26 mai 2016

Jour de grève, dans le train, dans la brume, un peu dans la bêtise et beaucoup dans les mots [Journal #02]


J'aime prendre le train.
Je trouve dans l'oscillation douce de la rame, les bruits saccadés et répétitifs, le défilé incessant du paysage, un bien-être tranquille. Simple. Toujours au rendez-vous. Pour les longs trajets je voyage en première et si possible, sur des sièges isolés. Les désagréments de voyage s'en trouvent limités. Ma hantise est de me retrouver à côté d'une personne obèse. Une personne qui prendrait toute la place. Les bavards, j'arrive à m'en protéger. Mais la graisse envahissante qui menace mon espace vital et déborde jusqu'à moi, moi écrasée contre la vitre ou à moitié dans le couloir, là je ne peux pas.

J'aime écrire dans le train. Un casque sur les oreilles, Pat Metheny ou Philip Glass, pour me confiner à mon univers. Des notes qui tournent à l'infini.

Parfois, comme aujourd'hui, je prends le train un jour de grève.
La dernière fois, il y a quelques années, j'ai bien cru ne jamais pouvoir monter. Des voyageurs dont les trains avaient été annulés s’agglutinaient sur le quai, voulant impérativement monter, malgré les annonces répétées encourageant à laisser d'abord monter ceux avec le billet correspondant à l'horaire. La Moustache m'avait accompagnée dans la cohue. Seule j'aurais rebroussé chemin, tant être ballottée par une foule énervée, armée de valises à roulettes, m'angoisse ; j'ai une faible tolérance à la bêtise et à l'agressivité. Sans parler de la proximité avec des corps inconnus.
D'un naturel patient, docile même, je tends à obéir quand on me donne une consigne (après que j'ai pris le temps de réfléchir à son utilité). Si je m'émancipe facilement d'ordres ou d'exigences qui n'ont comme objectif que de satisfaire celui qui les donne, les règles qui sont là pour aider tout le monde - ou presque - celles pour faire en sorte qu'on vive ensemble sans appliquer la seule force brute, me paraissent légitimes.

Alors, en période de grève, je patiente et je tâche de respecter mon prochain. Hélas, dans un monde où la violence qu'elle soit verbale, physique ou psychologique, est souvent le moyen d'expression le plus répandu, mon attitude me met à la merci d'autrui.

Ce matin encore, alors que je suis assise dans le premier train du jour au départ pour Nice, à ma place, la tension alentours, l'agressivité et les menaces me rendent fébrile. D'autres personnes moins chanceuses, qui partaient plus tard, ont été prévenu des risque d'annulation et ont été vivement conseillées de venir aux aurores à la gare afin de monter dans le premier train. Mon train. Je discute avec une dame assez zen, heureuse de pouvoir être dans le wagon, même si elle s’apprête à faire le voyage à coté des toilettes ou au bar. Arrive une famille bruyante dont tous les mômes ont des prénoms américains. C'est la première fois qu'ils prennent le train. Les gosses font un boxon de tout les diables, mais le pire reste le père, qui commente chacune de ses actions. La mère elle tente des « chut » et des « parlez moins fort, laissez les gens se reposer » «Il ne faut pas déranger ». Le père en remet une couche, bruyante et grasse. Il tonne qu'il ne dérange personne et met au défi quiconque de lui faire une remarque. Je songe à Billie d'Anna Gavalda.
Après plusieurs minutes, des voyageurs « légitimes » chassent une partie du troupeau, le reste s'assagit.
Ouf.

Le conducteur annonce le départ. Un jeune homme à la voie très guillerette pour ce heure matinale égrène les avantages à voyage avec IDTG. Menu du bar avec cookie du jour à la framboise, liste des animations, tout y passe. Je l'écoute d'une oreille distraite (à part pour le cookie à la framboise), trop préoccupée par l'activité du wagon et les négociations entre voyageurs avec et sans billet. Le clic du haut parleur. Le jeune homme ajoute des précision et termine sa diatribe par « Et je vais passer parmi vous pour vous faire un bisous à chacun ».
Parfois, d'horribles pensées réac me traversent l'esprit.
Convenance, politesse, distance, retenue.
J'aime embrasser mes proches, j'aime embrasser et étreindre les personnes avec qui je sens une connexion. Mais là...
Je songe à l'épidémie des free-hugs de la Japan-Expo. Je songe que non, je n'aime ni ne comprend certaines évolutions de notre société.

Je songe aussi que je devrais prendre ce commentaire à la rigolade. 
Et ça va mieux.

Un couple arrive avec un chien, un p'tit machin avec la tronche écrasée qui n'arrive pas à respirer sans imiter une locomotive à vapeur. La nana porte un espèce de borsalino en paille et un jean blanc artistiquement déchiré. Il manque au moins un tiers du devant du froc. 
Elle doit avoir froid.
Le mec, un grand balèze basané au crâne rasé et à la barbe fournie, vocifère sur la grève et « ce pays où les gens ne foutent rien ». Où rien ne marche. Ou personne ne veut bosser. Il entreprend de mettre leur gros sac sur ma petit valise rose toute molle dont je viens juste d'extraire l'ordinateur. Ouf.
Je lui demande, très très poliment (il est vraiment balèze) de ne pas écraser ma valise. Elle contient des choses fragiles. Des cadeaux du Japon pour ma maman.
Il me rétorque qu'il s'en fout. Qu'il va le faire quand même. Je lui répond que je devrais alors enlever son sac, avant d'avoir cogitée sur l'intelligence de mes propos. La situation s'envenime vite et au moment où je songe à appeler à l'aide un contrôleur - car le mec est vraiment en pétard et qu'il l'était bien avant de décider de malmener mes affaires - sa nana s'emmêle et avec un certain tact, trouve une autre solution de rangement.

Difficile de ne pas voir une espèce de caricature du type macho et brutal vu ses propos. Difficile de ne pas regarder avec mépris l'accoutrement de la fille, à la pointe de ce que la mode à de plus clinquant, et de ne pas se dire qu'elle aime les mecs « virils » « qui jouent au protecteurs ». Qu'elle fait bien du mal à mes sœurs féministes, à celles qui revendiquent le respect et l’égalité. Difficile d'observer, avec du recul, de la curiosité, sans juger, sans et nourrir ma peur et mon agressivité.
Un bon exercice pratique.

Par la fenêtre, le paysage matinal de la Beauce se nappe d'une brume si dense que je ne discerne plus les champs. Le soleil perce et la lumière dorée effleure les feuilles d'un morceau de forêt. Quelques kilomètre plus tard, alors que le chien d'à coté ronfle comme un bienheureux, les champs sortent leur nez verdoyant. Les sillons d'un engin agricole dessinent des lignes étranges. Cette partie du voyage, trop uniforme, trop régulière, malgré les parcelles boisées, manque de charme.
Le toutou se réveille et se dégourdit les pattes. Il est attaché avec une longue laisse et il va renifler les chevilles dénudées la voisine de dernière. Elle porte de jolis nu-pieds. Elle le signale poliment et la bestiole est récupérée par sa propriétaire.
Soulagement. J'avais la crainte qu'il pisse sur Morpheus, mon super sac photo. Ce soucis disparu, la brume, par delà la vitre sale m'invite par son retour intempestif à cesser ma contemplation champêtre.

Le voyage en train m'offre plus de cinq heures, sans trop de sollicitation.
Le voyage m'offre du temps pour les mots, les phrases, les constructions et le rythme. Le zonzon du moteur, la ligne fuyante des rails à la périphérie de mon regard, la course effrénée des pylônes qui jouent à saute mouton par dessus les cimes.
Je pose les mains sur le clavier.
J'ouvre les vannes.


Postscriptum : Le couple avec le chien lui a finalement enlevé la laisse afin qu'il se balade partout dans le wagon. La nana s'est fait les ongles, histoire qu'on profite tout de la bonne odeur du vernis puis elle a soigneusement étalé de l'huile de monoï sur ses cheveux, probablement pour dissiper le doux parfum de l'acétone. Je ne parle même pas du volume sonore de leurs discussions, des vieux qui hurlent dans leur portable qu'ils peuvent pas discuter longtemps car il sont dans le train en ESPACE ZEN et n'ont pas le droit de téléphoner, du mec qui passe au dessus de mon ordi avec son thermos de café qui goutte...).
Il ne manquerait que le bébé qui hurle...

Postscriptum bis : Ils se sont engueulés. J'ignore la raison, mais le gars a accusé sa nana de lui taper sur le système à dessein (pas en ses termes). Puis, il a menacé d'insulter tout le monde, de cracher, taper et, je cite « brûler tous ses connards ». La fête. Heureusement, après cette grande démonstration d'affection universelle qui a fait flippé les deux messieurs bien sapés, juste devant eux, ils sont descendus en gare d’Antibes (une pensée pour mon amie Cécile), elle avec chien et bagages qui pesé probablement autant qu'elle, lui portant toute sa colère, qui devait être bien lourde.
Le charmant jeune homme efféminé, assis devant moi, a attendu qu'il soit sortis du wagon, avant de lui aussi se lever et partir.
Peur ordinaire. J'avais tellement envie de dire à la nana de le quitter, de se faire aider à le quitter. Je ne suis pas altruiste au point de me faire défoncer la gueule pour conseiller une étrangère.

L'atmosphère s'est soudain allégée.

6 commentaires:

  1. Goodness...
    Tu me rappelles à quel point prendre le train en France est devenu une expérience bien éprouvante et déplaisante.

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  2. Ah le train... J'adore le train.
    Beaucoup moins les gens à l'intérieur. Quand je peux, je passe mon temps dans le couloir, ou au bar.

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    1. Je devrais tenter le bar :) En général, une fois que je suis concentrée dans un livre ou mon ordi, ce qu'il y a autour ne m'atteint plus. En général...

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  3. Belle histoire :) j'en ai malheureusement plein du même genre.
    Le train c'est un peu notre société en miniature malheureusement... Et en plus, on ne peut pas fuir, sinon ça serait trop simple :p

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    1. Un truc comme ça en avion me ferait nettement plus flipper ! Là, tu n'as même plus le signal d'alarme et la possibilité de t’arrêter !

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Marianne