2 avril 2020

Ces temps étranges...



Confinement :
(Par extension) Procédure de sécurité visant à protéger des personnes dans des espaces clos afin d’éviter, un contact avec un nuage nocif (de gaz ou radioactif), ou la propagation d’une maladie infectieuse.

Je me sens pas confinée.
Je me sens entravée, menacée dans mes libertés, en colère face à une situation d’une extrême complexité, angoissée par le manque de cohérence de nos gouvernants, inquiète pour mes proches face à une maladie qu’on ne soigne pas.



La guerre comme joker


J’étais en Bretagne, à Quiberon, pour quelques jours au vert et au bleu, quand le confinement a été instauré. Il y avait un TV dans la loc. Je l’ai regardé, un truc qui ne m’était pas arrivé depuis des années. J’ai ainsi suivi en direct l’allocution notre Jupiter national. « Nous sommes en guerre » a-t-il martelé. Mais contre qui ? Ai-je songé. Parce qu’il me semble dans une guerre, il faut au moins deux camps. Soyons clairs, Covid19 s’en cogne de nous, c’est un virus, il n’a pas d’intention de nuire, juste de survivre et de faire ce que font les virus.
Être en guerre, c’est pratique, rassembleur, on enterre nos différents, on s’unit, on se serre les coudes (mais de loin, distance sociale oblige).
Immédiatement, j’ai repensé à mère, infirmière, qui allait à Paris manifester au milieu des années 80 pour la sauvegarde de l’hôpital public. Je me souviens de ma trouille diffuse de gosse de dix ans, devant les infos et les charges de CRS – déjà à l’époque – qui les arrosaient à coup de lacrymo. Depuis, le démantèlement du service public a continué, avec une logique unique : financière. L’humain, on s’assoit dessus.

Alors, dès ce fichu discours, je me suis sentie très très mal. En début d’année, quand les soignants défilaient en une énième tentative pour demander des moyens de bien faire leur métier, la réponse était matraque et flash balls. Soudain, dans la bouche présidentielle, ils deviennent des héros. C’est bien pratique les héros, en temps de guerre, ça tombe comme des mouches. Au moins, y a ni pension ni retraite à leur verser ; ils accomplissent leur « devoir » .
Rapidement, le statut de héro a été largement distribué à tout le monde. Il suffit de rester enfermé. « Rester chez vous, sauvez des vies ». Quelle facilité ! Surtout quand on vit dans un lieu sympa, avec de l’espace, qu’on peut télétravailler, qu’on a pas de gosse, qu’on ne se retrouve pas au chômage partiel, et qu’on est suffisamment introverti pour supporter l’absence de contact...


Injonctions contradictoires à gogo


Restez chez vous, mais allez voter.
Restez chez vous, mais allez bosser.
Voilà qui m’a copieusement embrouillée. Alors, j’imagine l’effet sur des personnes moins informées, moins éduquées, abreuvées par les infox et les conneries alarmistes qui tournent en boucle sur les chaines TV préoccupées uniquement par leur audimat.
— Il a dit quoi ?
— Ben faut rester enfermés.
— Ha, OK.
— Mais dimanche, faut quand même aller voter. Et puis, en fonction des métiers, faut aller bosser, car il faut bien faire tourner les pays. Mais on va être des héros.
Caissière, livreurs, soignants... Hop, eux aussi ont leur badge de héro. Parcontre, pour le salaire décent et la pérennité du boulot, là, ils peuvent toujours courir (mais pas à plus d’un kilomètre de chez eux). Quant aux enseignants, ils sont donc en vacances, hein ! Ces branleurs.

Les élections ont eu lieu.
30 000 communes ont un nouveau maire, seules 5 000 en sont dépourvues… Sauf qu’en raison du confinement, les nouvelles équipes d’élus ne peuvent pas se réunir, donc l’ancienne continue d’assurer. Évidement, certains assesseurs ont été contaminés.
La logique de l’affaire m’échappe, après tout, je ne suis pas homme politique, mais je doute qu’elle réponde à une préoccupation de santé.





Le prix de la peur

 

Alors le pays ralentit. Les sorties sont stigmatisées. Il faut une attestation. On a l’impression que sortir acheter un paquet de biscuit – qui n’est pas un produit de nécessité – est une transgression folle. L’ambiance s’alourdit. On regarde les autres. La peur de la contamination, l’ennemi invisible…
Une situation que j’ai vécue en 2011, lors de la catastrophe de Fukushima, à distance mais avec une grande implication émotionnelle. Je n’oubliai jamais mon voyage au Japon en février 2012 pour raisons professionnelles. Mais l’autre n’était pas un danger ni une victime potentielle.

L’anxiété conduit à des comportements irrationnels.
On est prêt à croire le premier guignol venu qui offre de l’espoir et une solution. La méthode scientifique passe à la poubelle. Quant aux tyrans et assoiffés de pouvoir, ils débitent les âneries les plus absurdes avec un aplomb assassin.
L’anxiété conduit à l’envie, aux jalousies. On pointe du doigt les « riches » qui partent à la campagne, mieux encore s’ils vivent à Paris. Ils répandent le mal. Aujourd’hui on sait que le virus est entré simultanée par plusieurs points d’accès dans le pays. Les personnes qui ont quitté Paris ont permis de faire baisser la densité de population et donc le risque (on est la 7e ville la plus densément peuplé au monde) car le principal problème vient du sous dimensionnement des services de réanimation.

Il faut des coupables. Les riches, c’est pratique.
Il faut des coupables car si tu sors, tu n’es pas un héros.
Tu tues des gens.

Et les 100 000 proprio de toutous qui vivent à Panam ? Et les familles ou colocations entassées dans des apparts miteux insalubres, les couples qui s’entre-déchirent, les femmes qui se font maraver la gueule ? Comment on « mesure » ceux qui peuvent sortir ?
L’anxiété conduit à la violence. La nouvelle attestation, plus stricte mais permettant aussi plus de solidarité donne cependant lieu à des vérifications de police parfois musclées voire abusives.
Un autre effet, moins relisant est la délation.

Le confinement, une solution qui masque l’insoutenable.


Il y a une chose qui est insupportable : cette maladie n’a pas de remède. C’est le corps qui se débrouille comme il peut pour la combattre. Cette maladie nous met dans la tronche qu’au XXIe siècle nous sommes toujours mortels et impuissants. Non, même si on a la capacité de détruite la planète, nous ne sommes pas les plus forts.
L’unique propagation virus est par le contact : des gouttelettes respiratoires (bref, des postillons), par contacts directs avec des sécrétions ou liquides biologiques (qu’on trimballe sur les mains), ou encore par l’intermédiaire d’un objet contaminé. Pour ce dernier, il n’y a aucun cas de contamination avéré.
Par contre, cela génère beaucoup d’inquiétude.

Le côté bénéfique : si les gens ont la trouille, ils restent chez eux.
Le côté négatif, la peur conduit à des comportements irrationnels, voire dangereux ou carrément mortels.

Alors, pour limiter les contacts, la distanciation sociale et le confinement sont les uniques solutions pour faire face au cœur du problème : nos hôpitaux sont saturés. Et cette saturation est la conséquence d’années de gestion avec comme objectif unique : ne pas perdre de thune. En fait, si on pouvait en gagner, ça serait mieux. La santé des personnes ne rentrent en compte que sous l’angle comptable : les soigner coûtent cher, autant qu’elles soient en forme. Et puis, une pandémie signifie un arrêt de la production, vu qu’il n’y a plus de travailleurs. La santé et le bien-être sont réduits à des facteurs dans la grande équation magique de l’économie capitaliste.


Punir les coupables ?


Le confinement a un coût humain, les malades, ceux qui hélas succombent, et tous les autres. Les PME, les TPE, les free-lances, les artistes, le secteur de la culture, du tourisme, des loisirs, mais aussi les précaires, ceux qui vivent dans des petits apparts, ceux qui sont SDF ou pire, à la rue… Les invisibles, les laissez-pour comptes coulent en silence. Ces gens-là payent et vont payer la déroute du service public. Après plus d’un an de manif de gilet jaune, après les grèves de décembre, les inégalités sociales demeurent toujours plus criantes.
Et dans ce bordel, on applaudit gentiment à 20h à la fenêtre, les soignants qui manquent de lits et de respirateurs.
En 2008, l’état a renfloué les banques ; je doute qu’une fois passée la tourmente de la pandémie, la politique soudain se rende compte de la nécessité vitale et humaine de sortir du modèle économique actuel.
Je n’y crois pas.
Faire volte-face, sortir de la logique de rentabilité du service public avec des contractuels et des sous-traitants privés est à mon avis l’unique moyen pour rétablir un équilibre et une justice sociale.




Je n’ai pas peur d’être contaminée, pas peur d’être malade, pas vraiment. Je suis assez fataliste sur la question, et ma constitution reste robuste. 
Par contre, je suis dévorée d’angoisse quand je pense aux inégalités et aux injustices qui sont méthodiquement exacerbées, nourries et même fabriquées car elles servent les mécanismes de fonctionnement actuels de la société.

Je suis dévorée de colère face aux réponses du gouvernement, face aux mesures qui rabotent les libertés et qui nous aliènent sous motif de nous protéger alors que les plus précaires et les plus faibles servent de variables d’ajustement. Si je vis la colère comme émotion très destructrice, qui me paralyse et me fait du mal physiquement, elle a aussi un rôle d’alerte.

Mettre des PV aux récidivistes qui bravent le confinement, s’en prendre à ces « criminels » me file la nausée. Faute de savoir guérir et d’être en mesure d’accueillir tous les malades, on cherche des coupables.

En conclusion, je respecte sagement la loi, je reste « confinée » et je sors dans le cadre autorisé.
Mais je ne suis pas dupe. 
Nous payons les choix qui ont mené à la crise sanitaire. Ces choix sont politiques (pour résumer, sacrifier les services publics au profit du privé, de la « start-up nation »). Les intérêts individuels de personnes puissantes sont favorisés au détriment du peuple. Si nous n’avons pas tous les mêmes capacités à appréhender les conséquences de nos actes et à surpasser nos mécanismes de survie primaire assez égoïste, les injonctions contradictoires et l’infantilisation conduisent à des comportements sociaux dangereux et moralement assez sales. 

Quant à certaines mesures, comme les couvres-feu, et l’utilisation de données perso des téléphones pour « surveiller » les déplacements basculent dans l’autoritarisme « pour notre bien ». Un discours imminemment flippant.
Encore une fois, on cherche des coupables, des boucs émissaires qu’on veut offrir à une population apeurée prête à tout pour retrouver son confort.
Cette dérive me terrorise. 

Si j’ai peu d’espoir dans l’espèce humaine, au moins, nous allons peut-être réaliser avec le p’tit Covid 19 que non, nous ne sommes pas tout puissant sur cette foutue planète.

Dans ma tête, comme un mantra, je me souviens que tout passe, évolue, même si on a parfois l'impression d'être prisonnier dans un bloc d'ambre, dehors, les nuages continuent de cavaler tranquilles. Le ciel n'est jamais été aussi bleu, l'air aussi pur et la ville aussi calme. L'humanité en apnée.

Prenez-soin de vous et de vos proches.


2 commentaires:

  1. Beau texte qui aborde presque toutes les problématiques, et est d'une façon évidente jouissif à lire ; je dis "presque toutes", car oui il y a un coupable à cette situation : nous sommes coupables d'oublier que nous ne sommes pas seuls sur cette planète, et que la façon dont nous traitons, élevons intensivement, confinons, abattons et consommons les autres animaux, dont nous partons du postulat que nous sommes l'espèce dominante, est la base des erreurs postérieures que nous commettons (ou plutôt nos politiques) dans la gestion de la prévision. Et malheureusement, comme vous l'avez bien compris, la situation que nous vivons ne fera pas évoluer notre manière d'être, je me demande bien ce qui la fera évoluer d'ailleurs...

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    1. Merci pour votre commentaire. J'avoue que le post-confinement, qui n'interviendra probablement que début mai, devient aussi une source d’inquiétude majeure. Si je ne crois pas à une acceptation de notre place non dominante sur la planète, j'espère que les générations futures se montreront plus perspicaces et plus humble que la nôtre...

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Marianne