27 juillet 2016

Phobie [Journal#4]




Préambule


Attention, l'article qui suit risque d'en choquer certains.
Non, vous n'avez pas atterri par erreur sur le blog d'un Odieux Connard (que par ailleurs, j'apprécie beaucoup). Cependant, je vais vous parler aujourd’hui d'un sujet personnel : ma phobie de l'obésité. Ces mots n'ont pas comme objectif d’insulter les personnes malades d'obésité mais d'exposer mon ressenti, qui n'est pas reluisant. Mon intention est surtout introspective, en pratiquant l’exercice d'un journal intime ouvert et non anonyme. Je partage ici un peu de moi, même ce moi qui déplaît aux autres et parfois à moi-même. Si vous vous sentez attaqué personnellement, j'en suis navrée. Je ne suis pas responsable de vos émotions si vous décidez de continuer cette lecture en connaissance de cause.

Grossophobie


J'ai peur des gros, j'ai une aversion violente, presque nauséeuse des amas de graisse qui arrondissent le corps et le déforment, le boursouflent, le plissent.
Évidemment, certaines de mes connaissances et amis sont gros. Ça complique un peu la relation pour moi, cela me demande de désincarner la personne pour l'apprécier et l'aimer.
Avec mes amis proches, j'ai toujours été franche et sincère sur la question. Ma limite étant l'obésité morbide où, là, ma phobie prend le pas et je ne peux que me mettre en retrait. Pour être parfaitement claire, ma phobie de l’obésité est un mouvement de recul, de rejet physique au plus profond de mon être. En rien je ne vais devenir agressive ou même incorrecte, à moins d'être littéralement acculée dans une situation où la panique prendra le dessus. Les obèses me dérangent. J'ai conscience que cela vient de ma perception et je ne vais pas aller les enquiquiner !

Grossophobie. Ce néologisme désigne la discrimination faite au personnes grosses. Grosses, pas obèses. Hors, le mot "gros" n'a qu'une signification relative là où l'obésité est quantifiable. Nous sommes nombreux et nombreuses à nous trouver trop gros, que ce soit justifié ou non par l'affichage de la balance. Les deux extrêmes de cette déformation entre la perception et la réalité met l'humain en danger : anorexie et obésité tuent.
Je ne suis pas idiote. Je différencie obésité et œdème. Les personnes malades aux jambes comme des poteaux gorgées de flotte ou blindées de cortisone pour soigner des maladies chroniques terribles m'inspirent de la compassion, même si, toujours, la grosseur du corps provoque viscéralement un mouvement de recul. Je sais que la prise de certaines substances comme des anti-dépresseurs dérèglent l'appétit et entraîne souvent des prises de poids impressionnantes. Savoir intellectuellement les causes ne m'aide pas : j'ai toujours peur.


Depuis très jeune, j'ai la phobie des gros. Je ne me souviens pas de quand précisément j'ai développé ce comportement. Je ne suis pas anorexique même si, j'ai eu, enfant, un rapport particulier avec la nourriture. Se sustenter, comme dormir, prenait du temps sur le jeu et, par conséquent, me paraissait superflu. J'ai toujours eu un appétit d'oiseau et des modes d'alimentation ultra simplistes. Gamine, je n'aimais que ce qui était cru. En grandissant, avec les injonctions et encouragements d'autrui, j'ai découvert des goûts différents. J'ai surtout découvert que le goût évoluait et qu'il s'éduquait. Je suis même devenue franchement gourmande et le repas, loin du fléau nécessaire de ma jeunesse, est aujourd'hui un moment de partage, un moment où j'ai conscience de ce que je mets en moi, que je vais transformer et qui va, à terme, devenir moi.

Pourtant, malgré cette évolution, j'ai toujours une phobie terrible des obèses, particulièrement de l'obésité morbide. Si les rondeurs ne me dérangent pas, que je trouve même que les morphologies avec des formes généreuses sont sensuelles et appartiennent à la merveilleuse diversité humaine, l'obésité, elle, me révulse. Me répugne. Me fait cauchemarder. Pire, me fait peur.
Une peur indicible, logée dans le ventre qui génère un mal être tel que j'en ai la nausée, le vertige.




Le poids de l'héritage familial


En France, il y a peu de personnes atteintes d'obésité morbide. Peu de personnes où la couche de graisse masque jusqu'aux formes les plus élémentaires de l'être humain, le transformant en une suite de plis et bourrelets, dissimulant les articulations sous des boudins flasques, arrondissant le visage au point de le perdre dans une lune trop vaste, alourdissant le cou au point de le faire disparaître dans les épaules, devenues une carapace molle de chair. La graisse donne aux hommes plus de poitrine qu'une femme. Donne aux femmes un ventre si disproportionné qu'une grossesse serait invisible.

Ces enfants de la malbouffe qui ingèrent les produits poubelles de l'agroalimentaire sont quand même là. J'ai grandi avec quelques spécimens dans ma famille, et qui sont peut-être la cause de mon intolérance. A moins que ce soit plus profond, plus ancien.

Ma mère aussi a été obèse adolescente. Elle a survécu à la tuberculose à une époque où soigner impliquait de gaver le patient. C'était juste après la seconde guerre mondiale, même si, en zone libre, elle avait peu connu la faim, le spectre du manque planait encore. D'une enfant malingre, elle est devenue énorme. À 17 ans, elle a décidé seule de maigrir avec les moyens du bord : des tisanes prises dans la boutique de son père, un herboriste. Elle a maigri. Très vite et beaucoup au péril de son ventre, en se flinguant définitivement l'appétit et son rapport aux aliments.

J'ai toujours connu ma mère mince, élégante et avec des crises carabinées de boulimie. A l'époque, elle disait pudiquement qu'elle souffrait de "crise de foie". Vingt ans plus tard, j'ai compris que c'était l'expression bien française pour désigner l'indigestion. Ma mère a l'appétit déréglé, brisé. Peut-être que le mien, par réaction, par protection, a longtemps été celui d'un oiseau timide. J'ai toujours réagi avec violence et efficacité si on me forçait à manger un truc que je n'aimais pas : je vomissais dans la foulée, de préférence sur la personne qui avait commis l'affront
Ma mémé, la mère de ma mère, était obèse. Je l'aimais beaucoup. Mais je crois que, déjà enfant, mon amour pour elle était complexe avec un mélange d'attirance et répulsion. 



Aspirante sauveuse


Nombre de mes amies à l'école étaient grosses. Ma tendance de sauveuse me rapprochait systématique des gamines rejetées, souvent en raison de leurs physiques jugés ingrats par les autres enfants, ou de leurs difficultés scolaires. Certaines cumulaient. Je me souviens de Patricia, au primaire. Une gamine d'un milieu défavorisé qui peinait à apprendre à lire. Je l'aidais donc à faire ses devoirs - mais je ne les lui faisais pas à sa place, loin de là, elle trimait dur avec moi ! - en échange de quoi elle mangeait une partie de mon assiette à la cantine, voire tout si c'étaient des choux, des épinards, du foie, de la viande semelle....

Rétrospectivement, je réalise à quel point ce marché était déséquilibré et un peu égoïste. J'aimais aider et donner aux autres l'envie d'apprendre et de découvrir. Je grince des dents en songeant que par mon attitude, je ne l'ai pas aidé à lutter contre ses problèmes de surpoids qui l'handicapaient socialement et l'attristaient.
Et si l'obésité me repousse, quand je songe à mes années d'école, plusieurs visages poupins d'enfants ou d'adolescents gonflés m'apparaissent. J'ai toujours été douce et gentille avec eux, même si je ne masquais pas mon désaccord sur leur régime alimentaire, partageant même mes inquiétudes sincères sur leur santé. L'influence de ma mère, qui outre sa névrose alimentaire, exerçait la profession d'infirmière, m’apparaît aujourd'hui limpide.

Cette société que je déteste


Nous vivons dans une société étrange.
D'un côté, il est évident, quand on a des notions d'anatomie, que l'obésité est un fléau qui abîme le corps et la santé. De l'autre, les remèdes sont souvent pire que le mal car pour maigrir, ce n'est souvent pas d'un régime dont la personne a besoin mais d'une aide thérapeutique complète et profonde. La société de consommation, les industries de l'agroalimentaire, jouent sur les faiblesses des hommes pour les empoisonner littéralement avec des sucres et des produits addictifs. Une masse grosse et assujettie, qui ne réfléchit pas (merci la TV) est toujours plus facile à gouverner et à saigner.
Je crois que si mon aversion pour l'obésité est si forte c'est parce que l'amas de graisse est la représentation physique tout ce que j’abhorre : la preuve tangible de la faiblesse humaine qui se laisse dévorer crue par le système qu'elle a elle-même créée alors qu'elle crève de trop - et mal - manger. Un paradoxe insupportable surtout quand il y a une conjonction entre obésité, pauvreté et faible niveau d'éducation - ce qui était le cas pour une partie de ma famille.

Typologie tri lili


Alors, oui, j'ai une phobie de l'obésité et des personnes obèses. Ça ne m'empêche pas de les aimer, même si la longueur et la difficulté du chemin vers l’autre est proportionnel à son poids. Il y a, néanmoins, dans ma phobie, deux catégories distinctes et l'une est plus facile à aborder. En effet, je différence en plus les enflés des flasques :
- les enflés ressemblent à des baudruches, ils sont tout ronds avec la peau tendue. Leur peau contient le surplus de gras et je ne me sens moins "envahie" à leur contact.
- les flasques, eux, ont le bourrelet tombant, souvent qui coule en une série de plis successifs, mous.
J'ai constaté une évolution de l'enflé en flasque quand la prise de poids continue avec les années, peu clémentes avec les gros.
Du point de vue de mes interactions sociales, j'ai du mal à masquer mon dégoût avec les personnes à l'obésité flasque, ce que je trouve très gênant. Quand à l'obésité morbide, elle est simplement insoutenable et j'ai abandonnée depuis des année le combat.
Je n'éprouve aucune plaisir à blesser autrui. Tant il est facile de contrôler ses paroles, tant il est presque impossible pour moi de contrôler mon visage, mon expression et mon attitude. Alors, je préfère encore le dire. Parce qu'une couche de graisse ne m'a jamais empêchée d'éprouver de l'affection sincère pour un humain doté d'un cerveau fonctionnel, d'une belle âme et d'un cœur généreux.
J'ai peur des gros, certes, mais ça ne m’empêche pas d'en aimer certains et de faire fi de leur armure de chair. 





2 commentaires:

  1. Et certaines fois, les kilos sont un rempart inconscient face au Monde... qui disparaissent quand on reprend pied. Le lien du corps à l'esprit est très complexe et on ne se supporte des fois pas nous-même quand on est obligé de le subir. (sans être pour autant inflencés par la presse-feminine-cacabeurk-belleenmaillot)


    De lire ton histoire familiale me fait comprendre d'où te vient ce sentiment.
    Comme quoi il est toujours très difficile de casser les psycho-généalogies familiales quand on veut s'en défaire pour mieux vivre.

    Ce qui est rassurant dans ton article, c'est qu'au final cela ne t'empêche pas de profiter de la vie en succombant au plaisir de cuisiner ^^

    <3

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  2. J'ai un peu le même "problème" mais en moins fort avec les difformités physiques. J'ai beau savoir que ce n'est pas contagieux, je sais que ça a tendance à me marquer visuellement et revenir me hanter quand j'en vois, parfois très longtemps. Du coup j'évite de regarder les gens qui en sont atteints, même si je suis consciente que ça peut les blesser.
    Par contre évidemment j'essaie d'être discrète, comme toi je ne suis pas pour autant agressive.

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Marianne