dire : bon retour dans ton étang ! J'ai hâte de te relire plus souvent :)

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    1. J'ai bien eu la pétoche, en effet ! Je ne suis pas anti-médecine traditionnelle, mais c'est vrai qu'il est difficile de trouver des praticiens qui prennent le corps dans leur globalité. Quand tu y ajoutes le psychisme et l'émotionnel, ça devient vraiment complexe et peu de personnes acceptent les limites de leur compétences.
      La force des solutions alternatives est de rencontrer des gens qui ont dès le début conscience de la complexité de l'affaire et qui reconnaissent que l'humain lui même est un facteur aléatoire :)

      En tout cas, je suis bien contente de pouvoir gambader de nouveau. Là j'ai passé quelques jours hors de Paris et mon moral a pris un sacré shoot !
      Bon courage pour ton retour en France, ça doit te faire tout bizarre !

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    2. Quelle surprise de découvrir ton histoire. Quel courage!
      Je regrette de ne pas l'avoir su plus tôt, je t'aurai conseillé d'aller voir un chiropracteur. Première médecine de santé manuelle, je suis sous leur main depuis plus de cinq ans et je n'ai plus jamais besoin d'aller chez le médecin. C'est une médecine qui considère le corps comme capable de se soigner par lui-même. Elle arrive à faire des miracles!
      http://www.chiropratique.org/
      Je te souhaite de ne plus revivre la même expérience, même si elle a sûrement dû te renforcer.
      Bon rétablissement et bon retour dans l'étang :-)

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    3. Merci Lilaure pour ton commentaire !

      Je connais la chiropractie, c'est même pas elle que je suis entrée dans les médecines alternatives. J'ai été ajustée par une personne qui ne bosse qu'en énergie (technique du network). Le hic c'est que cette technique est peu rependu est que les tarifs pratiqués sur la capitale sont franchement du vol.

      La manipulation classique fonctionne mal avec moi car j'ai tendance à me replacer les vertèbres juste avec les tensions de mon corps. Il faut donc que j'ai un praticien plus doux. L’ostéopathie fonctionne à peut près sur le même principe. Dans tout les cas, la solution est de te faire ajuster régulièrement (tout les trimestre par exemple) et surtout quand tu vas bien.

      Comme pour un médecin classique, j'aime aller voir des personnes qu'on me recommande. Du coup, je suis en confiance. Avec une mère infirmière panseuse, j'en ai entendu de belle sur l'incompétence de certains... Il a y des charlatans et des magiciens dans tout les domaines. Et puis, il faut trouvé la personne qui te correspond.


      Le kiné que j'ai vu pratique un dérivé de mc kenzie (thérapie posturale http://www.mckenzie.fr/ ), il est compétent mais juste pas adapté à mon problème.

      Je sais que César ne m'enquiquinera plus comme ça. Certaines choses ont changées dans mon crâne de grenouille et même si la hernie reste, mon âme et mon cœur vont mieux. J'ai parfois besoin d'aller jusqu'au bout d'une expérience pénible pour prendre des décisions et surtout mener à bien les actions nécessaire afin d'éviter la récidive.

      Cette fois j'ai compris !!!

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  2. OUUUF !!! je suis heureuse pour toi que tu aies enfin pu trouver la faille pour péter la gueule à César !
    Et ce super praticien, garde-le ! Il y en a qui ont la magie des mots et des manipulations pour guérir les maux, c'est précieux ! Encore faut-il le trouver...

    Bienvenue dans cette renaissance :)

    Signé : une amie qui a eu son César réveillé mais seulement trois jours ! (et c'est déjà dur !)
    Et qui t'invite chaleureusement si tu as besoin de souffler et de t'émerveiller pour digérer tout ça ;)

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  3. Ouh là là ma pauvre... Contente de savoir que tu vas mieux en tout cas.

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  4. Joli billet où ta souffrance est à chaque instant palpable, souffrance que je comprends puisque je cohabite également avec un César. Lorsqu'il m'ennuie un peu plus, je m'étire et je marche, pour l'instant plus de crise rouillée en deux. Espérons que nous passions toujours à travers les filets de l'opération !

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    1. Je suis heureuse de te retrouver après ce long silence de douleurs.

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  5. Ôôôôô ^^
    Vivent les flamands rose avec leur joli plumage et leurs deux pattes :)
    Bienvenue et surtout prend toujours bien soin de toi.
    Quelle histoire! Bisous ❤

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Marianne